Depuis le mois de janvier, Carl Norac répond au titre bisannuel de Poète national.
En voilà un titre étrange que celui de Poète national. Ainsi, malgré nos trois langues officielles, la poésie serait universelle. Toutefois, ne comptez pas sur Carl Norac pour vous imposer une formule toute faite ou prête à l’emploi, puisqu’il s’agit de « quelque chose qu’on n’arrivera jamais à définir. C’est toujours inattendu. Si tu tends la main, l’oiseau aura toujours une seconde d’avance. La poésie est plus loin que ce que l’on croirait. Chaque poème se réinvente et sa définition en est mouvante ».
L’humilité du coeur
Lorsqu’il se raconte, Carl Norac évoque ses origines modestes, issu d’une famille de tailleurs de pavés. Cette lignée, son père sera le premier à la briser, en devenant poète, sous le nom de plume de Pierre Coran. Mais comment serait-il possible d’éviter un attrait pour la poésie quand on a, en plus, été emmené avant même sa naissance à des spectacles de poésie par sa comédienne de mère ? Et il le concède volontiers, « d’une certaine façon héréditaire, la poésie est un geste. Et mon premier geste est la main de mon père qui écrit ». Nanti d’une solide bibliographie, Carl Norac compose, à son tour, des livres pour les adultes et pour les enfants, sans que figurent de clivages hermétiques entre les deux univers. « Pour les enfants, chaque mot compte. Mon père dit d’ailleurs que l’enfant est poésie. La rencontre des enfants est une merveille renouvelée; ils n’ont pas tu la poésie en eux. » Parmi les pépites de ses titres figure « Les mots doux », illustré par Claude K. Dubois. Les dessins et les phrases toutes simples vont à l’essentiel dans cet album en vogue depuis 1996. Dans son parcours, Carl Norac reconnaît l’importance de sa rencontre avec la poétesse Liliane Wouters, capable de « revenir à l’être, dans le partage et le lyrisme. Elle a encouragé une génération de jeunes poètes ». De cette période particulière du confinement, il retient la nécessité de « peut-être davantage apprécier la simplicité des moments ensemble sans but. Il faut qu’on nous l’enlève pour voir à quel point c’est précieux ».
Une nouvelle installation
« Une étrange coïncidence » a prévalu à l’annonce du titre de Poète national. Installé en France depuis plusieurs années, il s’était laissé séduire par une maison en vente à Ostende. « La coïncidence temporelle est parfaite ! Je vais réexplorer mon propre pays. » Montois d’origine et désormais francophone de Flandre, il apprécie « la Flandre et sa culture, se sent profondément Belge » et refuse de « se résoudre au séparatisme », sans pour autant sombrer dans un « attachement national parfois excessif ». Alors, à l’heure où « les enjeux économiques sont mondiaux, il importe de se mettre ensemble avec nos différences ». Dans la ville côtière, il entend « faire le voyage dans la langue de l’autre, aller à sa découverte ». Sensible à la lumière, il aime y assister à « des assauts de couleurs; elles y sont souvent contrariées ». La marche en bord de mer n’est pas sans l’inspirer dans son travail de création poétique. « Agnostique mais passionné par la religion » au sens large, il se dit « féru de la sagesse de celles-ci ».
De la fonction bisannuelle de Poète national, Carl Norac avoue qu’il s’agit d’un « lourd travail honorifique », qui le met en contact avec des publics différents. Lors de son intronisation le 29 janvier, il déclarait: « Le fait d’arpenter depuis si longtemps théâtres, festivals, écoles, prisons, bibliothèques et divers lieux de vie pour parler de poésie m’a toujours fait penser que cet art, plus que jamais, est là pour bousculer les consciences, pour faire parler l’ailleurs et l’ici d’une même voix. (…) En ces temps d’incendie émerge naturellement que la poésie redevient nécessaire. De tous temps, elle a parlé de pont à ceux qui aimaient trop les murs. De tous temps, elle a dit des vérités dangereuses, protégée ou pas derrière la métaphore. » Parmi ses projets figure « l’idée de réenchanter la vie dans les villes », grâce à la participation d’enfants de différentes chorales réunis pour chanter des textes contemporains. Les poètes ne se contentent pas d’être des rêveurs. Une preuve magistrale en a été donnée avec leur immersion récente dans les cimetières, par le biais de leurs Fleurs de funérailles.
Angélique TASIAUX