L'art du verre est méconnu dans notre pays. Pourtant, de nombreuses pièces valent le détour. Installé dans le site historique du Bois du Cazier, le Musée du Verre présente une collection de pièces anciennes et plus récentes, rehaussée, deux fois par an, par des expositions temporaires.
A Charleroi, trois piliers marquent l'histoire industrielle des lieux, entre le fer, le verre et le charbon. "Les traces industrielles du charbonnage et de la métallurgie sont encore très présentes, alors que l'archéologie industrielle du verre a disparu", estime Catherine Thomas. "Or l'activité verrière est aussi vieille que la fondation de Charleroi en 1666. Différents facteurs l'expliquent: la protection militaire, le charbonnage et la Sambre, utile pour l'acheminement, sans oublier une carrière de soude." L'historienne se plaît à retracer l'évolution chronologique et les péripéties de l'industrialisation. "Au XVIIIe siècle, l'activité est intense et les bras manquent. Alors, des souffleurs allemands arrivent, emmenant avec eux la technique du soufflage au canon. Elle deviendra la spécificité de la région de Charleroi. A l'indépendance, en 1830, avec le développement du chemin de fer, la demande explose. Et à la fin du XIXe siècle, l'industrie y est conquérante et devient le premier lieu de production de verre plat jusqu'à la Première Guerre mondiale." Et de s'arrêter sur la "caste d'ouvriers, au savoir-faire transmis en vase clos. Les souffleurs avaient leurs loisirs, comme le cabaret ou le théâtre, leurs activités sociales et leurs signes de richesse. Ils se mariaient entre eux". Leur salaire pouvait même être seize fois plus élevé que celui des mineurs. C'est dire si leur corporation va tenter de s'opposer au soufflage mécanique, qui va anéantir leurs privilèges. "En 1930, la production de verre plat clair et translucide s'arrête, seul le verre coloré soufflé au canon sera encore réalisé jusqu'aux années 60. Ceux-ci peuvent être utiles, par exemple à la restauration des vitraux." Les années 30 ont été marquées par la création de sociétés importantes: Glaver, Univerbel, Mecaniver. Au début des années 60, la fusion des deux premières va donner Glaverbel, dont le nom résonne encore dans la mémoire collective belge. "Mis à mal par la concurrence étrangère, le groupe sera racheté par des Japonais. AGC a aujourd'hui un centre de recherche à Gosselies, le centre administratif d'AGC-Europe à Louvain-la-Neuve, une ligne de production à Moustier-sur-Sambre, la production des pares-brises à Fleurus et celle du double vitrage Fineo à Lodelinsart."
Un musée au féminin
Tout un lexique précis régit ce domaine, comme le verre d'appart appelé le calice, le verre à jambe ou verre à pied, la gravure intaille ou en creux, procédé inverse du camée… "Après la Deuxième Guerre mondiale, face aux difficultés de l'industrie, l'Institut National du Verre est fondé. Il a en charge la recherche fondamentale auprès de l'industrie, en corollaire avec un musée pour expliquer les techniques", précise Catherine Thomas. Si la première convention remonte aux années 50, il faut toutefois attendre 1973 pour que le musée ouvre ses portes à la plaine des Manœuvres de Charleroi. Mais, en 2002, le bâtiment est repris par l'Etat pour permettre une extension du palais de justice. "Tout est remis en caisse. Ce sera un grand chantier de collections", avant la réouverture en 2007 dans le domaine du Bois du Cazier. "L'endroit est inspirant", reconnaît la conservatrice. Trois dimensions composent l'approche muséale: l'histoire industrielle et technique, le rapport du verre à l'humain et, enfin, le verre contemporain ou artistique. Depuis 1976, la fonction de conservateur est dévolue aux femmes; une spécificité qui perdure. Les collections du musée sont régulièrement complétées grâce aux dons ou à de nouvelles acquisitions rares ou signées par un artiste reconnu. Toutefois, la surproduction est telle qu'il est devenu "impossible de tout acquérir et de tout conserver. A la fois solide et fragile, ce matériau fait partie de notre quotidien. Il est utilisé tous les jours sans se rendre compte de la richesse de cette matière polymorphe. Il y a une véritable multiplicité artistique du verre".
Des styles variés
Les 1.082 pièces achetées à un passionné du verre, Raymond Chambon, ont servi de base à la collection. Parmi celle-ci, des pièces antiques "dont des fleurons", des Gallé produits par lui-même, telle une remarquable coupe aux chardons, clin d'œil à Nancy, sa ville natale. "La faune et la flore le conduisent à la création", précise encore Catherine Thomas avant d'enchaîner sur les vases qui sont "des études arrêtées en cours de production, qui permettent de comprendre les différentes étapes". Autre démarche avec la cristallerie Daum, dont l'originalité tient à la présence discrète d'un animal en relief. Dans la mouvance art-déco, quelques pièces Lalique se retrouvent dans les vitrines, au côté de la fameuse "taille riche" du Val Saint-Lambert, particulièrement appréciée des Américains. "Napoléon favorise la création de cristalleries sur l'empire français. D'où le développement de Vonêche, près de Beauraing, qui sera la maison-mère de Baccarat, sans oublier la création du Val Saint-Lambert." Parmi les merveilles exposées dans les vitrines, Catherine Thomas pointe un verre à pied avec des armes épiscopales. "La production alémanique des XVIIe et XVIIIe siècles témoigne d'une maîtrise exceptionnelle de la gravure." A côté de la verrerie de luxe, le développement d'une production plus ordinaire se poursuit. La région du centre va d'ailleurs se distinguer par ses gobeleteries.
Depuis quelque temps, le travail du vitrail est marqué par une lente érosion. "Cet art disparaît pour des raisons écologiques et économiques. Dès lors, beaucoup de vitraux se retrouvent à la poubelle", observe la conservatrice. En 2013, un projet de recension des vitraux a été lancé dans le centre-ville de Charleroi. L'ampleur des découvertes effectuées a donné lieu à une exposition. Aujourd'hui, le vitrail d'une façade d'une habitation de Jumet reste visible; son créateur est supposé être un maître verrier de la région. Un hommage local pour un rayonnement international.
Angélique TASIAUX
Infos: Des brochures joliment référencées sont proposées au public, à un prix démocratique. Site du Bois du Cazier à Marcinelle – Musée du Verre – tél. 0496 59 92 14