Du 6 au 27 octobre s’est tenu à Rome un synode spécial des évêques qui avait pour thème « L’Amazonie : nouvelles voies pour l’Eglise et pour une écologie intégrée ». Nos confrères de Tertio se sont rendus au Vatican pour recueillir les réactions des différents participants à ce qui était en quelque sorte une « première ».
C’est en effet la première fois qu’une assemblée synodale avait pour thème non pas des questions de doctrines pastorales ou autres, mais bien une préoccupation sur le changement climatique et la proximité avec les personnes qui ne sont pas entendues. « Les gens de cette région ont demandé à l’Eglise d’être leur alliée et ils ont répondu par un oui fort », dit le cardinal Michael Cerny, secrétaire spécial du synode. « Pour sauver la vie, tout le monde devra se convertir, même l’Eglise si elle veut être présente avec les gens. »
Les deux premières semaines du synode ont été constructives. Tous les participants ont été écoutés avec beaucoup de respect et les conversations dans les douze groupes linguistiques ont débouché sur des rapports solides et des propositions concrètes. Mais le lundi 21 octobre, lors de la présentation de la première version du document final, une douche froide s’en est suivie, selon toutes les personnes interrogées. Le contenu ne reflétait pas ce qui s’était dit les jours précédents et était pourtant reprsi dans les rapports des groupes de travail. Le fait qu’il y avait des questions qui n’étaient pas couvertes a suscité suspicion et résistance. La question reste de savoir qui a joué un rôle dans ce projet, car il est dit que la responsabilité n’incombait pas aux douze membres élus pour la rédaction du document Cela rappelait le temps où les décisions d’un synode étaient prises à l’avance, comme cela s’est produit dans le passé. Ce qui ne correpond pas aux souhaits du pape François, qui prône une église synodale, la liberté de parole et des propositions courageuses. Il n’est donc pas surprenant que les groupes de travail aient immédiatement rédigé 832 des demandes d’ajustements au projet de texte.
Le texte final a finalement été adopté dans son intégralité par les pères synodaux à une large majorité des deux tiers. Il est donc devenu un document plein d’espoir et fort qui ouvre des portes et rend possible de nouvelles alliances entre l’Eglise, les scientifiques, les jeunes et les peuples indigènes. Cela peut certainement conduire à une puissante exhortation postsynodale dans laquelle le souverain pontife tirera ses conclusions. En tout cas, il s’agit de thèmes qui lui tiennent à cœur et qu’il connaît bien en tant que latino-américain.
Réalité ecclésiastique
Entre autres choses, le synode souhaitait trouver de nouvelles voies pour l’Eglise. Avant d’en parler, il est nécessaire de connaître la réalité ecclésiastique actuelle en Amazonie. Prenons la situation dans les diocèses de nos interlocuteurs qui, à l’exception du premier, sont tous situés au Brésil. La plupart des prêtres sont religieux, une poignée de leurs propres prêtres diocésains et des prêtres fidei donum viennent d’ailleurs. Karel Choennie qui a étudié à Nimègue et à Louvain, est évêque de Paramaribo. Son diocèse couvre l’ensemble du Surinam et est cinq fois plus grand que les Pays-Bas. « C’est le pays le plus vert du monde, 94 % de sa surface est une jungle. Le Suriname compte 540 000 habitants. Dans notre diocèse il y a 14 prêtres dont 6 ont plus de 80 ans et 7 sont diacres permanents. » Le limbourgeois Philip Dickmans est évêque de Miracema do Tocantins. Ce diocèse est une fois et demie plus grand que la Belgique. Il y a 25 prêtres et 7 diacres permanents. L’Irlandais Derek Byrne est évêque de Primavera do Leste-Paranatinga. « C’est un nouveau diocèse depuis 2014, deux fois moins grand que l’Irlande. Pour l’instant, nous avons fait la cathédrale à partir d’une église paroissiale existante. Je vis au presbytère. Nous commençons la construction d’un centre diocésain et d’une maison épiscopale. Pour les paroisses les plus éloignées, je passe au moins six heures sur la route. Le diocèse compte 30 prêtres et 4 diacres permanents. Nous avons 14 séminaristes, ce qui est encourageant. J’ai donc de la chance parce que nos communautés peuvent célébrer l’Eucharistie une fois par mois. La situation n’est pas aussi pénible que lorsque certaines communautés célèbrent l’Eucharistie tous les deux ans, parfois même tous les deux à cinq ans. D’autre part, il y a l’idéal d’une messe hebdomadaire dans chaque communauté. C’est pourquoi je soutiens l’idée, dans le texte final, d’autoriser des exceptions pour les communautés indigènes éloignées afin que les diacres permanents qui ont prouvé leur valeur puissent administrer les sacrements. Mais nous devons nous demander plus largement si nous impliquons suffisamment les hommes et les femmes, les peuples indigènes et les jeunes. Nous pouvons encourager plus fortement l’apostolat des laïcs, et nos prêtres et candidats prêtres doivent aussi apprendre à agir en synode et non comme le chef qui décide de tout lui-même », estime-t-il.
