
La Dormition de la Vierge Marie, musée Kariye, Istanbul
Dans l’Eglise catholique, l’Assomption de Marie est fêtée, chaque année, le 15 août. Célébrée depuis la nuit des temps chrétiens en Orient, elle connut une longue maturation en Occident, jusqu’à la proclamation du dogme de l’Assomption par le pape Pie XII, en 1950. Que dit ce dogme et comment comprendre ce qui, depuis lors, est reconnu officiellement comme un Mystère de la foi chrétienne?
Le dogme de l’Assomption, on le sait, ne fut proclamé dans l’Eglise catholique qu’en 1950, par le pape Pie XII. Cette proclamation solennelle représente l’aboutissement d’un long processus, puisque la croyance en l’Assomption de la Vierge Marie est attestée depuis l’Antiquité chrétienne, plus spécifiquement en Orient. Très tôt, la conviction selon laquelle la Mère de Dieu n’avait pas connu la corruption de la mort, mais avait, au terme de sa vie terrestre, rejoint son Fils ressuscité dans la gloire de Dieu, fut largement répandue parmi les chrétiens.
Cette croyance sera reprise par différents Pères de l’Eglise, qui vont en développer la portée et les implications, tant théologiques que spirituelles, à partir du IVe siècle. En 373, saint Ephrem le Syrien évoque le fait que le corps de Marie serait resté intact après son décès, c’est-à-dire non atteint par « l’impureté » de la mort. Toujours en Orient, saint Jean Damascène (676-749) se réfère à une tradition de l’Eglise de Jérusalem à propos de l’Assomption: lors du concile de Chalcédoine (451) Juvénal, évêque de Jérusalem, se serait vu demander le corps de Marie par le couple impérial, Marcien et Pulchérie. Juvénal aurait répondu que Marie était morte entourée de tous les apôtres, sauf Thomas, qui était en retard… A son arrivée, quelques jours plus tard, Thomas aurait demandé à voir la tombe de Marie, mais celle-ci se serait avérée vide. Les apôtres en auraient alors conclu que son corps fut emporté au Ciel.
Dans la liturgie
Si les théologiens en parlent à partir du IVe siècle, l’Assomption fait son entrée dans la liturgie chrétienne au VIe siècle, en Orient, où la fête de la Dormition est célébrée vers la mi-janvier. Il ne s’agit pas de la plus ancienne fête consacrée à la Vierge Marie: dès le IIIe siècle, on trouve des traces d’une fête liturgique consacrée à la Mère de Dieu (Theotokos), dans les communautés arménienne et syriaque de Jérusalem. Plus tard, l’empereur romain d’Orient Maurice (582-602) fixera définitivement la fête de la Dormition au 15 août, pour commémorer l’inauguration d’une église dédiée à la Vierge montée au ciel, le « Sépulcre de Marie ».
La fête arrive à Rome grâce au pape Théodore (642-649), originaire de Constantinople. Elle se diffuse alors petit à petit en Occident: en 813, le Concile de Mayence l’impose à l’ensemble de l’Empire franc. Peu à peu, la fête va prendre le nom d’Assomption, et l’Eglise d’Occident, pendant longtemps, n’éprouvera pas la nécessité d’ériger cette foi mariale en dogme. Ce n’est que dans le courant du XIXe siècle, période de dévotion mariale intense, que la théologie de l’Immaculée conception et de l’Assomption va pour ainsi dire s’accélérer, pour aboutir aux dogmes que l’on connaît. Après 1950, et le concile Vatican II (1962-1965), la théologie mariale ne connaîtra par contre plus de développement majeur.
Le dogme
« Nous prononçons, déclarons et définissons qu’il est un dogme révélé par Dieu que l’Immaculée Mère de Dieu toujours vierge Marie, ayant achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée à la gloire céleste en âme et en corps. » C’est en ces termes que, le 1er novembre 1950, Pie XII proclama solennellement le dogme de l’Assomption. Ce qui fut alors un événement extraordinaire, à plus d’un titre, se déroula au cours d’une cérémonie qui rassembla plus de 500.000 fidèles du monde entier, sur la Place Saint-Pierre à Rome.
Evénement, parce qu’il s’agit du dernier dogme en date dans l’histoire de l’Eglise catholique. Evénement ensuite, parce que ce fut la première fois qu’un pape proclama un dogme en se fondant expressément sur son infaillibilité doctrinale – dogme défini quant à lui au Concile Vatican I en 1871. Evénement enfin, parce que, jamais auparavant, autant de catholiques ne s’étaient prononcés en faveur d’une doctrine.
Après la proclamation du dogme de l’Immaculée conception, par Pie IX en 1854, et dans le contexte de la dévotion mariale florissante au XIXe siècle, huit millions de pétitions parvinrent en effet à Rome jusqu’en 1945, réclamant que soit proclamé le dogme de l’Assomption. Le pape Pie XII lança alors une vaste consultation auprès de l’épiscopat mondial, en 1946. 90% des évêques du monde entier se montrèrent favorables à la proclamation de ce dogme.
La foi qui rend pur
Cela dit, pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour en arriver à établir ce dogme? Et comment comprendre l’Assomption de la Vierge Marie?
En christianisme, la foi est toujours vécue avant d’être éventuellement formulée à travers des dogmes. Ce fut le cas, notamment, de la foi en la Trinité, ou en la divinité du Christ. Les chrétiens ont cru en la « nature » à la fois divine et humaine de Jésus dès l’aube du christianisme, mais c’est seulement aux IVe-VIe siècles que cette foi trouva une formulation dogmatique mûre et équilibrée, exprimant avec exactitude la foi des fidèles et la compréhension de ce Mystère.
Il en va pas de même pour les dogmes qui concernent la Vierge Marie, à commencer par celui de « Marie, Mère de Dieu » (Theotokos en grec), défini au concile d’Ephèse en 431. Selon ce dogme, en étant mère de l’homme Jésus, Marie est aussi mère de Dieu, puisque Jésus, Fils de Dieu fait chair, est également pleinement Dieu. A l’autre bout de l’histoire du dogme marial, on trouve celui de l’Assomption.
Pour le comprendre, reprenons la définition de Pie XII: « Marie, ayant achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée à la gloire céleste en âme et en corps. » Pour les Eglises catholique et orthodoxes, Marie a donc été « assumée » en Dieu – ce que signifie littéralement le terme « assomption » – avec tout ce qu’elle est, y compris dans son corps, à l’image de Jésus ressuscité. Si Jésus, en tant que Fils de Dieu, est retourné au Père par son Ascension, il est le premier humain à être assumé dans la Trinité. Marie, quant à elle, est également entrée dans la gloire de Dieu, par une Ascension comparable à celle de son Fils. A ce titre, son Assomption est une préfiguration, une première réalisation concrète de notre destinée à toutes et tous: entrer pleinement dans la Présence amoureuse de Dieu au terme de notre cheminement terrestre. Tel est le sens du Mystère de l’Assomption. Nous entrons dès à présent dans cette gloire de Dieu en accueillant, comme Marie, Dieu dans notre vie, par une foi de plus en plus confiante, une foi qui rend pur notre cœur.
Pourquoi Marie a-t-elle bénéficié de ce privilège? En raison, justement, de sa foi, qui a permis à Dieu d’accomplir son dessein d’Amour pour l’humanité, et à marie d’accueillir pleinement ce dessein.
Christophe HERINCKX
Découvrez le dossier complet sur la fête de l’Assomption dans le Dimanche n° 28 du 16/08/2020 (pages 8-9)