À quelles difficultés sont confrontés les réfugiés ? Quelle société voulons-nous pour eux ? Ariane Dewandre, coordinatrice d’un projet d’accompagnement des réfugiés reconnus et professeur à Louvain-la-Neuve, nous partage sa vision de l’inclusion des réfugiés dans la société belge. Une interview réalisée par Caritas Belgique, dans le cadre de la campagne #whatishome*.
Comment décririez-vous votre expérience en matière d'insertion des réfugiés?
Ariane Dewandre : Dans la plupart des cas, les réfugié font face à un parcours semé d’obstacles avant qu’ils ne trouvent pleinement leur place dans la société. Mais, malgré ces obstacles, nous remarquons souvent énormément de résilience de la part de ces personnes, et admirons leur volonté et capacité à surmonter ces obstacles et à se reconstruire.
L’insertion est d’autant plus facile, lorsqu’il y a des contacts réguliers avec un citoyen belge – qu’il s’agisse d’un assistant social, d’un propriétaire de logement, d’un conseiller à l’emploi ou d’une personne lambda. C’est par la rencontre que le réfugié se sent exister, reconnu en tant qu’humain. La rencontre fait souvent office d’élément déclencheur pour l’insertion des personnes réfugiées.
Je me souviens de cet homme qui avait perdu espoir parce qu’il ne trouvait pas de logement. Un jour, une propriétaire a accepté de louer son bien et le reste a suivi, il a trouvé du travail et les autres obstacles qui lui paraissaient insurmontables se sont progressivement levés. Grâce à cette personne, il a regagné confiance en lui, en les autres, en son pays d’accueil et en l’avenir. Ce sont ces rencontres du quotidien et ces petits coups de pouce qui font toute la différence pour un réfugié.
Quelle sont les difficultés principales auxquelles les réfugiés reconnus en Belgique sont confrontés?
Les plus grosses difficultés pour les réfugiés récemment reconnus sont l’accès au logement, l’acquisition de la langue et la recherche d’emploi.
Au niveau du logement, nous constatons beaucoup de refus systématiques de location à des réfugiés – notamment car la plupart sont bénéficiaires de l’aide du CPAS au début de leur séjour. Il arrive souvent que seuls les propriétaires de logements de quartiers faisant face à des difficultés socio-économiques acceptent de louer aux réfugiés. Ces derniers se retrouvent alors dans des quartiers où la charge de travail des CPAS est déjà importante, ce qui affecte la qualité de leur travail. À terme, cette réalité maintient voire renforce les inégalités entre les communes.
Un de nos bénéficiaires, un médecin réfugié togolais, avait réussi à trouver un logement à Uccle, pas loin d’un hôpital spécialisé dans son domaine d’étude. Le CPAS lui a permis de se spécialiser en médecine tout en conservant ses indemnités. Un autre CPAS n’aurait jamais permis cela.
Beaucoup ne réalisent pas à quel point la question du logement est fondamentale. Elle détermine réellement tout le reste. Mettre en place une politique du logement adaptée est essentiel pour réduire les inégalités.
Un médecin réfugié togolais, avait réussi à trouver un logement à Uccle, pas loin d’un hôpital spécialisé dans son domaine d’étude. Le CPAS lui a permis de se spécialiser en médecine tout en conservant ses indemnités. Un autre CPAS n’aurait jamais permis cela. Beaucoup ne réalisent pas à quel point la question du logement est fondamentale.
Une seconde difficulté est l’apprentissage de la langue – voire des deux langues. Comme l’offre globale des cours de français est fragmentée, il est extrêmement difficile de trouver une place au sein d’un cours correspondant à son niveau et qui est sur le point de débuter sans devoir s’adresser à mille et un organismes différents. Ce n’est pas le cas des cours de néerlandais qui sont centralisés auprès de la Maison du Néerlandais. La pratique de la langue, bien que fondamentale, est également compliquée. De nombreux réfugiés parviennent au dernier niveau de leur cours de langue mais n’ont toutefois pas le niveau requis pour décrocher un emploi. Cependant, s’ils décident d’entreprendre une activité pour pratiquer la langue – du bénévolat par exemple – ils risquent de perdre leur allocation du CPAS, car ils sont supposés chercher du travail.
Une troisième difficulté est la recherche d’emploi. Celle-ci est compliquée non seulement en raison de la langue, mais également d’obstacles administratifs, comme par exemple la reconnaissance de diplôme. Pour vous donner un exemple concret, un pédopsychiatre syrien avait étudié la médecine dans son pays, et avait même fait une spécialisation en Belgique avant de retourner chez lui. Suite à la guerre, il est revenu en Belgique pour y demander l’asile. Son équivalence de diplôme lui a été refusée car son diplôme principal lui avait été octroyé en Syrie, et ce, alors même qu’il disposait d’une spécialisation d’une université belge. La difficulté de l’accès à l’emploi est également le résultat d’un climat plus large de discrimination et d’exclusion, comme le démontre plusieurs études scientifiques et rapports annuels d’Unia.