Viri probati
Le franciscain allemand Bernardo Johannes Bahlmann travaille dans une région plus éloignée. Depuis 2009, il est évêque d’Óbidos, dont le territoire représente la moitié de l’Italie. « Nous avons 700 communautés, divisées en 12 paroisses. Il y a 31 prêtres et 40 sœurs. Bientôt, j’ordonnerai les deux premiers diacres permanents de notre diocèse « , explique Mgr Bahlmann. « Les laïcs ont déjà de grandes responsabilités en tant que catéchistes ou animateurs de prière. Nous voulons renforcer leur formation, mais aussi les mandater plus clairement et leur confier des fonctions officielles. Cela est possible dans le cadre de la loi actuelle de l’Eglise et conformément au document Lumen Gentium du Concile Vatican II, mais les possibilités ne sont pas encore suffisamment exploitées. Pouvons-nous aller plus loin ? C’est pourquoi nous demandons que des viri porbati (des hommes mariés d’âge mûr, ndlr) soient ordonnés dans des situations très exceptionnelles et que nous réfléchissions à nouveau au diaconat des femmes. Ce qui existait autrefois dans l’Eglise peut être réintroduit, car le diaconat permanent a été réintroduit par Vatican II. »
Le document final souligne que les évêques ne veulent pas abolir le célibat. Ils demandent à prier pour les vocations et voient la valeur du célibat. « Nous n’avons jamais eu l’intention de l’abolir, mais plutôt d’être proches des gens. Comment garantir la présence de l’Eglise dans les régions les plus reculées et faire en sorte que les indigènes puissent y célébrer l’Eucharistie? Dans mon diocèse, il y a des villages qu’on ne peut atteindre qu’à pied ou à moto. Il n’y a pas de routes à proximité. L’ordination d’hommes mariés peut constituer une solution, mais il n’y en aura pas de masse. Il est déjà difficile de trouver des candidats pour le diaconat permanent, et certains de ces diacres pourraient être choisis pour le ministère des sacrements, » dit encore Mgr Bahlmann.
Le texte final mentionne aussi le fait que plusieurs participants ont posé des questions sur les diacres féminins et demandent avec prudence que l’on poursuive la réflexion à leur sujet. Dans son discours de clôture, le pape François a immédiatement promis de relancer le comité d’étude sur le diaconat des femmes qu’il a créé en 2016 mais qui n’a pas présenté jusqu’ici de résultats clairs, et de l’élargir à de nouveaux membres. Il va sans dire que les forces plus conservatrices dans l’Eglise ne seront pas satisfaites de ces ouvertures aux hommes mariés et aux diaconesses, même si elles restent de grandes exceptions. Il s’agit notamment du Français Dominique You, évêque de Santissima Conceição do Araguaia. « Nous avons 400 communautés dans 10 paroisses. Il y a 18 prêtres, 25 sœurs et 6 femmes consacrées. Partout où l’Eucharistie peut être célébrée au moins 4 ou 5 fois par an. Ces dernières années, nous nous sommes fortement engagés dans la pastorale des vocations, et cela porte ses fruits. Il y a 18 séminaristes. Il faut défier les jeunes et leur offrir un idéal. Le célibat peut les attirer comme charisme prophétique. Les prêtres sont mariés au Christ, à l’Église et à leur peuple. Ils veulent donner leur vie entièrement pour eux. Redécouvrons la valeur du célibat et prions pour les vocations au lieu de mettre de côté ce don. De toute façon, il n’y aura jamais assez de prêtres pour célébrer l’Eucharistie chaque semaine dans toutes les communautés », estime-t-il.
