En Afrique coloniale, le message délivré par les Pères blancs s’oppose, puis se mêle, aux contes traditionnels qui relatent les faits et gestes des divinités locales. Les villageois ne savent à quel saint se vouer!
Première moitié du XXe siècle, au Rwanda, dans un village pareil à tant d’autres. Kibogo est une divinité locale, présente dans tous les contes que les femmes perpétuent le soir, en secret, durant les veillées. Fils de roi, il s’est sacrifié pour son peuple. Sur la montagne sacrée, Runani, a été foudroyé, est monté au ciel et en a ramené la pluie. Le récit débute en pleine période de sécheresse; une sécheresse exceptionnelle qui dévaste le pays, ravage les cultures et le bétail et prélève son lot d’êtres humains.
Vers qui donc se tourner pour obtenir de l’aide: vers Kibogo, le faiseur de pluie ou vers Yezu et Maria dont parlent les "padri", les Pères blancs? Les villageois partent du principe qu’il ne faut vexer aucune divinité. Alors que la majorité du village suit le prêtre en procession à la Vierge à travers champs et forêts, quatre hommes, des sages, décident d’aller trouver Mukamwezi, la sorcière, l’épouse sacrée de Kibogo qui vit en exclue à l’écart du village. Procession mariale ou rituel magique… la pluie est de retour. Qui remercier?
L’autre personnage étonnant de ce court roman, c’est Yakayezu, "Petit-Jésus", le séminariste, de retour dans son village natal. Yakayezu est une personnalité. Quand il revient auprès des siens, il donne du pain, tient de longs discours, bénit et selon certains, guérit. Il a appris le latin, étudié la théologie mais a également été baigné, enfant, dans la tradition orale des contes traditionnels du Rwanda que sa mère racontait le soir auprès des initiés. Peu à peu, le jeune séminariste se sent investi d’une mission: réunir les anciennes traditions de son pays et les nouveaux dogmes chrétiens. Mis au ban de l’Eglise, suite à des pratiques et des sermons de plus en plus douteux, il s’entoure de fidèles et devient l’incarnation de Kibogo, mort et ressuscité comme le Christ pour sauver les hommes. Lui aussi montera au ciel, foudroyé, et viendra enrichir la légende.
On découvre, dans ce récit, comment se construit la mémoire collective, comment les mythes se complètent, se transforment et s’interprètent au fil des époques. Et comment le message des premiers missionnaires chrétiens s’est interpénétré aux cultes locaux pour donner naissance à un syncrétisme religieux tout à fait original.
L’écriture de Scholastique Mukasonga évoque l’oralité du conte. Elle manie, d’une langue subtile, le merveilleux et la satire pour notre plus grand plaisir de lecture.
Mariel LEJEUNE
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Scholastique MUKASONGA, "Kibogo est monté au ciel". Ed. Gallimard, 154 pages, 15€ (+3€ frais port si envoi). 5% de remise si mention de cet article.