
En mémoire des 40 jours et 40 nuits que Jésus passa dans le désert, le cheminement du Carême constitue par sa durée une « sainte quarantaine. » Il est aussi une « mise en quarantaine » spirituelle, une halte pour se prémunir de tout ce qui nous éloigne de Dieu et retrouver une belle vigueur baptismale. Cet appel du carême n’est pas confiné à un temps liturgique. Il peut retentir dans tous nos combats du quotidien. Le Carême nous exhorte à tenir dans la durée et à traverser les épreuves en perspective du jour ultime, celui du dénouement pascal qui fait déjà de notre vie un sacrement d’éternité.
Dans la Bible, les nombres ont une signification symbolique à prendre en compte pour apprécier toute la sagesse des récits. Ainsi le nombre 40 est associé à des jours ou à des années pour exprimer un temps long, généralement la durée d’un temps d’épreuve. Dans le mythe de Noé, ce sont 40 jours et 40 nuits de déluge à endurer, temps perçu à l’époque comme celui du fléau et du châtiment divin. Mais c’est aussi le temps nécessaire pour réagir, construire une arche libératrice et contempler l’arc dans la nuée, signe d’une alliance nouvelle entre Dieu et tout être vivant. A la mort du patriarche Jacob, son embaumement dure 40 jours, temps du deuil qui permet à son fils Joseph de pardonner à ses frères leurs crimes et leurs péchés. Moïse demeure 40 jours et 40 nuits au sommet du Mont Sinaï, quarantaine préalable au don inestimable des Tables de la Loi. En fuyant l’Egypte, le peuple hébreu subit 40 ans d’exode au désert avant d’entrer en Canaan. Au temps long de l’errance succède la joie de la délivrance. Les règnes de Saül, David et Salomon durent chacun 40 ans. David est défié pendant 40 jours par le philistin Goliath, temps de mise à l’épreuve duquel David sort brave et victorieux. Un triomphe quand on sait que les Fils d’Israël furent livrés aux Philistins pendant 40 ans. Menacé de mort, il faut 40 jours et 40 nuits au prophète Elie pour gravir l’Horeb. Le secours de Dieu ne s’y trouve pas dans la force de l’ouragan, ni dans le tremblement de terre ou le feu. Elie rencontre Dieu dans le murmure d’une brise légère. Le prophète Ezéchiel se couche 40 jours sur le côté droit pour supporter les péchés du royaume de Juda, peuple menacé de disparaitre lors de sa déportation à Babylone. Environ 40.000 judéens reviennent de ce temps d’exil, affliction qui bouleverse mais refonde profondément toute la foi du Peuple de Dieu. Pendant sa mission, Jonas ne demeure pas seulement 3 jours et 3 nuits dans les entrailles d’un grand poisson, il attend 40 jours que les Ninivites se convertissent, temps de la patience et de la clémence. Après sa mort et sa résurrection, le Christ se manifeste par des apparitions pendant 40 jours. C’est le temps qui chasse la peur, nous ouvre à l’invisible et à la joie immense de l’amour qui nous relève, nous réveille, nous ressuscite ! Le Christ accomplit en nous l’ultime passage des ténèbres à la lumière.
Toutes ces quarantaines bibliques illustrent combien les humains ont toujours vécu des périodes de souffrance, de doute, de deuil. Ne minimisons pas ce que cela représente comme réelles et pénibles difficultés pour nos existences et pour nos sociétés. Mais, à chaque fois, les humains sont capables de traverser l’adversité pour susciter des passages renouvelés à la Vie. Il nous faut vivre du signe de Jonas. Dans chaque temps humain de « quarantaine », une espérance peut être manifestée, une alliance ressoudée, une foi réaffirmée! Parce que l’eau du déluge peut devenir celle de notre baptême. Parce que l’errance au désert peut conduire à la manne qui apaise vraiment notre faim. Parce que répliquer aux assauts du tentateur ne peut se faire que conduit par l’Esprit. Guettons la colombe qui rapporte un rameau d’olivier! Gravissons la montagne qui nous met en présence du Seigneur! Entrons en Terre Promise! Car le Christ ne nous veut pas captifs de nos tombeaux, il nous veut vivants et libres.
La chronique de Sébastien Belleflamme