Depuis longtemps, l’Eglise chemine aux côtés des migrants. Le dominicain Mark Butaye, secrétaire général de la commission Pro Migrantibus, nous explique comment l’engagement des chrétiens a évolué au fil du temps. Tant en Belgique qu’au Vatican.
Peut-on dire que l’Eglise se préoccupe des migrants?
Oui, et depuis longtemps! Dès 1914, le pape Benoît XV s’intéressa aux migrants italiens. La préoccupation était d’abord pastorale: il fallait que les Italiens qui quittent leur pays ne perdent pas leur foi. A l’époque, l’Eglise encouragea de nombreux prêtres à accompagner ces migrants. Cette logique a longtemps dominé. Elle a contribué à l’émergence de nombreuses communautés d’origine étrangère dans les pays d’accueil.
Aujourd’hui, la logique est un peu différente…
Oui, elle a changé en 2004. L’Eglise a alors considéré que la responsabilité pastorale des migrants incombait dorénavant à l’Eglise d’accueil. C’est une évolution majeure. Depuis lors, les personnes d’origine étrangère ont de moins en moins un aumônier qui leur est propre – ce qui est aussi lié à la diminution du nombre de prêtres. De plus en plus, ils sont invités à s’intégrer au sein des communautés locales.
Et ça marche?
On observe que de plus en plus de choses se vivent ensemble: célébrations, catéchèse, formation… Les personnes d’origine étrangère intègrent aussi les organes de décision. Dans certaines paroisses, cela fonctionne très bien. Depuis de longues années, la paroisse Saint-Antoine de Gand en est un bel exemple. On y a le souci de la particularité et de la communion. Chaque mois, il y a un temps commun, avec un repas…
En 2015, l’Europe a été confrontée à d’importants flux migratoires et à une crise de l’accueil. Comment l’Eglise a-t-elle réagi?
L’Eglise a dû changer son approche. Il ne s’agissait plus d’offrir seulement une perspective pastorale, mais aussi de s’inscrire dans une logique de diaconie. Très concrètement, le pape François a invité chaque paroisse à accueillir une famille de migrants.
Le pape semble particulièrement préoccupé par ces questions…
Il suit ces questions de très près. Il a d’ailleurs procédé à une importante réforme en plaçant sous sa responsabilité directe une section « Migrants et réfugiés ». Chaque semaine, le pape fait le point sur les travaux de cette section. Le Vatican a aussi collaboré au « Global Compacts » des Nations unies. L’Eglise a osé prendre une position claire sur des questions très difficiles. En 2018, elle a également organisé une grande conférence sur le trafic humain, afin d’inciter l’ONU à prendre en compte l’exploitation de migrants.
Et en Belgique?
Les chrétiens ont fortement répondu à l’appel du pape. L’Eglise s’est beaucoup engagée dans l’accueil des migrants, en cherchant des logements, en offrant du matériel, en facilitant la scolarisation… Partout, on a vu naître des équipes. Des gens se mouillent, alors même que nos ministres se montrent parfois moins favorables. C’est un phénomène nouveau, et qui perdure… Je suis fier de ce que notre Eglise fait par rapport aux migrants!
En même temps, de nombreux chrétiens se montrent inquiets face à l’arrivée de migrants…
Théologiquement et pastoralement, il est indiscutable que le chrétien est appelé à accepter l’autre tel qu’il est – et surtout celui qui est dans la précarité. Même si c’est difficile, il faut s’ouvrir à l’autre, de grand cœur. Le pape et nos évêques sont très clairs à ce sujet. En même temps, vous avez raison: beaucoup de gens ont peur. La peur n’est pas neuve: au début des années 1970, on craignait surtout que les migrants prennent notre travail. Aujourd’hui, la peur me semble moins rationnelle. Certains redoutent de perdre leur mode de vie, la propriété de leur civilisation…
Comment les rassurer?
Ce qui aide, c’est de rencontrer les migrants. Un élément me semble important: agir en groupe. Dans de nombreuses paroisses, il y a des actions collectives, cela marche bien. Agir individuellement est souvent plus compliqué.
Vincent DELCORPS