Nos grands élèves des classes terminales ont retrouvé le chemin de l’école. A travers mon cours, chaque groupe mène une réflexion sur ce que nous vivons après deux mois de confinement. Retrouver un peu de lien social fait du bien. Les prouesses de l’enseignement numérique sont une aide précieuse et indiscutable mais elles ne remplaceront jamais le contact humain et le besoin d’être ensemble. Le port du masque, évidemment nécessaire, n’est pas chose aisée pour discuter. C’est un peu étouffant de ne pas pouvoir s’exprimer dans le face-à-face, mais les yeux des ados en disent long. Il y a ceux qui pétillent à l’évocation de moments inédits partagés en famille. Il y a ceux qui se mouillent en relatant la solitude ou les difficultés rencontrées. Que de réalités diverses vécues par nos adolescents! Il faut beaucoup de respect et de délicatesse dans ces moments de partage. Encore une fois, je perçois leur soif à vouloir vivre avec confiance. Confiance en eux-mêmes, dans les autres et dans l’avenir. Ils ont besoin de se construire, de se projeter dans la vie et de rêver.
Réalisons-nous combien l’école ou les médias confrontent constamment nos ados à des problématiques anxiogènes? Crise terroriste, crise migratoire, crise financière, crise populiste et extrémiste, crise climatique, crise sanitaire… Sans compter les problèmes liés aux racismes et discriminations, violences conjugales, harcèlement scolaire, pauvretés ici et dans le monde… Il est évident qu’il est éminemment important et légitime de traiter toutes ces préoccupations citoyennes à l’école. Mais il convient de le faire avec justesse. Conscientiser, ce n’est pas accabler ou culpabiliser. Il convient d’user de la plus grande prudence car nous nous adressons à des jeunes en construction qui ont aussi besoin de pouvoir s’engager sereinement dans l’avenir. Voulons-nous en faire de futurs adultes stressés, angoissés, déprimés? A cette période transitoire de leur vie, les ados sont d’abord préoccupés par des enjeux psycho-affectifs à ne pas négliger. A quoi pense un ado quand il se rend à l’école? Il se demande d’abord s’il va "assurer". Il est inquiet de ce que les autres pensent de lui car il a besoin de cette reconnaissance sociale. Il se demande si ses parents vont l’autoriser à sortir samedi soir. Il a besoin de s’affirmer, d’expérimenter son autonomie, de conquérir sa liberté. Il s’inquiète de son échec en math qu’il traîne depuis des semaines. Il est préoccupé par son apparence physique, sa confiance en lui. Il s’interroge sur sa vie affective. Il se demande ce qu’il va choisir comme études supérieures. Bref, c’est tout un bouillonnement que l’ado traverse, en quête de sens, de vérité, d’accomplissement. Au même moment, certains adultes lui dépeignent constamment un monde en déclin dont il ne resterait bientôt plus rien. Les pires déclinistes détruisent la jeunesse. Comment dès lors s’étonner que certains ados jouent la carte de l’indifférence? Face à tant d’agressions, ils se protègent.
Il faut parler, et surtout les laisser parler, des défis urgents de notre société. Mais il importe de le faire en insufflant de l’espérance. En tant que parents, enseignants, éducateurs, aidons les jeunes à percevoir leur formidable potentiel de vie. Ils sont capables de tant de créations et de généreuses actions. Ils peuvent expérimenter que l’édification d’un monde plus juste et plus respectueux de l’environnement n’est pas chose facile, mais que cela apporte de la joie. Lorsqu’on les accompagne de façon positive et constructive, les jeunes sont enthousiastes à donner le meilleur d’eux-mêmes. Ne les confinons pas dans la peur. Mettons l’accent sur ce qu’ils peuvent faire, à leur mesure, tels qu’ils sont et là où ils se trouvent. A l’école, dans les clubs de sport ou les mouvements de jeunesse, ils peuvent profiter d’une pédagogie de projet qui les invite à entreprendre avec solidarité et valeurs, à se motiver ensemble, à apprécier les résultats. Vraiment, il faut du bonheur à grandir!
Sébastien BELLEFLAMME