L'abbé Pierre Simons vient de fêter ses 50 ans de sacerdoce. Un demi-siècle d'apostolat qu'il a vécu au Rwanda, où il a fondé deux orphelinats. Le génocide n'a pas eu raison de sa détermination à s'occuper et à protéger ses enfants. Rencontre.
Le 28 juin 1969, Pierre Simons était ordonné prêtre à la Calamine par Mgr Van Zuylen. Ce dernier lui avait demandé de s'engager dans un vicariat, à Eupen ou Verviers, avant d'envisager d'autres missions. En effet, le souhait de l'abbé Simons était de partir à l'étranger comme prêtre Fidei Donum. Huit jours avant son ordination, l'abbé Simons est convoqué à l'évêché: le prêtre qui devait partir pour le Rwanda ne peut s'y rendre pour raison familiale. L'abbé Simons se voit donc proposer de le remplacer. "Si tu veux, tu peux y aller tout de suite." L'abbé Simons n'a pas hésité, si bien que cinquante ans plus tard, il y vit toujours.
Auprès des enfants des rues
A Nyanza, des missionnaires liégeois ont fondé le Collège du Christ Roi. L'abbé Simons y enseignera pendant 26 ans. Mais, le soir, après le cours, lors de ses promenades dans le centre-ville, il croise des "enfants à problèmes", seuls, démunis, abandonnés. "En discutant avec eux, j'ai compris que je pouvais me rendre utile." C'est aussi avec ces enfants des rues qu'il apprend la langue du pays, le kinyarwanda, "très belle mais très difficile", selon le jubilaire. Il décide alors de fonder un orphelinat. Des deux ou trois enfants recueillis dans un premier temps, ils seront bientôt une centaine, à bénéficier de la protection du prêtre qui continue d'enseigner au collège. Il fondera même une deuxième institution au Mayaga. Pour mener à bien ses projets, l'abbé Simons a toujours pu compter sur le soutien des évêques liégeois et des paroissiens de La Calamine, qui récoltent des fonds pour permettre le développement des infrastructures d'accueil. Les orphelins pris en charge ont pour la plupart perdu leurs deux parents, ont parfois quitté des familles désunies ou plus fréquemment sont nés de filles mères et de pères inconnus. Ils sont scolarisés et certains d'entre eux, arrivés au terme de leur études secondaires, demandent à pouvoir rester pour aider et s'occuper des orphelins.
"Il n'y a que des orphelins"
Avril 1994. La haine et la violence déferlent dans les rues. C'est le début du génocide rwandais, qui durera près de 4 mois et fera 800 000 morts, selon les chiffres de l'ONU. Les Européens et les Américains ont alors fui le pays. "Je ne pouvais pas abandonner les enfants en pleine guerre civile. Alors je suis resté avec eux." L'abbé Simons, par son courage et sa détermination, a pu sauver la totalité des 120 enfants hébergés à l'orphelinat au Mayaga. "Tous les jours, des tueurs - des"Interahamwe" - venaient frapper à notre porte, demandant la liste des enfants avec leur ethnie. J'ai toujours refusé, répondant que je ne m'occupais pas d'ethnies. Il n'y a que des orphelins ici, leur disais-je. C'est une grâce de Dieu que nous ayons pu tous les sauver." L'abbé Simons n'a jamais du se cacher ou cacher les enfants mais bien des adultes. "On les logeait dans le plafond." se souvient-t-il. Quand l'armée de Kagamé a repris le pouvoir, dès qu'elle a pris connaissance de l'existence de l'orphelinat, les soldats sont venus les libérer. L'abbé Simons et les enfants ont été conduits à Nyanza qui venait d'être reconquise. Ils ont alors été pris en charge par la Croix Rouge Internationale et Caritas. Après quelques mois, au gré des déplacements, l'abbé Simons et les enfants retournent au home Don Bosco et "nous y avons repris une vie normale".
De meilleurs lendemains
Sans faire l'apologie du régime, l'abbé Simons nous détaille les progrès enregistrés par le pays depuis l'épisode tragique du génocide. "Je constate que le prédisent actuel travaille beaucoup pour le maintien de la paix. Le pays a également connu ces dernières années des progrès économiques. Les routes sont améliorées, les villages sont progressivement alimentés en électricité." Sur le plan de la santé, le gouvernement veut obliger les Rwandais à s'inscrire auprès d'une mutuelle pour bénéficier d'une couverture en cas de maladie. Les rues et villes sont éclairées et propres. Les Rwandais mènent aussi une véritable lutte contre le plastique. "Il y a 10 ans, il ne faisait pas bon se promener dans les rues le soir. Aujourd'hui, de jour comme de nuit, les rues sont très sures." Dans ce vaste continent africain, où les dictatures l'emportent largement sur les démocraties, le Rwanda est, malgré tout, plutôt bon élève, engrangeant de belles avancées.
"Ce que vous aurez fait au plus petit"
"Je me suis toujours bien entendu avec la population locale et aussi mes confrères prêtres rwandais." nous confie l'abbé. Malheureusement, l'orphelinat devra bientôt fermer ses portes sur décision du gouvernement rwandais. La politique du président Kagamé repose sur la formule "un enfant, une famille". Les bâtiments qui abritaient l'orphelinat seront plus que probablement confiés aux bons soins d'une communauté de bénédictins qui en feront leur monastère. Malgré le génocide, la pratique religieuse est resté très forte. Dans les campagnes, les messe dominicales durent deux heures et sont vécues avec beaucoup de ferveur. "Les gens ne s'ennuient pas à la messe. Ils chantent, ils suivent la célébration. La vie chrétienne est très vivante au Rwanda." L'abbé Simons sera, quant à lui, aumônier d'une paroisse voisine de l'orphelinat. "Le texte qui m'a le plus aidé à vivre, c'est celui du Jugement Dernier. "Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait." (Matt 25, 40). Mais j'aime beaucoup aussi le Bon Samaritain". Nul besoin d'expliquer en quoi ces textes résonnent dans la vie du prêtre belge. Il y a quelques jours, l'abbé Simons a repris l'avion pour rejoindre le Rwanda, sa terre d'accueil. "Je voudrais terminer mes jours là-bas" nous confie-t-il.
Sophie DELHALLE
Illustrations : DR - CathoBel