
(c) Greg Webb / IAEA (2013)
Le pape François a quitté le Japon pour rejoindre Rome. Après avoir rencontré les autorités politiques du pays, écouté des rescapés de la catastrophe de Fukushima, il s’est rendu à l’université jésuite de Sophia où il a adressé ses dernières paroles au peuple japonais avant de reprendre l’avion.
Lors de sa deuxième journée de visite au Japon, le Pape François a rencontré les victimes du “Triple désastre”, c’est-à-dire le séisme et le tsunami du 11 mars 2011 et l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima.
La directrice d’une école maternelle a raconté comment la catastrophe a remis en question son existence, avec la perte d’une petite fille qui était scolarisée dans son établissement, ainsi que la destruction de sa propre maison. Elle a insisté sur le thème de la protection de la vie.
Un prêtre shintoïste survivant de la catastrophe de Fukushima, dont le temple se situait à 17 kilomètres de la centrale nucléaire, a ensuite délivré une réflexion sur l’harmonie entre les êtres humains et la nature. Il a expliqué qu’il faut «entendre la voix de la terre» et aussi que l’homme doit peut-être aujourd’hui non plus penser en terme de « croissance » mais bien de « maturation ». L’évêque de Rome et le prêtre shintoïste se sont salués avec une visible proximité au terme de cette intervention.
Abandonner le paradigme technocratique
Enfin, un jeune homme provenant d’une localité proche de Fukushima a raconté son évacuation, à huit ans, lors de la catastrophe. Interpellant avec gravité les adultes responsables, il affirme: «Je ne veux pas qu’ils meurent en nous ayant menti, en ayant caché la vérité». L’adolescent a également confié prier pour que «ceux qui ont le pouvoir trouvent un autre chemin et puissent éliminer la menace des rayonnements du nucléaire». Le Pape l’a longuement étreint et consolé au terme de son témoignage (cfr photo).

capture d’écran KTO/VaticanMedia
François a ensuite pris la parole et invité l’assistance à prier «pour les plus de 18.000 personnes qui ont perdu la vie, pour leurs familles et pour les disparus».
Il souhaite que l’élan de mobilisation se poursuive, y compris sur le plan international, en remarquant que «certains de ceux qui vivaient dans les zones touchées se sentent maintenant oubliés et un grand nombre doit faire face à de continuelles difficultés : terres et forêts contaminées ainsi que les effets à long terme de la radioactivité». Et d’ajouter : «Personne ne se “reconstruit” tout seul, personne ne peut recommencer tout seul ». Le Pape a aussi souligné la résilience de la nation japonaise qui, huit ans après la catastrophe, a su se relever. Une des leçons à tirer de Fukushima est que les défis de l’humanité «ne peuvent pas être compris ni traités séparément : guerres, réfugiés, alimentation, disparités économiques et défis environnementaux», car en réalité tout est interconnecté, insiste François, reprenant le fil rouge de son encyclique Laudato Si’.
Après avoir dénoncé frontalement l’usage militaire de l’énergie nucléaire à Nagasaki et Hiroshima, François a indirectement dénoncé le nucléaire civil, en adressant son soutien à l’épiscopat japonais, qui réclame la fermeture des centrales nucléaires. «Notre époque est tentée de faire du progrès technologique la mesure du progrès humain. Ce “paradigme technocratique” du progrès et du développement façonne la vie des personnes et le fonctionnement de la société et, souvent, conduit à un réductionnisme qui touche tous les milieux de nos sociétés. Par conséquent, il est important, en des moments comme celui-ci, de marquer une pause et de réfléchir sur qui nous sommes et, peut-être de manière plus critique, sur qui nous voulons être».
Une civilisation de l’attention
Après avoir discuté en privé avec le Premier ministre Shinzo Abe, François a rencontré les membres du gouvernement et du corps diplomatique japonais au Kantei, siège de l’exécutif japonais. Après l’allocution de Shinzo Abe, le Saint-Père a évoqué les relations d’amitié «très anciennes» unissant le Saint-Siège et le Japon, enracinées «dans la reconnaissance et l’admiration que les premiers missionnaires ont éprouvées pour ce pays».
Pour le pape, tout doit être mis en oeuvre préventivement pour que «plus jamais, dans l’histoire de l’humanité, ne se reproduise la destruction causée par les bombes atomiques à Hiroshima et à Nagasaki». Le dialogue est «l’unique arme digne de l’être humain», «capable de garantir une paix durable». Mais aussi, pour François, la question nucléaire doit être impérativement abordée sur le plan multilatéral.
Le Saint Père a évoqué la « culture de rencontre » et « les profondes valeurs religieuses et morales » qui caractérisent la « culture ancienne » du Japon. Il a encouragé la «bonne relation entre les différentes religions», porteuses de «principes éthiques qui servent de fondement pour une société vraiment juste et humaine».
François n’a pas manqué de saluer l’engagement des jeunes japonais pour la protection de la création: ils nous invitent, a-t-il déclaré, « à regarder le monde non pas comme une propriété à exploiter, mais comme un précieux héritage à transmettre».
«La dignité humaine doit être au centre de toute activité sociale, économique et politique», a martelé François. «Il faut promouvoir la solidarité entre les générations et à tous les niveaux de la vie communautaire; on doit se préoccuper de ceux qui sont oubliés et exclus», en particulier les jeunes et les «personnes âgées ou seules», nombreuses au Japon. La «civilisation de chaque nation ou peuple ne se mesure pas à son pouvoir économique», a rappelé le Souverain Pontife, «mais à l’attention qu’elle accorde aux personnes dans le besoin et à leur capacité de se révéler féconds et promoteurs de vie».
Ordre et humanité
Le Pape François a consacré les dernières heures de son voyage au Japon aux étudiants de l’université Sophia, fondée à Tokyo par les jésuites en 1913. Cette université compte actuellement 13 000 étudiants encadrés par 1400 professeurs, et elle est considérée comme l’une des meilleures du pays.
Dans son discours, le pape explique avoir été « témoin de l’estime générale que l’on a pour l’Eglise catholique, et j’espère que ce respect mutuel pourra grandir dans l’avenir. » Le Saint Père a également pu observer que « malgré l’efficacité et l’ordre, caractéristiques de la société japonaise, l’on cherche et désire, manifestement, quelque chose de plus : une profonde aspiration à créer une société toujours plus humaine, compatissante et miséricordieuse.»
Reprenant à nouveau un thème clé de son encyclique Laudato Si’, le Pape a souligné que «l’amour pour la nature, si typique des cultures asiatiques, doit s’exprimer ici dans un souci intelligent et prévoyant pour la protection de la terre, notre maison commune», et non pas dans une logique «technocratique».
Enfin, évoquant les fruits du Synode sur les jeunes, François veut rappeler qu’aujourd’hui « l’Eglise universelle regarde aussi avec espérance et intérêt les jeunes du monde entier». Et devant les étudiants, il nous invite à «marcher avec les pauvres et les marginalisés de notre monde» plutôt que de créer des élites déconnectées de la réalité complexe du monde.
Avant de reprendre la route pour l’aéroport, François a pris le temps d’un petit bain de foule à la rencontre des étudiants, serrant la main de plusieurs d’entre eux.
S.D. avec VaticanNews
Photo de couverture : (c) Tokyo Electric Power Co., TEPCO