Le marché du numérique et de l’électronique a connu une progression fulgurante ces dernières années. Smartphones, ordinateurs, télévisions et autres objets connectés font désormais partie de notre quotidien et ne cessent de nous éblouir par leurs capacités. Toutefois, ces technologies de pointe nécessitent énormément de métaux rares: or, étain, cuivre, coltan, tungstène, cobalt ou malachite… la liste est encore longue.
A cette surconsommation numérique sont venues s’ajouter les technologies de transition énergétique. Les politiques environnementales prônent le « tout à l’électrique » alors que la fabrication des batteries et de multiples composants demande une très grande quantité de métaux. Loin d’une exploitation mesurée, respectueuse de l’environnement et des travailleurs, l’extraction de ces minerais précieux se fait dans des conditions archaïques et au détriment d’une population, sacrifiée à des fins économiques.
Aux mains des groupes armés A l’est de la RD Congo, le Sud-Kivu suscite les convoitises en raison de ses réserves en minerais. Quelques sociétés internationales y sont déployées pour une exploitation industrielle, en délocalisant parfois des villages entiers pour installer des sites miniers (voir l’exemple de Cinjira en page 9) et en payant des taxes très marginales qui généralement ne bénéficient pas à la population locale, l’argent partant vers Kinshasa ou étant détourné. En parallèle, la province compte 900 mines où travaillent 80.000 exploitants artisanaux: creuseurs, pileuses et parfois des enfants.
C’est autour de ces mines artisanales que gravitent les groupes armés. D’après l’institut de recherche IPIS, ils seraient au nombre de cent-vingt dans l’est du Congo. Leur présence s’est intensifiée dans les années qui ont suivi le génocide de 1994 au Rwanda. Des génocidaires rwandais, les Interahamwes, se sont réfugiés dans les forêts du Kivu. Organisés par la suite en FDLR (Forces de libération du Rwanda), ils ont multiplié les attaques contre des villages en pillant, violant et tuant. Des groupes de défense se sont alors formés.
Aux côtés des Maï-Maï et du M23 (d’anciens militaires), les groupes de défense ont rapidement évolué en groupes armés. Les plus actifs sont les Raïa Mutomboki (« les citoyens en colère »), semant la terreur dans les territoires de Shabunda au nord de la province et Kalehe, à l’ouest. Ces derniers ont progressivement abandonné leur combat contre les FDLR pour se concentrer sur le contrôle des ressources. Ils prélèvent des taxes illégales dans les carrés miniers ou sur les routes en y installant des barrières (roadblocks). Le choix pour la population est simple: payer ou risquer de se faire tuer. Sans être inquiétés par les autorités.
Dans un message publié le 21 juin, les évêques congolais s’étonnent que l’armée, soutenue par la MONUSCO, ne parvienne pas à neutraliser les groupes armés, nationaux et étrangers qui « prolifèrent, sèment la mort et la désolation, comme si l’Etat n’existait pas ! (…) Les populations ont le sentiment d’être abandonnées. » Ces groupes rebelles participent aussi pleinement au trafic de minerais par des filières clandestines vers les pays voisins qui, en contrepartie, les fournissent en armes. Plusieurs observateurs, membres de la société civile, mais également un haut gradé de l’armée congolaise (FARDC), nous confient que certaines milices seraient dirigées par des hommes politiques ou protégées par des militaires et des magistrats corrompus.
L’abbé Jacques Bulambo Wilondja, membre de l’Observatoire national des ressources naturelles, confirme: « Avec les groupes armés, toutes les ressources possibles sont exploitées: bois, essences rares, défenses d’éléphant et bien sûr les minerais ». Mais ils ne sont pas inquiétés par les autorités: « Des rebelles sont aux ordres de politiciens basés à Kinshasa. Plusieurs quartiers miniers appartiennent à des officiers militaires ». « La violence dépasse l’entendement » Pour s’assurer la main mise sur un territoire, les groupes armés multiplient les violences et font régner un climat de terreur.
Leur présence est ainsi devenue la première cause des déplacements massifs de population: 800.000 personnes au Sud-Kivu sont aujourd’hui encore déplacées dans leur propre pays. Les morts se comptent par dizaines chaque semaine, sous le regard impuissant de la population rurale. Les viols de masse se répandent également. Dans la province, 700 cas ont été recensés entre avril et juin 2019.
Ils sont généralement le fait d’une ethnie qui s’en prend à une autre. « Les viols collectifs sont méthodiques. Ils sont devenus des armes de guerre à moindre coût. Ils ne concernent plus uniquement des femmes: les hommes, les enfants et les bébés en sont aussi victimes », analyse le docteur Christine Amisi, secrétaire général de la Fondation Panzi. « La violence dépasse l’entendement. On soigne des enfants dont les organes génitaux sont détruits. Les femmes sont victimes de coups de machettes dans l’appareil génital ou de tir par balle. Les hommes sont violés devant leur famille ou leur communauté pour les humilier et les détruire mentalement. » Ces pratiques barbares étaient auparavant le fait des FLDR, elles sont aujourd’hui reprises par des militaires ou des membres de groupes armés. Cependant, lorsque les agresseurs sont identifiés et que la procédure juridique aboutit à un procès, les peines sont lourdes: « Un auteur de viol encourt 15 ans de prison. Lorsque les actes sont jugés comme crime contre l’humanité, la peine est la perpétuité. Mais encore faut-il pouvoir identifier les auteurs et surtout pouvoir financer les démarches juridiques », déplore Christine Amisi.
La Fondation Panzi plaide en faveur d’un fonds national d’indemnisation des victimes. Elle souhaiterait également la création d’une instance judiciaire internationale pour le Congo afi n de juger les crimes de violence sexuelle.
✐Manu VAN LIER, envoyé spécial en RDC