Méconnue, stigmatisée par le public et ceux qui en souffrent, la bipolarité figure au cœur des groupes de parole organisés par l’asbl Le Funambule. Avec l’efficacité au rendez-vous. Une approche qui mérite le détour.
Pour le grand public, la bipolarité consiste en des troubles essentiellement maniaco-dépressifs. Un cliché qui témoigne d’une large méconnaissance. Pour peu, nous pourrions y voir les signes d’une maladie honteuse. A tort, les patients sont plutôt dans un état de souffrance qui les empêchent de vivre pleinement. Une souffrance qu’ils évoquent rarement.
Alors comment définir une personne bipolaire? Pour le psychologue Jean-Marc Priels, spécialiste de la thématique, « la bipolarité peut s’exprimer de façon plus ou moins intense et les personnes peuvent apprendre à se connaître et à gérer les grandes phases de bouleversement de l’humeur. Nous traversons tous des périodes d’euphorie ou de déprime. Simplement, pour une personne bipolaire, ce qui la différencie des autres c’est l’intensité des phases et leur durée. Que ce soit de l’exaltation, de l’agitation ou de la dépression. Les personnes bipolaires font face à des dérégulations de l’humeur qui vont les mettre en grande difficulté psychique car leur ampleur va les déborder à un moment donné. Altérer leur jugement ou les mettre en danger. Ceci constitue le côté le plus spectaculaire de la bipolarité. Celui qui marque le plus l’opinion car on en parle davantage dans les articles. »
Combien de personnes sont-elles touchées en Belgique? « La pathologie concerne environ 4% de la population belge. Ce qui ne veut pas dire que toutes ces personnes seront dans le même degré de gravité bien sûr. »
L’espoir progresse sur le fil
La bipolarité se soigne avec toute une batterie de traitements et un suivi constant. Mais à côté de cette approche médicale, il existe d’autres voies. Plus confidentielles mais tout aussi importantes. Comme la démarche entreprise par l’asbl Le Funambule. Pour le moins originale, cette association se singularise par le fait qu’elle est constituée de personnes bipolaires et de leurs proches, soit une quinzaine de bénévoles. Ce sont des personnes concernées par la problématique et qui sont donc les plus aptes à fournir l’aide et les informations utiles à ceux qui s’adressent à l’association. « Environ cinquante personnes fréquentent l’asbl chaque mois, renseignées par le site web et les avis publiés sur les réseaux sociaux. Autant d’hommes que de femmes, et la plupart dans la tranche des trente à quarante ans. L’asbl se concentre non pas sur la maladie mais sur l’humain, la personne qui souffre et qui a besoin d’aide », explique Stéphane Waha, bénévole et animateur.
Parler pour briser la détresse
« L’activité du Funambule consiste à offrir une aide via une ligne téléphonique, pour avoir une première orientation et les informations de base. L’asbl a aussi constitué des groupes de parole, qui se tiennent à Bruxelles, Namur et Mons. Il s’agit d’une activité d’écoute et de partage pour les personnes bipolaires. Elles peuvent profiter de l’expérience acquise par d’autres bipolaires, plus loin dans le processus de rémission. Qui mieux qu’un bipolaire peut savoir ce que traverse un autre patient? » Jean-Marc Priels a la passion dans la voix quand il parle du Funambule pour lequel il s’investit comme animateur et expert. Stéphane Waha rappelle quant à lui tous les bénéfices engrangés par ceux qui poussent la porte de l’asbl. « Ce sont souvent des gens en détresse qui cherchent à comprendre ce qui leur arrive et comment continuer à vivre. Venir aux groupes de parole leur permet également de sortir de leur solitude, de rencontrer des personnes qui ont vécu la même expérience, qui ont bien avancé dans leur cheminement et qui apportent une touche d’espoir bienvenue. » Un dernier aspect repris par Jean-Marc Priels: « Cette dimension d’espoir, alliée à la sortie d’une solitude mal vécue, est importante pour ces personnes qui cherchent à s’orienter dans le processus de soin. Parler, écouter les autres est donc capital. Les personnes qui ont déjà suivi ce parcours sont extrêmement utiles pour les autres. »
Entre clichés et approche multifactorielle
Comment soigner au mieux les personnes bipolaires? « Il faut tout d’abord préciser qu’un diagnostic certain prend plusieurs années. Ensuite, il est important de trouver un médecin traitant qui soit en contact avec un médecin psychiatre qui connaît bien la problématique du trouble bipolaire. Il faut aussi trouver la bonne médication, la plus adaptée à la personne. Sans oublier le recours à la psycho-éducation, c’est-à-dire des groupes de parole où l’on explique ce qu’est la maladie, ce à quoi il faut être attentif au quotidien. Pour soigner la bipolarité, il faut donc une approche multifactorielle. »
La bipolarité, comme tout ce qui n’est pas bien connu, fait peur. Souvent vue comme dangereuse. Mais qu’en est-il vraiment, au-delà de ce cliché à la vie dure? « La dangerosité est assez relative. Il faut pouvoir, en entretien, évaluer le seuil à partir duquel l’individu pourrait ‘partir en vrille' », explique le psychologue. Et d’ajouter qu’il y a des processus qui peuvent contraindre quelqu’un à être hospitalisé. En section psychiatrique généralement. « Il en va ainsi si l’individu se met en danger, notamment par des comportements suicidaires ou mortifères. » Stéphane Waha intervient et souligne que le Funambule a certainement sauvé des vies par les groupes de parole. « Il faut savoir que 40 à 50% des bipolaires vont faire une tentative de suicide. Et la moitié va réussir. Il est donc important de poursuivre le dialogue pour briser cette volonté d’en finir. »
Vers une évolution positive
La bipolarité se guérit-elle? Clairement, non. Du moins actuellement. La réponse de Jean-Marc Priels est nette. Ceci dit, il tient à souligner qu’une expertise médicale de plus en plus poussée se met en place. La bipolarité se soigne, et plutôt bien. Avec une meilleure prise en charge de la personne bipolaire, et pas uniquement avec un traitement médicamenteux. Le succès rencontré par le Funambule en apporte la preuve. « Aujourd’hui, le bipolaire assume sa maladie, accepte d’en parler sans courir le risque d’être stigmatisé. Les personnes atteintes savent, que sous traitement, elles peuvent fonctionner comme vous et moi. Mais cela demande une vigilance constante pour rester dans un processus de rémission. »
La bipolarité sort enfin de l’ombre pour permettre à ceux qui en souffrent de mieux l’accepter et de ne plus être montrés du doigt. Un énorme pas a été franchi. D’autres doivent suivre.
Philippe DEGOUY