Si l’exil est toujours une épreuve déshumanisante, il est possible de le traverser, d’en faire un chemin vers Dieu, vers l’autre humain et vers soi-même. C’est ce que nous apprend la réalité biblique de l’exode, chemin que le Christ accomplit de Noël à Pâques, et que nous pouvons emprunter à sa suite.
Pour toute personne qui le vit, l’exil est une épreuve. Bien sûr, certaines formes d’exil sont humainement plus lourdes à porter que d’autres. L’exil qui consiste à quitter son pays volontairement, par exemple pour chercher à améliorer son sort et celui de sa famille, peut avoir une connotation positive. Mais qu’on ne s’y trompe pas: le plus souvent, même l’exil « choisi » l’est sur fond de souffrance, de persécution, de misère. Et l’espoir d’un avenir meilleur n’atténue que très peu la douleur de devoir quitter sa terre natale, son enfance, ses racines, parfois sous la menace et la contrainte, souvent sans perspective de retour.
A ce déchirement s’ajoute l’épreuve de devoir, littéralement, s’acclimater, trouver sa place dans une culture étrangère, assimiler d’autres valeurs et une autre langue. Sans oublier la souffrance de ne pas toujours être bien accueilli, de devoir gagner l’estime et la reconnaissance d’une société différente, qui parfois ne soupçonne même pas l’existence de vos capacités ou de votre « valeur ajoutée ». L’exil est l’une des épreuves les plus difficiles de l’existence, faite d’aliénation et de déshumanisation.
L’exil de Jésus
Jésus aussi, dont nous célébrons la Nativité dans quelques jours, a connu l’exil. Rien de ce qui est humain ne fut étranger au Fils de Dieu fait homme, en termes de joies aussi bien que de souffrances, l’exil compris. L’évangile de Matthieu nous raconte cet épisode: alors que le roi Hérode cherche à faire périr l’enfant, Joseph l’emmène avec sa mère en Egypte, d’où ils reviendront une fois le danger passé (Mt. 2, 13-21).
Si en Jésus, Dieu rejoint cette réalité humaine qu’est l’exil, il nous montre aussi que, d’une certaine façon, toute vie humaine est appelée à passer par un… exode. L’épisode de la fuite de Jésus en Egypte, puis son retour en terre d’Israël, renvoie à d’autres récits bibliques, en premier lieu à celui bien connu de l’exode du peuple hébreu. Alors que Jacob – aussi appelé Israël – est descendu en Egypte avec ses douze fils, Dieu appellera les fils d’Israël à quitter le pays de Pharaon et leur condition d’esclaves pour rejoindre la liberté de la Terre Promise, sous la conduite de Moïse. Avant cela, Dieu avait appelé Abram (qui deviendra Abraham) à quitter son pays et sa famille « vers le pays qu’il lui fera voir », en vue de faire de lui « une grande nation » et de le bénir (Gn 12, 1).
Fausses sécurités
Si, dans la Bible, l’exil et l’Egypte sont synonymes d’aliénation, symboles de l’esclavage qu’est l’idolâtrie, l’exode est synonyme de libération, symbole de cheminement vers l’Alliance avec Dieu. En ce sens, nous sommes tous appelés à faire de nos exils, volontaires ou non, extérieurs ou intérieurs, un exode, un chemin vers la vraie liberté, qui n’est possible qu’à travers une relation à Dieu. Cet exode implique toujours de quitter nos fausses sécurités, matérielles mais également spirituelles, certains conforts qui impliquent une forme d’esclavage et d’idolâtrie. Cette idolâtrie peut prendre le nom de « richesse », de « repli sur soi », d’ »égoïsme » et même de « bien-être », lorsque celui-ci porte à croire qu’on pourrait se suffire à soi-même.
Cet exode implique aussi, de façon sans doute plus fondamentale, de sortir de soi, de se quitter soi-même. Non pas pour tomber dans un néant déshumanisant, mais pour aller vers l’autre. L’autre humain qui est un autre moi, l’Autre qui est Dieu et qui est davantage moi que moi-même, et finalement aussi vers… moi-même, que je suis appelé à retrouver dans la liberté d’une nouvelle identité, celle d’enfant de Dieu.
Chemin de libération
Cet exode à l’égard de moi-même a pour finalité de transformer mes exils intérieurs en chemins de vie. C’est ce que nous apprend l’enfant de la crèche, en ce temps de Noël qui vient. Car Dieu est le Premier à faire de l’exil un exode, et il nous invite à le suivre sur ce chemin de libération. En venant dans le monde, envoyé par le Père, le Fils de Dieu vit, d’une certaine façon, un exil. Il quitte son Père pour rejoindre l’humanité dans sa situation d’esclave. L’apôtre Paul l’évoque de manière bouleversante: « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il se dépouilla lui-même, prenant condition d’esclave, devenant semblable aux hommes et, reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph. 2, 6-9).
Ces quelques versets révèlent admirablement le sens de la mission de Jésus: en rejoignant l’humanité jusque dans son exil le plus radical – son éloignement de Dieu et la mort qui en résulte –, le Christ traverse la mort et en fait un chemin de retour à Dieu, nous entraînant avec lui dans ce passage, cette pâque, cet exode vers la vie en Dieu.
Ce passage, nous y sommes engagés depuis notre baptême. Cet exode est ce qui donne sens à notre vie de chrétien. Ce chemin vers Dieu, Vie de notre vie, est également chemin vers nous-même et vers les autres, que nous sommes appelés à rejoindre dans leur exil, quel qu’il soit.
Christophe HERINCKX