Les différentes conditions nécessaires à l’insertion et à l’autonomie des réfugiés forment les pièces d’un puzzle qu’il s’agisse de difficultés en matière de logement, de réunification familiale, d’aide médicale, d’éducation, de garde d’enfants, etc. Elles sont interconnectées. Par exemple, les personnes qui n’ont pas d’emploi auront énormément de difficultés à trouver un logement, leur seule alternative pour payer un loyer étant de bénéficier d’une aide du CPAS. Or, pour pouvoir bénéficier d’une aide du CPAS, il faut avoir un lieu de résidence. Ces personnes sont donc enfermées dans un cercle vicieux.
Comment ces difficultés affectent-elles les personnes réfugiées?
Ces différentes pièces du puzzle ont un impact sur le bien-être des réfugiés. Nombre d’entre eux doivent faire le deuil de leur vie antérieure, de leur métier et de leur rôle social. Certains sont désillusionnés, voire tombent dans la dépression, après des années de tentatives pour trouver une place dans la société en Belgique. Beaucoup abandonnent, malgré leur potentiel, parce qu’ils pensent que la société ne veut pas qu’ils participent à son développement.
Un exemple frappant à cet égard est ce couple de médecins afghans qui n’ont jamais pu exercer en Belgique de fonction plus élevée que celle d’aides-soignants, et ce après avoir dû suivre une formation destinée à des élèves sortis du secondaire. Nous devons nous rendre compte de l’image que la société renvoie d’elle-même, l’image d’une société qui facilite peu l’insertion de l’autre.
Je connais un couple de médecins afghans qui n’ont jamais pu exercer en Belgique de fonction plus élevée que celle d’aides-soignants. Nous devons nous rendre compte de l’image que la société renvoie d’elle-même, l’image d’une société qui facilite peu l’insertion de l’autre.
Que fait Caritas pour faciliter l'insertion des réfugiés?
Dans notre service, nous travaillons avec des réfugiés reconnus au profil dit vulnérable. Nous avons six mois pour créer les conditions permettant à ces personnes de vivre en toute autonomie. Durant cette période, nous posons des fondations solides à la base pour éviter qu’ils tombent dans ce cercle vicieux. Le problème, c’est que les différents services belges sont fortement cloisonnés, peu accessibles et peu flexibles et se renvoient les individus entre eux au lieu de fournir pistes et informations.
Notre rôle est d’accompagner les réfugiés sur le terrain, et de faciliter le lien avec les services publics afin qu’ils prennent ce groupe cible en considération. Nous essayons également de restaurer la confiance et la dignité des réfugiés. Comment ? En travaillant avec des médiateurs culturels et en créant des tandems citoyens-réfugiés pour provoquer la rencontre.
Quelles solutions globales mettre en place pour faciliter l'insertion des réfugiés?
Il faut respecter la dignité humaine et les droits fondamentaux des réfugiés à tout moment – tout au long de leur parcours migratoire et à leur arrivée. Comment ? En créant davantage de voies d’accès légales et sûres et en garantissant un accueil humain, digne et de qualité. Cela implique entre autres de concevoir et mettre en œuvre des politiques qui luttent contre les discriminations – notamment sur le marché du logement et de l’emploi – et de simplifier les démarches qui entravent l’accès à certains services (cours de langue, équivalence de diplôme, accès à un compte en banque, etc.).
Je trouve également que le rôle de la société est souvent trop oublié. Nous devons tous agir à notre échelle afin de donner aux réfugiés la possibilité de trouver leur place au sein de la société. Beaucoup pensent qu’il s’agit uniquement du rôle de l’État, ou de la personne elle-même, mais c’est faux. En tant qu’individu, nous pouvons débloquer certaines choses. Il nous faut instaurer au quotidien un climat de respect mutuel, de confiance et d’inclusion. Il nous faut ériger des ponts et non des murs. Nous pouvons y arriver en aidant les réfugiés comme nous aiderions des connaissances à trouver un logement ou un emploi, en leur ouvrant des portes, en créant des opportunités de mixité sociale en provoquant la rencontre et en luttant contre le phénomène " Not In My BackYard " et cette peur de l’autre.
Créons-nous un environnement qui permette aux réfugiés de contribuer à la société ? C’est une question essentielle. Parce qu’un réfugié, s’il va contribuer à mesure des opportunités, des obstacles, de son vécu, de sa capacité à rebondir et de sa résilience, il va également contribuer à mesure de la capacité de la société à le respecter, à lui faire une place et à lui faire retrouver confiance en lui, en les autres et en l’avenir.
Nous devons tous agir à notre échelle afin de donner aux réfugiés la possibilité de trouver leur place au sein de la société. Il nous faut instaurer au quotidien un climat de respect mutuel, de confiance et d’inclusion.
Source: Caritas Internationalis
*Cet article prend place dans le cadre de la campagne #whatishome dans laquelle nous abordons le lien entre migration et développement. Campagne sur les réseaux sociaux menée dans 11 pays avec 12 organisations Caritas, elle fait partie du projet MIND qui reçoit le soutien financier du programme de l’Union européenne pour la sensibilisation et l’éducation au développement (DEAR). Pour plus d’informations, cliquez ici. Ce contenu relève de la responsabilité de Caritas International et ne reflète pas nécessairement la position de l’Union européenne.