Colloque: le défi de la sécularisation dans l’Eglise d’Afrique


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Colloque: le défi de la sécularisation dans l’Eglise d’Afrique
Les participants au colloque international, Abbaye de Maredsous
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
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Les participants au colloque international, Abbaye de Maredsous © Centre Vincent Lebbe

Du 21 au 24 mai 2019, à l’Abbaye de Maredsous, s'est tenu le colloque théologique international portant sur le thème: "Cultures, sécularisation et théologie africaine". Cette rencontre, organisée par le Groupe de Recherche sur la Théologie africaine du Centre Vincent Lebbe (UCLouvain), a réuni des théologiens africains et européens ainsi que des évêques africains et belges. Dom Bernard Lorent, Abbé de l'Abbaye de Maredsous, revient sur quelques enjeux importants de ce colloque.

Lors du colloque international qui s'est déroulé à l'Abbaye de Maredsous en mai dernier, différents évêques et théologiens ont, notamment, réfléchi à la question de la sécularisation en Afrique. Le monde scientifique et académique y était représenté par les professeurs issus de quatre universités catholiques d’Afrique : l'UCAO (Université catholique d'Afrique de l'Ouest, Abidjan-Côté d’Ivoire), l'UCAC (Université catholique d'Afrique centrale, Yaoundé-Cameroun), la CUR (Catholic University of Rwanda, Butare-Rwanda), (UCACO (Université catholique du Congo, Kinshasa-RDC), et les institutions universitaires catholiques européennes telles que l’UCLouvain, la KULeuven, l’Institut Catholique de Paris.

Du côté de l’Église, étaient présents le cardinal Jozef De Kesel, archevêque de Malines-Bruxelles, Monseigneur Jean Mbarga, archevêque de Yaoundé, Monseigneur Philippe Rukamba, évêque de Butare, Monseigneur Fulgence Muteba, évêque de Kilwa-Kasenga, en RDC, ainsi que Dom Bernard Lorent, Abbé de Maredsous. La présence de Monseigneur Jean-Pierre Delville, évêque de Liège et de Monseigneur Pierre Warin, évêque de Namur, parmi les participants, a montré l’intérêt de ce colloque pour l’Église belge.

Plus de 150 personnes, essentiellement des étudiants de l'Institut Lumen vitae, des prêtres africains œuvrant en Belgique, d'anciens missionnaires belges en Afrique, et des doctorants venant de facultés de théologie en Belgique, Italie, Suisse, Allemagne, Finlande, France, ont participé à ce colloque international dont les actes devraient paraître très prochainement.

Professeur à l'Université catholique du Rwanda et à l'UCLouvain, Jean-Paul Niyigena, a recueilli les réflexions du Père Bernard Lorent, Abbé à Maredsous, au sujet du thème de ce colloque: "Cultures, sécularisation et théologie africaine".

Dom Bernard Lorent, en quoi l’accueil de cette rencontre ecclésiale et académique dans votre Abbaye rejoint-il votre charisme ?

Dom Bernard Lorent © Centre Vincent Lebbe

Je dirais, en deux points, que la tenue de ce colloque international au sein de notre Abbaye de Maredsous répond à notre charisme. Premièrement, en tant que Bénédictins, nous accueillons tout le monde qui vient vers nous, quelles que soient les raisons. L’hospitalité fait partie de notre charisme bénédictin. Deuxièmement, l’Abbaye de Maredsous a une histoire riche dans l’œuvre missionnaire et évangélisatrice des peuples. En effet, depuis le 19ème siècle, les moines de Maredsous sont partis évangéliser le Brésil. Au 20ème siècle, une partie du Katanga a été évangélisée également par les moines de notre Abbaye et de notre congrégation et, en 1958, l’abbaye de Maredsous a fondé le monastère de Gihindamuyaga au Rwanda. Ces deux raisons, l’une propre à la vocation générale des bénédictins et l’autre relative à l’histoire missionnaire de notre Abbaye, justifient le fait que ce colloque international sur le thème de "Cultures, sécularisation et théologie africaine" a été bien accueilli et bien vécu dans notre abbaye.

