Faire son deuil pour laisser mourir?


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Faire son deuil pour laisser mourir?
Par Nancy Goethals
Publié le - Modifié le
4 min

La semaine dernière, la France a une fois de plus été secouée par l'affaire Vincent Lambert – un accidenté de la route cérébrolésé dont la famille se déchire sur la décision de le débrancher.

Comme tout un chacun sans doute, notre rédaction se pose des questions sur les enjeux qui sous-tendent cette situation humaine dramatique. Le journal Dimanche n° 22 propose deux portes d'entrées car cette affaire, inévitablement, interpelle. Nous avons besoin de prendre du recul, en partie à cause de la dimension judiciaire qui semble disproportionnée et des émotions que tous ces rebondissements suscitent mais aussi parce que les questions de vie et de mort ne laissent personne indifférent.

Dans 'Cinq questions pour comprendre', notre collègue Vincent Delcorps cherche à savoir ce qui a mené à une telle dramatisation. D'autre part, le neurologue et professeur Steven Laureys nous éclaire sur les avancées technologiques qui permettent – souvent mais pas toujours - de prendre une décision quant au maintien ou non en vie. Il donne ainsi un point de vue à la fois scientifique et critique sur le déroulement de cette affaire.

Dans cet article, c'est Jean-Michel Longneaux, philosophe et spécialiste des questions de fin de vie, qui partage son analyse et relève lui aussi des points qui font défaut dans cette affaire. A savoir, principalement, le cheminement et l'écoute.

Le deuil exige un cheminement

"Avant tout, dans cette affaire, le problème c'est que les parents semblent incapables de faire le deuil de leur enfant. Il y a un comportement de fuite. Ils ne veulent pas envisager la réalité, voire ils veulent même la réécrire. Il n'y a pas de cheminement mais un enfermement dans des positions qui se cristallisent; or le cheminement est important."

Par ailleurs relève Jean-Michel Longneaux, d'un point de vue psychanalytique, l'attitude des parents induit un rapport malsain à leur enfant qui, lui, est dépendant. Cette attitude est en tout cas l'expression d'une souffrance: la proportion de violence dans les mots (entre autres, ils accusent le "clan adverse" d'euthanasie active) cache une souffrance incommensurable.

Il est à noter que, dans le monde chrétien (mais aussi dans d'autres spiritualités), on reconnaît que la vie est sacrée mais on oublie parfois (trop souvent) qu'elle est limitée. "Nous avons trop tendance à croire que nous sommes immortels; or ce n'est pas une insulte à la vie que de laisser partir quelqu'un."

Ainsi donc, pour paraphraser les mots de Khalil Gibran dans 'le Prophète', les enfants ont pour vocation de quitter le nid familial. Mais cela n'empêche qu'il est difficile pour des parents de voir leur enfants mourir un peu à eux (se marier, s'envoler pour d'autres cieux, bref, quitter le giron familial) ou, pire, de réellement mourir. Il leur faut apprendre à faire leur deuil.

Ecouter la souffrance

Dans cette affaire-ci, Jean-Michel Longneaux relève un probable échec dans l'accompagnement. Ecouter les parties et entendre la souffrance est pourtant essentiel. Et le non jugement aussi! Et il insiste: "Autant que possible, il faut sortir d'un discours moralisateur."

Aussi, il essaie de mettre avant tout des mots sur l'épreuve vécue. Il apprend aux équipes qui accompagnent des malades à relativiser une culpabilité déplacée. Il faut ensuite dénouer les enjeux pour voir ce qui est juste et permettre ainsi de prendre une décision.

Et en Belgique?

Dans notre pays, les équipes de soins palliatifs accompagnent aussi bien le mourant que son entourage. Mais cet accompagnement n'est pas obligatoire, il est seulement proposé. Aussi y a-t-il un débat, parfois au sein même des équipes: en fait-on trop ou trop peu ?

Une chose est sûre, il y a encore des efforts à faire pour passer "en douceur" des soins curatifs aux soins palliatifs. Tant le professeur Laureys que le professeur Longneaux insistent sur la nécessité d'assurer la continuité des soins. "Mais, relève le philosophe, toute la difficulté est de savoir jusqu'où aller (dans les soins curatifs)."

Pour lui, il est important de jouer le jeu de la loi (sur l'euthanasie) afin de trouver la réponse la plus juste possible. Son rôle est de soutenir les équipes, quel que soit leur choix. En vingt ans, son travail d'accompagnement a changé: "j'essaie de ne pas prendre position mais de soutenir les professionnels dans la position qu'ils choisissent." Il relève que depuis la loi sur l'euthanasie, la situation s'est inversée: "avant ceux qui pratiquaient l'euthanasie passive étaient mal vus. La majorité y est maintenant favorable et fait pression sur la minorité. J'essaie donc de soutenir ceux qui sont en minorité."

A l'instar de Steven Laureys, il insiste sur l'importance de favoriser de bonnes relations (et donc d'éviter les surenchères, surtout judiciaires). Même si celles-ci ne lèveront jamais l'incertitude sur l'issue à prendre, elles permettent de prendre les décisions les plus justes.

Et pour conclure, en Belgique nous avons la chance d'avoir un cadre plus clair. La loi belge stipule, entre autres, qu'en l'absence de capacité du patient à s'exprimer c'est le conjoint qui décide.

Nancy Goethals

NB: Le professeur Longneaux est aussi rédacteur en chef de la revue Ethica Clinica qui s'adresse tant aux travailleurs de la santé qu'à toute personne intéressée par les sujets éthiques dans les soins de santé.

Le professeur Laureys quant à lui dirige le 'Coma Science Group'. Riche d'informations, le site propose différentes publications, entre autres sur les états de conscience altérée. Par exemple, un guide à l'attention des familles et des proches.

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