Pape François : “Hiroshima a été une vraie catéchèse humaine sur la cruauté”


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Pape François : “Hiroshima a été une vraie catéchèse humaine sur la cruauté”
Par Sophie Delhalle
Publié le - Modifié le
6 min

C'est désormais un exercice incontournable pour le pape François: répondre aux questions des journalistes, après un voyage apostolique, juste avant de décoller pour rentrer à Rome. Cette fois encore, le Saint Père n'a pas dérogé à la règle. Parmi les sujets abordés, l'énergie nucléaire, la protection de l'environnement, la peine de mort, la paix, le désarmement, les finances du Vatican...

Le pape François a tout d'abord commencé cette conférence de presse par des remerciements aux journalistes qui l'ont accompagné dans ce voyage intense, à la découverte de deux réalités aussi différentes que la Thaïlande et le Japon. "Je me suis senti proche de vous pendant ce travail", s'est-il exprimé.

La sagesse orientale

A la première question du père Makoto, sur l'apport de l'Orient à l'Eglise de l'Occident, François répond par un dicton latin: Lux ex Orientae, ex Occidente luxus. "La Lumière vient de l'Orient, le luxe et le consumérisme viennent de l'Occident." La sagesse orientale, dit le pape, n'est pas seulement une sagesse de connaissance mais une sagesse des temps, de la contemplation qui peut aider la société occidentale trop pressée, notamment à regarder les choses poétiquement. "L'Orient est capable de regarder les choses avec des yeux qui voient au-delà." L'Orient vit dans une sorte de gratuité, dans cette recherche de sa propre perfection. Et pour nous Occidentaux, face à cette culture de l'urgence, donner du temps à la sagesse, "cela nous fera du bien".

Stop au nucléaire

Sur sa visite de Nagsaki, le pape François a voulu souligner le double drame de la bombe atomique et de la persécution multiséculaire des chrétiens particulièrement forte dans cette ville aux racines chrétiennes anciennes. C'est pourquoi le pape François a voulu se rendre dans les deux villes victimes du désastre atomique, pour mettre aussi en évidence ce passé douloureux. "Hiroshima a été une vraie catéchèse humaine sur la cruauté", confie le pape François.

Très marqué par cette visite, le pape y avait qualifié l'utilisation des armes nucléaires d'immorale. "Cela doit aller dans le catéchisme de l'Eglise catholique", insiste-t-il. Et ce n'est pas seulement l'usage mais aussi la possession de l'énergie nucléaire qui est problématique. "Parce qu'un incident lié à la possession ou à la folie d'un gouvernant peut détruire l'humanité." Pour autant, le Japon doit-il renoncer à l'énergie nucléaire? demande un journaliste. Pour François, le principe de précaution est souverain, un accident peut toujours arriver et provoquer un désastre. "Le nucléaire est à la limite." Nous n'avons pas encore atteint la sécurité totale et donc, pour François, son utilisation reste trop risquée, soulignant aussi le désastre de la puissance nucléaire sur la Création et sur les personnes comme en Ukraine. Rappelant également que, pour l'environnement, "nous sommes déjà au-delà des limites". François évoque par exemple "tant de maladies rares aujourd'hui en raison d'usages mauvais de l'environnement". Et de clamer: "La protection de l'environnement est une chose qui doit se faire aujourd'hui ou jamais."

Peine de mort

De son entretien avec le premier ministre japonais, le pape ne dévoilera pas grand'chose si ce n'est d'avoir abordé de manière générale la prison, les procès qui n'en finissent pas, les peines préventives. Il réaffirme que la peine de mort est immorale, que des pays optent plus volontiers pour une suspension plutôt que l'abrogation ou alors la condamnation à perpétuité. C'est déjà un pas en avant. "Nous devons lutter contre la peine de mort, lentement, lentement", martèle le Saint Père et encourager des pas de conscience humaine vers l'abolition de la peine capitale. Mais aussi, "la condamnation (même à perpétuité) doit toujours avoir pour finalité la réinsertion." Car "une condamnation sans fenêtre, sans horizon, n'est pas humaine", selon François qui estime qu'aujourd'hui, avec le surpeuplement carcéral, les prisons sont devenues des "dépôts de chair humaine" où règnent finalement la corruption.