Le thème de ce colloque met au centre la théologie et l’Église africaines. Pensez-vous que la vie monastique comme l’Église de Belgique doivent être attentives à ce qui se passe dans l’Église en Afrique ? Pourquoi ?

Il est évident que la réponse est oui ! Il y a plusieurs éléments pour nous convaincre que la vie monastique et l’Église de Belgique sont appelées à s’intéresser à ce qui se vit dans l’Église en Afrique. Comme vous le savez, la vie monastique est une partie non négligeable de la vie de l’Église. Dans ce sens, il y a beaucoup de monastères en Afrique. Ils sont les composantes de l’Église dans cette partie du monde. Ensuite, l’Église de Belgique et l’Église d’Afrique partagent un passé important. A ce double titre, il est normal que ce colloque ait eu lieu dans notre Abbaye et en Belgique.

Cependant, le passé ne doit pas être le seul lieu sur lequel les deux Églises doivent se rencontrer. Il faut qu’il y ait également un futur commun. Vous le savez, notre Église européenne accueille de plus en plus de prêtres venus d’Afrique. Ces derniers sont dans les paroisses et s’engagent au service des communautés chrétiennes. C’est important de soutenir leur formation, d’identifier les questions auxquelles ils peuvent faire face dans notre Église, cela dans le souci de les rendre plus outillés et plus efficaces dans leurs activités pastorales au sein d’une culture sécularisée qui est la nôtre. En cela, ce colloque fut d’une grande importance puisqu’il a mis l’accent sur le questionnement de la place de l’Évangile dans les sociétés où la sécularisation est présente, certes, de différentes manières mais toujours est-il que la sécularisation est une réalité. La force de ce colloque réside dans le dialogue de théologiens et de pasteurs de plusieurs horizons culturels, sociologiques et géographiques, etc.

Les évêques doivent cesser d’avoir peur des théologiens. Les deux sont au service de l’Église. L’Église doit donc se réjouir de la chance qu’elle a d’avoir des théologiens de bonne qualité. Les évêques doivent entrer en dialogue avec ces théologiens car ceux-ci constituent un moyen fiable permettant d’identifier les défis de l’Église, d’ouvrir les perspectives nouvelles et de ne pas avoir peur d’habiter le temps qui est le nôtre. Une théologie sérieuse, comme cela a été repris lors de ce colloque, doit s’enraciner dans d’autres sciences humaines, telles que la sociologie, l’économie, la philosophie, etc. C’est à cette condition que le discours théologique peut être une chance pour l’Église. La théologie nous dit ce qui mérite d’attirer notre attention en tant qu’Église. Ce colloque s’est donné la mission de mettre le doigt sur la sécularisation. Ce questionnement a été réussi aussi bien pour l’Église d’Afrique que l’Église de Belgique.

Vous êtes engagé, ces dernières années, dans différents colloques internationaux de théologie. Pouvez-vous nous expliquer quelques éléments qui vous ont marqués ? Comment ces rencontres constituent-elles une plus-value pour la mission de l’Église aujourd’hui ?

Ce colloque est le troisième de ce type auquel j’ai la chance de participer. J’apprécie les évêques africains qui prennent le temps d’écouter les théologiens, de dialoguer avec eux sur un thème bien précis. Ceci devrait être établi comme une pratique régulière dans toutes les Églises particulières. Le travail rigoureux de théologiens sérieux réveille l’Église par rapport à des réalités auxquelles elle ne fait pas toujours attention. Cela ne signifie pas qu’il y a une confusion entre les deux institutions, académique et ecclésiale.

