Pas besoin de partir au bout du monde pour être dépaysé! La preuve avec Sébastien de Fooz, aventurier du quotidien. Un livre rend compte de son épopée à travers les communes bruxelloises.
Durant un mois, Sébastien de Fooz a largué les amarres pour vivre une immersion complètement urbaine. Un mois sans rentrer chez lui, sans voir ni femme ni fils, sans certitude ni itinéraire établi, non plus. Le pari semblait un peu fou et pourtant il lui a permis de réaliser une lente introspection dans une ville aux communes variées et aux quartiers multiples. C’est, en effet, la ville de Bruxelles qui lui a servi de laboratoire. Parti avec un livre de chevet, Sébastien est revenu chez lui sans l’avoir lu. La densité des moments partagés a été suffisamment nourrissante ou surprenante pour étayer son cheminement. Il s’agissait, somme toute, de « vivre l’aventure au coin de la rue ». Pour cet habitué des pèlerinages (Compostelle, Rome et Jérusalem), il y va d’une même démarche, puisque les logements ne sont jamais déterminés. « C’est même un approfondissement de cette démarche. Quand on part au loin, on a toujours notre direction en point de mire, on sait vers où on va. Le fait de le savoir, c’est réconfortant. Ici, pour la première fois de ma vie, j’étais dans un environnement que je connaissais, mais ne sachant pas vers où j’allais. »
Le pèlerinage bruxellois débute sous des auspices particuliers, puisque Sébastien entre d’emblée dans une église! A plusieurs reprises, c’est d’ailleurs dans un édifice religieux qu’il se réfugie et trouve l’apaisement. Deux perspectives s’affrontent et se chevauchent pour celui qui appréhende, par sa démarche même, à la fois l’horizontalité et la verticalité. L’horizontalité concerne le déplacement spatial, tandis que la verticalité recouvre une dimension plus intérieure.
Des garde-fous explicites
Avant son départ, le quadragénaire se compose une liste de règles, parmi lesquelles celle de ne rien prévoir, autrement dit, de ne pas accepter d’invitation préalable, qui baliserait les pérégrinations. Il s’agit aussi d’être particulièrement attentif à toute forme de résistance ou de peur, qui donne une indication à suivre, coûte que coûte. Et surtout de veiller à « avoir un regard bienveillant ou bénissant en toute circonstance. Il s’agit de s’avancer vers l’inconnu avec un cœur confiant ». Le pèlerin n’est pas indemne des lieux croisés. D’ailleurs, certaines zones ne sont que traversées et se trouvent dès lors « dépeuplées de sens ». Il y a des endroits nécessairement plus inspirants et merveilleux que d’autres. Le fait de prendre soin d’un lieu « en dit long sur l’image qu’on a de nous-mêmes ». D’où l’idée, face à des détritus, d’investir la colère en acte, de la transformer en geste par le nettoyage du lieu jonché d’immondices.
A la rencontre de la grâce
« En tant que pèlerin, où que l’on se trouve, ce qui nous touche ne nous appartient pas mais il nous appartient de le partager. » Fort de cette résolution, Sébastien a emporté une caméra avec lui. Il s’agit de « quitter l’immédiateté et réinvestir le temps présent, être conscient de ce qui nous traverse dans l’instant. Quand on est présent à nous-même, on est davantage perméable à la grâce ». Il reconnaît toutefois qu’il est parfois délicat, voire périlleux, de sortir sa caméra. Son apparition risque de briser une atmosphère propice aux confidences. « A bien des moments, le doute était présent » quant à la pertinence de l’entreprise, confesse Sébastien, qui se souvient avoir été pris à partie par un Molenbeekois courroucé par son expérience itinérante, qu’il jugeait déplacée et relevant d’une forme de luxe. En pleine période de ramadan, les musulmans se sont d’ailleurs montrés moins accueillants.
En aucun cas, il ne s’agit de tester une expérience de sans-abrisme. « Je n’ai pas eu envie de vivre la rue, mais une expérience de changement de regard dans ma propre ville », précise Sébastien. Et de se souvenir de ses pèlerinages précédents où il a été confronté à la différence de multiples manières. « Ces paysages morcelés suscitaient mon incapacité à faire unité en moi. Il en est de même dans nos contextes urbains où il y a des visages. Chaque visage suscite quelque chose en nous au même titre que ces paysages. J’ai eu l’impression de traverser une ville complètement morcelée, éminemment fracturée entre tant de réalités qui se frôlent, mais ne se rencontrent pas. Se frôler, mais avoir un regard d’indifférence, cela cautionne les fractures. Cette traversée de Bruxelles a suscité en moi mes propres fractures. Dans celles-ci, il y a du vide où s’installe la peur. » L’anesthésie de ces réalités s’avère souvent une issue attrayante ou un repli satisfaisant. « Chaque visage nous invite à découvrir davantage notre paysage intérieur. Nous sommes tous pèlerins et responsables de notre regard. »
Loin de la routine
A ses hôtes d’un soir, Sébastien de Fooz a promis d’offrir un exemplaire de son dernier ouvrage. « Je me dois de le leur apporter en mains propres. » Ce présent souligne un partage assumé et quelquefois savouré. « Quand la personne décide de devenir l’hôte de l’inconnu transparaît quelque chose d’extraordinaire. Le visage devient lumineux, parce que la résistance face à l’inconnu tombe. Entre l’autre et soi se dégage un espace d’accueil. » Lors de ces rencontres, les conversations vont à l’essentiel et les personnes visitées n’hésitent pas à se livrer. « Il y a une telle joie de nous retrouver dans notre humanité commune et de dépasser la peur de l’autre. La joie n’est qu’essentielle. Ce sont des ponctuations lumineuses dans des moments de doute. J’avais constamment l’impression de marcher comme un funambule sur une corde entre errance et quête de sens. Le fait de me soustraire au désespoir par le regard bienveillant me permettait d’aller de l’autre côté de cette frontière très fine et de retrouver du sens là où j’étais. Quand on est dans la quête de sens, il y a l’espérance. »
« Confrontante », cette expérience urbaine l’a assurément été. « J’ai eu besoin d’avoir en ligne de mire Celui qui se trouve à la croisée de l’horizontalité et de la verticalité, le Christ. Cela m’a permis de traverser ma propre complexité et mon incapacité de vivre l’unité et de faire confiance. Nous sommes souvent fracturés par des rancœurs, des sentiments de jalousie… » Depuis ce pèlerinage bruxellois, Sébastien s’est lancé dans une démarche professionnelle d’indépendant. Il anime notamment des ateliers de marche nocturne en forêt. La question du sens n’est pas prête de le lâcher!
Angélique TASIAUX
Sébastien de Fooz, « Partir chez soi. Changer de regard, s’ouvrir à l’inattendu ». Editions Racine, septembre 2019, 184 pages. La publication d’une traduction en néerlandais est annoncée en février prochain chez Lannoo. Par ailleurs, le documentaire sur l’expédition urbaine est disponible pour des projections en entreprise, dans le cadre d’une organisation, dans le milieu scolaire ou entre amis. Plus d’infos: www.sebastiendefooz.com
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