Et de poursuivre: « Nous venons juste de commencer notre formation diaconale. Au cours des deux premières années, il y a neuf candidats. Grâce à une plateforme Internet, ils peuvent suivre une partie de leur parcours de formation à distance. Le nombre de candidats va certainement augmenter. Il existe déjà une diversité de postes. Il est particulièrement important d’enthousiasmer les gens à ce sujet. Les femmes peuvent également occuper de nombreux emplois. Je pense au leadership de notre nouveau comité sur l’écologie ou à l’aide aux nombreux migrants internes qui résident dans notre diocèse. »
Proximité
Mgr Dickmans souligne l’augmentation du nombre d’églises pentecôtistes comme toile de fond de ces discussions. « Ils tiennent aux gens une théologie de la prospérité qui est attrayante pour certains. Ils n’offrent pas d’aide, mais disent que Jésus résoudra tout. L’engagement en faveur de la justice, de la paix et de la sauvegarde de la création leur est étranger. Ils font de la foi une affaire privée. » Mgr Choennie le rejoint : « Ils veulent la religion comme l’opium pour le peuple. La pauvreté et l’injustice sont ainsi maintenues. Là où l’Eglise catholique d’Amérique latine, après le Concile Vatican II et avec la théologie de la libération, a défendu les droits et la justice, les Eglises pentecôtistes séparent à nouveau foi et vie. C’est pourquoi la formation des laïcs est si importante, pour qu’ils puissent voir que la foi et l’économie sociale sont liées ».
« Si l’Eglise catholique n’est pas présente auprès des gens, mais ne leur rend visite qu’occasionnellement, alors les Églises pentecôtistes menacent de nous prendre le relais. Si notre église veut survivre là-bas, des changements sont nécessaires « , ajoute Mgr Dickmans. « Soyons clairs : il ne s’agit pas des églises protestantes traditionnelles avec lesquelles nous travaillons bien dans l’entretien de notre maison commune. »
Comme l’indique le document de travail du synode, il est urgent de passer d’une « Eglise qui vient en visite » à une « Eglise qui reste présente ». Comment est-ce possible ? « En déployant de nouveaux ministres. En donnant aux femmes qui portent déjà dans les communautés un rôle plus fort, également dans la hiérarchie de l’Eglise. Cependant, nous devons nous assurer que nous restons une église servante pour les pauvres qui défend tous les gens. De plus, ce nouveau pacte de catacombes pour une église pauvre, prophétique, solidaire et samaritaine qu’un groupe d’évêques, de membres du clergé et de laïcs a signé le dimanche 20 octobre, était un signal important. Les mêmes sons sont maintenant reflétés dans le document final « , explique Mgr Dickmans.
Selon lui, il y a des diocèses au Brésil avec suffisamment de prêtres, mais il n’y a pas de missionnaires prêts à travailler en Amazonie. « Beaucoup de prêtres ne voulaient pas quitter leur zone de confort. Ils ne voulaient pas d’une vie sans luxe. Encore une fois, il n’est pas responsable de laisser les communautés sans Eucharistie, parce que c’est la source et l’aboutissement de la vie chrétienne. Une église sans eucharistie et les autres sacrements n’est pas une Eglise catholique, n’est-ce pas ? Nous avons maintenant besoin d’une réponse à la douloureuse pénurie de prêtres. Nous ne pouvons pas rentrer les mains vides. Les yeux sont maintenant tournés vers le pape. »
Notre mode de vie
En plus de la pastorale en Amazonie, le synode a mis l’accent sur la recherche d’une écologie intégrée. « Nous avons souvent entendu des témoignages émouvants sur le changement climatique perceptible, le refus politique de s’attaquer à l’injustice et à la destruction de la nature, les dangers encourus par les activistes, la violence, l’agression, la corruption et la traite des êtres humains. Il est clair que la menace vient de l’extérieur, du modèle économique qui tue les gens et l’environnement « , souligne Josiane Gauthier, secrétaire générale de la CIDSE, la famille internationale des organisations catholiques qui travaillent pour la justice sociale. « D’après ce que j’ai entendu, j’ai commencé à penser de plus en plus à notre mode de vie occidental. Notre mode de vie a un impact sur le Sud. Le synode parlait de l’Amazonie, mais il a une signification mondiale. »
Le cardinal Oswald Gracias, archevêque de Mumbai en Inde, le confirme. « L’Asie a aussi son Amazone. Le problème climatique de l’Amazonie a un impact universel, et ici aussi, la nature est en train d’être détruite. Ce qui a résonné au synode est reconnaissable pour d’autres continents. Par exemple, j’ai été frappé par la violation des droits humains des peuples autochtones. Mais alors j’ai réalisé que l’Inde a les Dalits, les gens au bas de l’échelle sociale. Nous devons travailler dans le monde entier pour protéger l’homme et la nature. »
« On dit que le Suriname est une région sous-développée, mais de quel développement s’agit-il ? Au Brésil, vous voyez que le développement signifie la destruction. Nous devons réfléchir sérieusement au modèle de croissance « , renchérit Mgr Choennie. « La colonisation a causé beaucoup de blessures et vous remarquez qu’elle n’a pas guéri. En même temps, on a le sentiment que la mentalité coloniale prévaut toujours et que l’Occident et la Chine n’ont toujours aucun respect pour nos peuples, leurs cultures ou leur cadre de vie. L’Eglise a été en partie responsable de la colonisation, mais aujourd’hui les gens voient l’Eglise comme une alliée dans leur lutte pour les droits fondamentaux et humains.
