Spécialiste de l’histoire des religions, Marie-Françoise Baslez retrace dans son nouveau livre aux Editions Tallandier, les grandes étapes de la formation d’une religion devenue universelle. Un processus réalisé non sans mal, avec de nombreuses contraintes qui ont ponctué cette marche. Pour mieux relier cette histoire séculaire à notre présent, entretien avec l’auteure.
Pourquoi rédiger cet ouvrage aujourd’hui? Pour briser ces idées reçues relatives à la linéarité de l’histoire chrétienne? Ou pour mieux éclairer l’importance de l’histoire commune des Eglises d’Orient et d’Occident?
En fait, les deux projets sont liés, même si le retour dramatique des Eglises d’Orient dans notre vécu de chrétiens a été le catalyseur en faisant réfléchir sur le concept d’ »Eglises séparées ». La linéarité est une réinterprétation théologique de l’histoire qui remonte au IVe siècle, mais Jésus n’avait pas laissé d’organigramme, ni de prédéterminé. La christologie elle-même restait très imprécise. La mise en perspective historique montre qu’essaimage, divergences et persécutions ont modelé le devenir des communautés chrétiennes.
Vous citez de nombreuses figures qui ont apporté une pierre à l’édifice. Quelle est selon vous celle qui a joué le plus grand rôle dans l’émergence de la catholicité?
De mon point de vue, il s’agit certainement de l’apôtre Paul, bien qu’il n’ait pas employé le mot « catholique » utilisé déjà par le judaïsme. Mais tout est dans l’épître aux Galates ou celle à Philémon dès les années 50.
Comment pourriez-vous nous définir l’identification universelle (catholique) du chrétien?
Elle se fonde sur son appartenance au Christ, qui surplombe et englobe toutes les autres en effaçant les distinctions d’origine ethnique, de culture, de genre et de statut. Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Catholicité n’est pas à entendre au seul sens d’expansion (les Grecs parlaient d’œcuménisme) mais surtout d’unification.
Dans cet immense chantier de la construction de l’identité catholique, quel serait le point culminant?
Dans la période de construction de l’Eglise (Ier – Ve siècle), j’hésiterais davantage. Sans doute le Concile de Nicée (325), si l’on considère que l’identification catholique repose sur un trépied: consensus doctrinal, homogénéité des rites, unité de gouvernance… Mais cette troisième construction nécessita la médiation impériale, une solution politique. L’œuvre du concile de Nicée fut donc fragile et pas totalement définitive.
Autre moment clé, autre concile, celui de Chalcédoine. Vous démontrez dans l’ouvrage toute son importance. Mais qu’a-t-il manqué pour éviter le morcellement des Eglises d’Orient?
La géopolitique prime alors sur le religieux. Les Eglises d’Orient se sont déclarées indépendantes de l’empereur de Constantinople plutôt que de l’évêque de Rome. Sans pour autant être unies entre elles. Dans cette phase d’achèvement de la christologie, la plupart se sont déclarées monophysites en refusant le dogme des deux natures – divine et humaine – du Christ, réunies en une seule personne, parce que le concile était l’œuvre de l’empereur. La question de l’indépendance politique se posait d’autant plus qu’il y avait désormais des chrétiens hors de l’empire romain (Eglises arménienne, éthiopienne, nestorienne – en Irak –, perse).
La question peut vous sembler anachronique, mais peut-on dire que l’extension progressive de l’espace christianisé constitue l’ancêtre de la mondialisation actuelle?
De mon point de vue, l’extension spatiale n’est pas le plus important, puisque la mondialisation à l’échelle de l’Antiquité se réduisait au monde méditerranéen et à sa périphérie. Je souligne plutôt l’originalité d’un modèle ecclésial qui fondait l’intégration des convertis et la construction d’un maillage chrétien sur des réseaux et des connexions. Déjà! Il en est résulté une représentation synodale de l’Eglise, qui retrouve aujourd’hui une certaine actualité.
Enfin, peut-on considérer que l’histoire du catholicisme est désormais achevée? Ou est-elle semblable à l’image que vous utilisez, celle d’une tour qui se fait et se défait?
« Catholicisme » est maintenant une identification exclusive, propre à l’Eglise romaine. Alors que notre époque se retrouve confrontée aux défis de la mondialisation et de la diversité, on peut se souvenir que la construction de la catholicité au début de l’histoire chrétienne a signifié mise en place d’une culture du débat et recherche patiente d’une vérité acceptable. Rien n’est donc jamais terminé.
Philippe DEGOUY
Marie-Françoise Baslez, « Comment les chrétiens sont devenus catholiques – Ier-Ve siècle ». Editions Tallandier, 2019, 312 pages.