De plus en plus de chrétiens ne fréquentent pas la paroisse la plus proche de chez eux. Mais prennent le temps de choisir la communauté qui les attire le plus. Ce phénomène révèle d’importantes mutations sociétales et ecclésiales. Il pose aussi plusieurs questions.
« Pendant plusieurs mois, j’ai été pousser la porte de différentes églises. Le temps de trouver l’endroit où je me sentais à l’aise… » Tous les dimanches, Chantal participe à la messe de l’église Saints-Marie-et-Joseph de Blocry, à Louvain-la-Neuve. Logique? Pas forcément. Car cette jeune grand-mère habite à Wavre depuis quelques années. Et pas moins de cinq paroisses sont géographiquement plus proches de son domicile que Blocry. Alors, pourquoi ce choix? « Pour moi, le plus important est ce qui se vit, et comment cela résonne en moi », explique cette fidèle. « Ce qui m’a frappée ici, c’est l’esprit communautaire, la convivialité entre les personnes, l’esprit de service, et probablement aussi le décor dépouillé de l’édifice. »
Quelques kilomètres supplémentaires…
Chantal n’est pas la seule. Ils sont même de plus en plus nombreux à choisir leur paroisse. A rechercher un lieu qui leur convienne. Dans certains cas, bien sûr, cela peut être la paroisse la plus proche. Lorsque Pascale et Fabian, jeunes mariés, débarquent à Louvain-la-Neuve, c’est tout naturellement qu’ils poussent la porte de l’église Notre-Dame d’Espérance, dont ils aperçoivent le clocher de leur fenêtre. « Dès le début, on s’y est sentis bien », explique Pascale. « La beauté du lieu est évidemment très présente. Elle favorise la communion. Le prêtre est aussi important, pour son accueil et sa faculté de s’adapter à tous ses paroissiens. » Touchés par Notre-Dame d’Espérance, Pascale et Fabien lui sont demeurés fidèles après leur emménagement à Ottignies.
En réalité, de plus en plus de chrétiens sont prêts à faire quelques kilomètres supplémentaires pour trouver un lieu inspirant. « La proximité est un critère important mais pas essentiel », estime Catherine, habituée de la paroisse Saint-Pierre, à Woluwe-Saint-Pierre. « En même temps, nous ne ferions pas des kilomètres chaque semaine pour aller à la messe, sauf si le nombre de paroisses devait diminuer et que cela s’avérait nécessaire. » Pour Catherine, trois éléments se sont révélés décisifs dans le choix de la paroisse: le prêtre, la communauté et les chants. Aujourd’hui, elle se sent vraiment membre de la communauté de Saint-Pierre. « C’est une paroisse à taille humaine, avec un prêtre formidable, où tout le monde se connaît, où chacun met la main à la pâte et où les enfants sont les bienvenus. »
Suivre le prêtre ou le guitariste
Distance raisonnable, qualité de la vie communautaire, affinités avec le prêtre et goût pour ses homélies sont quelques-uns des éléments qui reviennent lorsqu’on interroge les gens sur le choix de leur paroisse. La qualité de l’animation musicale est aussi régulièrement citée. Pour les parents, un autre critère s’avère crucial: l’accueil réservé aux enfants.
Reste que cette tendance à choisir son clocher a une conséquence: elle favorise le nomadisme paroissial. « Je change régulièrement d’église », reconnaît Damien, trentenaire du Tournaisis. « Quand je ne me sens plus nourri, je vais ailleurs. » Divers événements peuvent favoriser le changement. Certains sont liés à la vie de la paroisse. Combien de « fidèles » n’ont-ils pas quitté leur lieu de culte habituel quand le dynamique guitariste cessa d’assurer le service musical? Combien de chrétiens n’ont-ils pas suivi leur vicaire préféré lorsque celui-ci fut nommé dans un autre doyenné? Des facteurs liés à la vie du paroissien peuvent aussi favoriser le changement: l’arrivée d’un enfant, une séparation, la découverte d’une communauté nouvelle, un accroc de santé ou, bien évidemment, un déménagement. Ces faits de vie peuvent inciter le paroissien à faire un nouveau tour d’horizon. Et, dans certains cas, à changer de paroisse.
La mode du zapping
Un autre phénomène qui n’est pas rare, c’est le zapping paroissial. Le principe: une semaine, on va ici, et la semaine suivante, on va là-bas. « Aujourd’hui, tout en ayant une paroisse principale, nous tournons autour de trois églises et d’une chapelle dépendant de notre paroisse », reprend Catherine. « Nous habitons dans une grande ville et apprécions de pouvoir varier facilement si le cœur nous en dit. »
Si une ville comme Bruxelles permet le zapping, certaines régions… le condamnent! C’est le cas de ces vastes zones où les clochers sont bien plus nombreux que les prêtres. La Belgique compte 4.296 paroisses pour 2.700 prêtres diocésains. De nombreux pasteurs ne sont plus rattachés à un clocher précis. De plus en plus, pour communier, on doit se déplacer! « Tout un temps il y a un prêtre qui était formidable et je le suivais chaque dimanche dans la paroisse où il célébrait », témoigne encore Damien.
Engagement et désaffection
Nomadisme et zapping s’inscrivent dans le contexte d’une Eglise en mutation. En raison de la baisse des effectifs, le contraste s’accroît entre certains pôles particulièrement vivants et d’autres sérieusement assoupis. Nomadisme et zapping sont aussi le fruit d’une époque. De nos jours, la liberté de choisir est presque devenue… dogmatique! Pouvoir choisir sa paroisse n’est d’ailleurs pas forcément un mal. « Toutes les paroisses devraient offrir une nourriture spirituelle », souligne Emmanuel de Ruyver, vicaire à la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Wavre. « En même temps, si votre paroisse devient un lieu de combat, peut-être est-il bon d’aller chercher ailleurs. »
L’infidélité des fidèles pose toutefois une grande question: celle de l’engagement. Une communauté peut-elle grandir si ses membres se font volages? De même, une paroisse peut-elle fonctionner si elle ne peut s’appuyer sur des piliers prêts à s’engager dans la durée? « A certaines périodes de la vie, on a surtout besoin de ressourcer; à d’autres, on peut davantage donner », analyse le père de Ruyver. « Mais de manière générale, on ne peut être un simple consommateur. »
Nul doute que ces enjeux se poseront de plus en plus avec le temps. Comment favoriser l’insertion dans une communauté? Comment maintenir des lieux de croissance et de vie? « La paroisse est importante car elle permet un enracinement », reprend le père de Ruyver. « En même temps, elle est moins une référence que par le passé. Cela pose notamment la question de savoir s’il n’est pas utopique de vouloir maintenir toutes les paroisses? » Le train est lancé: entre 2012 et 2016, en Belgique, pas moins de 75 églises ont été désaffectées. Sur le long terme, il faudra donc de plus en plus choisir. Mais les possibilités se feront de moins en moins nombreuses.
Vincent DELCORPS