Renouveau radical et obligation d’agir
Il n’est pas surprenant que la conversion ai été le terme central de ce synode. Les cinq chapitres du document final indiquent, respectivement, la nécessité d’une conversion intégrale, pastorale, culturelle, écologique et synodale. « Sans ces conversions, il n’y a pas de nouvelles voies pour l’Eglise ou l’écologie. Si nous répétons ce que nous avons toujours fait, mais en faisons un peu plus qu’avant, alors ce n’est pas une innovation. Le monde ne s’est pas amélioré. Nous sommes à un point critique. C’est pourquoi nous devons maintenant nous repentir personnellement et collectivement. Le synode portait essentiellement sur notre survie, en tant qu’Humanité, en tant que planète, en tant qu’Eglise », explique Michael Cerny, sous-secrétaire du dicastère pour le Développement humain intégral. « Pendant longtemps, les indigènes ont été étiquetés primitifs, mais en fait ils ont toujours protégé la nature et ils savaient que la bonne vie n’est possible que si vous vivez en harmonie avec la création, vos semblables humains et Dieu. En Occident, le bien-vivre n’est pas compris comme une harmonie, mais comme un confort. Cependant, le luxe débridé ne vous rend pas heureux. Pour l’Occident et la Chine, la nature n’a pas l’air d’une chose, tandis que les Amazoniens voient les ressources naturelles, les arbres et l’eau comme faisant partie de la Terre nourricière et que votre mère ne vous vend pas,souligne Mgr Choennie.
Josiane Gauthier acquiesce d’un signe de tête approuvant la sagesse des autochtones qui peut apporter des solutions aux problèmes. « L’Occident est en partie responsable de ces problèmes par la colonisation et l’économie. Cependant, nous ne devons pas seulement nous sentir coupables, nous devons aussi chercher des alternatives et les rendre possibles. La CIDSE fait déjà du lobbying politique et continuera à le faire, mais en même temps, elle doit profiter de cet élan pour agir davantage « , déclare le Secrétaire général de la CIDSE.
« Tous les problèmes qui ont été discutés pendant le synode sont des questions sur lesquelles nos organisations travaillent : écologie, mines, droits fondamentaux et droits de l’homme, criminalisation des activistes… Nous pouvons donner aux voix de l’Amazonie un forum et inviter des leaders indigènes comme témoins, par exemple à l’UE. L’Eglise elle-même fait autorité sur toutes ces questions, y compris par l’intermédiaire de ses représentants permanents auprès des organisations des Nations Unies. Son réseau est mondial, elle écoute les cris de la terre et des pauvres et leur prête sa voix. Bien sûr, un synode ne peut pas résoudre tous les problèmes du monde, mais l’Église peut choisir son camp. Elle peut donner un exemple et un message et elle peut aussi se convertir, surtout lorsqu’il s’agit de rendre plus justice aux femmes et aux peuples autochtones. L’Eglise est du côté des victimes du système économique, du côté de ceux qui souffrent et qui n’ont pas leur place aux tables où les décisions sont prises. Nos organisations s’appuient sur l’Eglise et, inversement, elles s’en inspirent et nous cherchons à donner corps à son message. Nous voulons réaliser ce que l’Église dit de l’écologie, de l’humanité et du vivre ensemble. En tant que chrétiens, nous n’avons pas le choix de nous engager ou non pour la justice, la paix et le soin de la création ; non, c’est notre devoir de sauver la vie et la planète. Cela fait partie de notre foi. » Il n’est donc pas étonnant que le synode ait eu l’œil pour les nombreux projets diaconaux, allant du navire-hôpital que Mgr Bahlmann utilise pour guérir corps et âme, aux projets à Bishop You pour prendre soin des adolescentes enceintes, aux nouvelles actions écologiques. « Notre charité n’est pas séparée de notre inspiration chrétienne. Elle nous donne l’occasion de témoigner du Christ en paroles et en actes « , conclut Mgr Bahlmann.
Emmanuel Van Lierde (Tertio)/jjd
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