Paix et désarmement

Est-il possible d'en arriver à une paix désarmée ? que penser de la guerre juste? préparez-vous une encyclique sur la non-violence? demande le journaliste du Figaro, Jean-Marie Guénois. "Ce sera pour le prochain pape", répond François amusé. "Il y a tellement de projets dans les tiroirs" dont un sur la paix en train de mûrir. "Quand ce sera le moment, je le ferai." ajoute l'évêque de Rome. Les problème de violence, comme le harcèlement scolaire abordé avec les jeunes japonais, "il nous faut les affronter". Mais une encyclique sur la violence, "je ne le sens pas encore prête" avoue François. Pour la paix, "nous ne sommes pas encore assez mûrs", comme en témoigne l'impossibilité pour les organisations internationales, malgré les nombreuses médiations, de maintenir la paix. "Ce n'est pas assez!, s'exclame François. Il faut encore faire plus !"

François se risque alors à remettre en cause le droit de veto : peut-être est-il temps pour les Nations-Unies de renoncer à ce droit de veto acquis pour certaines nations, qui bloquent la résolution de certains conflits. Il nous faut en tous les cas poursuivre dans la voie de l'arrêt de fabrication des armes, pour éviter les guerres et s'engager toujours plus en avant dans la négociation. Faire des pas vers la paix sans les armes.

Comme il l'avait déjà fait auparavant, François dénonce l'hypocrisie de ceux qui, et notamment dans des pays européens de culture chrétienne, "parlent de paix mais vivent des armes". Si la paix aujourd'hui est très faible, fragile, il ne faut pas se décourager, conclut-il sur cette question.

Scandale financier

Concernant le tout récent scandale financier du Denier de Saint-Pierre, après avoir rappelé ce qu'était une bonne administration des biens, le pape a déclaré : "on a fait des choses qui n'étaient pas propres." Mais il se réjouit que la dénonciation soit venue de l'intérieur, à l'initiative du réviseur des comptes. "Cela prouve que l’administration vaticane a aujourd'hui les ressources pour éclaircir les mauvaises choses qui arrivent à l'intérieur", affirme François avec conviction. Cinq personnes soupçonnées de corruption seront prochainement interrogées mais, comme le rappelle le pape, la présomption d'innocence reste de mise.

Embrasement mondial

Face à tous les soulèvements et mouvements populaires qui s'expriment actuellement de par le monde - Hong Kong, Nicaragua, les gilets jaunes en France, ... - parfois durement réprimés, le Saint-Siège appelle au dialogue et à la paix pour résoudre les problèmes.

Concernant plus précisément l'embrasement de l'Amérique Latine, le pape se dit particulièrement inquiet de la situation au Chili, qui après avoir souffert des affaires d'abus, doit faire face à de nouveaux troubles. Mais le Souverain Pontife admet ne pas assez bien connaître toutes les situations pour pouvoir exprimer une analyse. Le Saint Siège se dit toujours prêt à oeuvrer dans une mission de médiation.

Le mot de la fin

Le pape a souhaité conclure cette conférence de presse en ajoutant un mot sur la Thaïlande et sa culture de la transcendance, de la beauté, qui connait aussi tant de pauvretés et tant de richesses spirituelles, également des choses dures et difficiles, et d'évoquer ces cultures tribales thaïlandaises méconnues dont il a rencontré des membres.

François tenait aussi à remercier deux journalistes femmes présentes dans l'avion qui ont écrit chacune un livre sur des questions actuelles, l'une sur les problèmes écologiques (cfr photo) et l'autre sur l'exploitation humaine. " On voit bien que les femmes travaillent plus que les hommes" sourit le pape, qui ajoute, avec un brin de malice : "elles sont très compétentes."

Il termine en remerciant tous les journalistes pour leurs questions directes "Cela fait du bien. Priez pour moi."

Sophie DELHALLE

Illustrations: capture écran KTO / Pixabay CCO

 

 

 

 

 


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