Le professeur Timothy Devos, hématologue aux hôpitaux universitaires de Leuven a coordonné un remarquable ouvrage collectif intitulé « Euthanasie, l’envers du décor ». Un recueil de réflexions et d’expériences de soignants confrontés aux demandes d’accompagnement en fin de vie et d’euthanasie.
L’euthanasie, inscrite depuis 2002, dans la loi belge, ne devrait jamais être un acte banalisé. Elle n’est pas toujours inéluctable. Les soins palliatifs sont là pour nous le rappeler. Ils accompagnent le malade incurable dans ses derniers moments avec des aidants souvent extraordinaires au point de réconcilier parfois le patient en phase ultime avec celles et ceux avec lesquels un conflit semblait sans issue. L’ouvrage coordonné par Timothy Devos vient à son heure, après la publication par l’épiscopat belge de la brochure « Je te tiens par la main » destiné aux animateurs pastoraux. « Nous avons voulu, précise le professeur Devos, montrer comment, à travers divers témoignages, a évolué la perception de l’euthanasie depuis l’adoption de la loi en 2002. Mais surtout, améliorer la connaissance des soins palliatifs qui constituent bien une troisième voie entre la souffrance et la mort par injection létale. »
Un peu d’humanité que diable!
Le législateur n’a sans doute pas assez réfléchi à l’impact psychologique d’un tel acte. On a le droit d’être une charge pour les autres et l’euthanasie n’est pas une solution à envisager pour ne plus l’être. Il faut déculpabiliser le patient et surtout lui permettre en fin de vie d’être accompagné dans son désir d’apaiser des douleurs psychiques, spirituelles ou sociales pour envisager sereinement le passage vers la mort.
Mais quel sentiment ressort en fin de vie? « C’est sans aucun doute celui d’avoir été écouté, d’avoir entendu la vraie demande derrière la question. »
L’approche du livre est essentiellement humaine puisqu’on y met en scène toutes celles et ceux qui participent à l’acte final de la vie. Comme si on avait voulu dépasser de cette manière les conflits moraux et idéologiques. « Comme l’écrit Jacques Ricot dans la préface, le contenu de notre ouvrage invite à poursuivre notre réflexion à travers les expériences du quotidien. S’il s’adresse d’abord aux soignants, l’ouvrage doit être lu par toute la famille proche du patient en fin de vie et par chacun d’entre nous qui, un jour ou l’autre, risque d’être confronté à cette problématique. »
Les soins palliatifs réclament à la fois patience et écoute des accompagnants. On y touche à l’âme de l’autre nous obligeant surtout à ne pas se passer de l’écoute.
Un droit? Mais au-delà…
On présente aujourd’hui l’euthanasie comme un droit. On peut évidemment exprimer un désir, mais le médecin garde de son côté la liberté d’accéder à cette demande ou la refuser. Et l’on doit à tout prix protéger cette liberté de conscience. Si on ne décide pas du moment de sa naissance, n’en serait-il pas de même pour sa mort? La question mérite d’être posée.
Mais on peut également s’interroger sur la subjectivité de la perception de la souffrance de l’autre. « Nous devons être à l’écoute de l’autre certes, mais nous devons contrôler nos émotions et prendre la distance nécessaire pour répondre à la vraie demande », rappelle le professeur Devos. « Il faut avoir une certaine humilité dans la compréhension de l’autre, de ce patient qui, avant, n’avait jamais rien exprimé et qui, dans la souffrance, se met à évoquer la mort et les conditions dans lesquelles il compte l’appréhender. Mais il est bien difficile de réfléchir sur la vie et la mort. »
Les soins palliatifs ne sont-ils pas une euthanasie douce? Notre interlocuteur sursaute! « Mais non, les soins palliatifs sont un accompagnement de la douleur, et on la soigne à cet effet tandis que l’euthanasie provoque intentionnellement la mort. Ils sont tous les deux contradictoires et relèvent d’une mentalité bien différente. Les soins palliatifs sont une alliance momentanée entre un patient et une équipe. »
Ne pas oublier les soignants
D’ailleurs, on ne parle pas assez de la détresse des soignants qui peuvent considérer une demande d’euthanasie comme un échec. Qu’a-t-on oublié de faire pour être confronté à une telle demande? N’est-elle pas le fruit de cette grande solitude dans laquelle est souvent laissé le patient? Il y a le cas de cette dame qui, dans une maison de retraite, fait appel à l’euthanasie et qui, tout à coup, voit tout le monde s’affairer autour d’elle. C’est donc un appel à plus de solidarité avec les personnes âgées.
On l’a vu, on ne peut proposer l’euthanasie à un patient. Or, dans la réalité, il en va bien autrement comme si la vie dérangeait tel que c’est écrit dans la conclusion de l’ouvrage coordonnée par Timothy Devos. Mais n’est-ce pas là réduire la vie à bien peu de valeur? « Il est en effet interdit de proposer activement l’euthanasie », confirme le professeur Devos. « En acceptant une demande d’euthanasie, on donne un signal au patient. On lui confirme que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue. C’est un constat terrible qui, si on n’y prend garde, entraînera une multiplication de demandes de ce type si les liens de solidarité continuent à se dégrader au nom de l’autonomie totale de la personne. Et pourtant, les soins palliatifs permettent souvent au malade incurable de se fixer des nouveaux objectifs heureux, familiaux comme le mariage d’un enfant ou une naissance chez un proche, autant de beaux moments qu’il lui reste à vivre. L’aider demande beaucoup d’investissement de la part des soignants et des accompagnants mais ce que l’on reçoit en retour est magnifique. »
Hervé GÉRARD
« Euthanasie, l’envers du décor. Réflexions et expériences des soignants », sous la coordination de Timothy Devos, préfaces par le philosophe français Jacques Ricot et son collègue belge Herman De Dijn. Editons Mols – Autres Regards, mai 2019, 240 pages
*Voir notre édition du 16 juin page 2 et 3