La crainte générale, depuis le retrait des troupes américaines de Nord-Syrie, est hélas devenue réalité: la Turquie y a mené des attaques contre les Kurdes. A Qamishli, les premières victimes sont aussi chrétiennes.
L’annonce par Donald Trump le 6 octobre d’un retrait des forces américaines au Nord de la Syrie – une promesse du président au peuple américain – avait renforcé une certitude: la Turquie avait désormais carte blanche pour mener une opération militaire dans la région, afin d’anéantir sa bête noire, les combattants kurdes YPG, considérés par Ankara comme « terroristes ». Le 9 octobre, les forces turques ont donc lancé l’assaut contre les positions kurdes, en lançant des obus ou en menant des frappes aériennes. Après les premiers bombardements des secteurs frontaliers, l’armée turque est passée dans une deuxième phase avec des mouvements au sol, franchissant la frontière turco-syrienne. La résistance s’est organisée. Dès le lendemain de l’attaque, les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes, ont annoncé avoir repoussé un assaut de l’armée turque dans le secteur de Ras al-Aïn.
Mais le nouveau retrait de mille soldats américains au cours du weekend a changé la donne. Contraints de changer d’alliés, les Kurdes se sont alors rapprochés de la Russie et ont signé un accord le 13 octobre avec leur ennemi d’hier: le président Bachar al-Assad.
Opération « Source de paix »
Or, selon les dires (sur Twitter) du président turc, Recep Tayyib Erdoğan, l’attaque avait été menée « avec l’armée nationale syrienne » [ndlr: des rebelles arabes pro-turcs], en vue de combattre « les milices du PKK/YPG (Parti Kurde du Kurdistan) et les terroristes de Daesh [ndlr: l’Etat islamique] au nord du pays »! Erdoğan a même donné un nom à cette opération: « Source de paix »… Elle a déjà fait plus d’une centaine de morts, provoqué la fuite de plus de 150.000 civils et créé le chaos dans les camps où sont retenus les proches des djihadistes. Les Kurdes ont désormais d’autres préoccupations que de garder les terroristes de l’Etat islamique; ce qui ne manque pas de générer de grandes craintes dans les pays occidentaux, notamment en Belgique.
Parmi les premières victimes de l’attaque turque figurent des chrétiens. Donald Trump avait pourtant juré à plusieurs reprises qu’il allait protéger les quelque 30.000 chrétiens syriaques au nord de la Syrie et le « Système fédéral démocratique de Syrie du Nord ». Dans ce dernier sont réunis les Arabes syriaques, les chrétiens syriaques, les Kurdes et les Turkmènes afin de gouverner ensemble les cantons d’Afrin (qui, entretemps, est tombé sous contrôle de rebelles pro-Turcs), de Kobané et de la Djézireh, au nord-est du pays.
La European Syriac Union (ESU), qui regroupe un grand nombre de chrétiens assyriens et syriaques en Europe, sonne l’alarme depuis quelques jours: « Ce sont encore une fois les chrétiens syriaques qui sont les dupés du conflit », dit son co-président, Fehme Tony Vergili. Dans le soi-disant « Rojava » (l’ouest, en kurde; c’est-à-dire le Kurdistan situé sur le territoire de la Syrie), les chrétiens syriaques se sont alliés aux Kurdes depuis le déclenchement de la guerre.
Persécutions
Les milices kurdes syriennes du YPG sont en effet proches du parti kurde en Turquie – le PKK –, considéré par Ankara comme séparatiste et terroriste. La mainmise des Kurdes sur le nord-est de la Syrie (et également sur le nord de l’Irak) déplaît dès lors profondément aux nationalistes turques. La protection américaine ayant à présent disparu, ceux-ci semblent vouloir se débarrasser une fois pour toutes de cette « autonomie kurde » en Syrie. Pourtant, « l’autogouvernance au nord-est de la Syrie n’est pas uniquement kurde, elle est aussi chrétienne », dit Tony Vergili. Et les chrétiens de la région craignent la Turquie. « Nous connaissons notre histoire », explique le porte-parole des chrétiens syriaques. « L’Etat turc n’est pas seulement l’Etat responsable des génocides arménien, assyrien et grec pontique de la fin de la Première Guerre mondiale, mais aussi celui de maintes persécutions depuis lors. Il n’y a d’ailleurs plus que vingt mille chrétiens en Turquie… »
Terroristes
La European Syriac Union prédit par ailleurs que l’invasion turque va provoquer une catastrophe. « Erdoğan prétend vouloir combattre les cellules dormantes de terroristes de Daesh sur le terrain, mais nous connaissons son double discours: bien que la Turquie soit un pays-membre de l’Otan, elle fait des affaires depuis toujours avec les terroristes djihadistes. » Lorsque les Turcs seront responsables des camps où de nombreux terroristes de Daesh sont prisonniers, une reprise de la terreur djihadiste risque en effet d’être imminente. Les premiers djihadistes ont déjà pu fuir les prisons. « Les chrétiens de Hassaké ou Qamishli n’ont pas tort de craindre à nouveau pour leur vie », dit Tony Vergili. D’ailleurs, dès le but de l’attaque à Qamishli, un couple chrétien avait déjà succombé sous l’artillerie turque, leurs deux enfants étant gravement blessés et leur maison complètement détruite.
Benoit LANNOO/P.G.