Chacune doit rester autonome, comme cela fut voulu à la création des universités au Moyen Age. C’est effectivement parce qu’il y a distinction que la théologie peut servir l’Église et que l’Église devient l’objet de la théologie. Le seul élément fondamental qui me marque lors de ces rencontre c’est le dialogue, le partage, l’étonnement qui en découle, chez les uns et les autres. En effet, quelles que soient les différences, il est important de constater les points communs que les participants partagent. Les colloques ont une plus-value pour la mission de l’Église pour la simple raison qu’ils permettent le dialogue et le questionnement sur la vie de l’Église aujourd’hui.

Quels sont les défis et les perspectives de l’Église de l’Afrique aujourd’hui, d’après ce colloque ?

Ici, je ne m’adonnerai pas à l’exercice d’énumérer les points. Je constate une chose, dans ma connaissance de l’Afrique et dans les différentes conférences à ce colloque. Je reviens sur ce que je disais à propos de l’importance des colloques de ce genre. En effet, les colloques servent à faire apparaître les défis, à travers le dialogue. Ce qui sort des colloques auxquels j’ai dernièrement participé, que ce soit les deux colloques organisés au Rwanda ou ce colloque qui s'est tenu dans notre Abbaye, c’est que l’Église d’Afrique est marquée par la croissance.

Il y a la croissance du nombre de baptisés, la croissance du nombre de prêtres, la croissance du nombre de paroisses, etc. Cependant, cette croissance ne doit pas seulement être admirée, il faut la questionner. Par exemple, lors de ce colloque, il est ressorti que, pour beaucoup de conférenciers africains, quand ils parlent de la culture, ils mettent l’accent sur la culture précoloniale. Celle-ci a-t-elle beaucoup de sens pour le nombre important de jeunes africains à l’heure des réseaux sociaux ? La croissance exige une autre manière d’envisager la culture. Une façon dynamique et ouverte aux problématiques de la culture telle qu’elle se présente aujourd’hui, pour les jeunes générations, etc. Il est important de passer à d’autres perspectives qui puissent frayer de nouveaux chemins et proposer des raisons fiables d’espérer.

Par exemple, il conviendrait d’examiner comment l’Eglise d’Afrique grandit en sainteté et pas seulement en chiffres. C’est la question évangélique de sanctifier l’Église. L’Afrique a besoin de saints, au sens de l’Évangile. L’Église est appelée à créer les conditions susceptibles de donner naissance à la vie de sainteté pour ses membres. Ce nouvel horizon pousserait à dépasser les clivages les plus connus entre les clercs et les laïcs, entre les femmes et les hommes, entre les adultes et les jeunes, etc. Tel est le défi important de l’Église en Afrique.

Lors de ce colloque, vous avez pu échanger avec les évêques belges et les évêques africains. Quelles sont vos impressions sur la réception de cet événement académique et ecclésial ?

Cela m’a toujours frappé de constater que les évêques sont très intéressés par ces moments. Cela montre que, à côté de la gestion quotidienne de leurs diocèses, entre les préoccupations pastorales et financières, les évêques ont besoin de vivre ces moments d’échange et de rencontre sérieux pour les stimuler davantage dans leur mission. Cela a été exprimé publiquement par les évêques qui interviennent chaque fois dans ces colloques. C’est un moment de fraîcheur et de renouveau pour eux. Ils écoutent attentivement les différentes interventions et sont frappés de voir qu’ils partagent, de manière insoupçonnée, certains problèmes avec leurs confrères, avec une autre Église. Il y a, finalement, le côté stimulant pour nous tous qui sommes engagés, que ce soit dans l’Église ou dans les universités, de se retrouver, de dialoguer, d’échanger, et enfin d’envisager les collaborations durables.

Que diriez-vous de l’avenir de ces rencontres ?

Je propose une chose : que cela se poursuive ! Ces rencontres créent des liens et offrent une occasion rare de se dire des choses, d’apprendre des autres et finalement de faire Église.

Propos recueillis par le Professeur Jean-Paul Niyigena (Université catholique du Rwanda, UCLouvain)


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