A la croisée de la Meuse, du Rhin et de la Moselle, la Grande Région regroupe cinq régions, sur quatre pays, usant de trois langues. Un pays de Mémoire dans laquelle on s’efforce de renouveler l’offre touristique.
La Grande Région couvre, sur la Wallonie, le Grand-Duché, l’Est de la France et les landers de Sarre et de Rhénanie-Palatinat, 65.401 km² que, de jour en jour, sillonneront bientôt 250.000 frontaliers. Soutenue par des fonds européens, elle nourrit des projets de formation, culturels, économiques, sociaux, de développement, d’apprentissage des langues.
Dans son objectif de mémoire, Interreg (programme de coopération régionale européenne) débloque progressivement une enveloppe de près de 5,5 millions d’euros, soit le tiers des dépenses prévues sur les territoires concernés. De quoi poser le Land of Memory, le Pays de la Mémoire sur les fonts baptismaux.
L’idée originelle est née au sein de l’intercommunale du Luxembourg belge, IDELux, consciente d’un patrimoine énorme, tournant autour de deux pôles semblables, l’un de la Grande Guerre, Verdun, l’autre de la Seconde Guerre mondiale, Bastogne, marquée par la Bataille des Ardennes dont on célébrera, fin de cette année, le 75e anniversaire. IDELux a réussi le tour de force de fédérer une vingtaine d’opérateurs: villes, intercommunalités, départements, organismes touristiques, ministères, etc.
A la baguette, Florian Demblon, d’IDELux, sachant que celle-ci a pour vocation le développement économique, assure que « la mémoire reste au goût du jour. Mais nous devons renouveler l’offre touristique. La Grande Région, soutient-il avec force, est tout aussi légitime que la Somme, pour la Première Guerre, ou la Normandie, pour la Seconde. Notre territoire porte des traces profondes des deux conflits. Nous créons une destination transfrontalière de mémoire forte via la mise en réseau des sites. »
D’où aussi cette idée de mélanger des publics différents. Autant, en effet, Verdun, par son Mémorial, les musées et les champs de bataille, attirent d’abord le visiteur français, plus nombreux que les Allemands et les Belges; autant Bastogne – le Mardasson, le centre d’interprétation et le Bastogne War Museum – accueillent, outre les Belges, les Américains, les Canadiens, les Néerlandais et les Luxembourgeois. « Le projet a aussi pour vocation de faire circuler cette clientèle étrangère », épingle Florian Damblon, de multiplier ses lieux d’études et d’informations sur les différents conflits qui, tôt ou tard, seront reliés par des pistes cyclables dont celle entre Bastogne et Verdun (130 km), qui n’a toutefois pas reçu l’aval d’Interreg.
Concrètement, dès l’été qui s’annonce, le Pays de la Mémoire disposera d’un site internet. Arriveront des cartes touristiques, des reportages vidéo, un spectacle itinérant, une exposition dédiée à la vie durant la guerre, etc.
En Luxembourg belge, 200.000 euros sont consacrés au musée de Latour (projet au stade de l’adjudication) qui retrace la Bataille des Frontières de 1914 et le carnage de la population civile. En Gaume encore, le château de Rossignol abritera (fin 2020, alors que le travail de scénographie est entamé) un centre d’interprétation (plus d’un million d’euros), où, durant la Grande Guerre, fut décimé un régiment de Marsouins, anciens fantassins coloniaux français. Bastogne hérite de 300.000 euros pour la mise en valeur du Bois de la Paix, où, au pied des arbres, fleurit le nom de centaines de vétérans.
Une armée de passionnés
Les Grands-Ducaux entrent dans le projet pour valoriser le Schumann’s Eck, site de la Bataille des Ardennes (539.000 euros) tandis que les Français bénéficient de 1,1 million d’euros pour des travaux aux forts de Vaux et Douaumont (Meuse), de 2,1 millions à la citadelle souterraine de Verdun et de 700.000 euros sur le site de l’arrière-front allemand de Spincourt.
Bien que hors du projet global, une véritable armée de passionnés s’immiscent dans ce travail de mémoire, à l’instar de Captain Sam, du 327th Glider Gaume Ardennes. Aux cérémonies de commémoration, jusqu’en Normandie, « nous présentons notre matériel et nos collections. Nous reconstituons les campements US et des combats de l’offensive des Ardennes. Nous représentons un bataillon de la 101e division aéroportée et, pour ce qui concerne les femmes, les infirmières du 107th evacuation hospital présent aussi à la Bataille des Ardennes. »
Devoir de mémoire? Présente voici peu à Bastogne, l’Académicienne Hélène Carrère d’Encausse préfère ce qu’elle appelle le devoir de « transmission », à l’adresse des plus jeunes. Ceux-ci, pense-t-elle, manquent cruellement d’informations, notamment sur le rôle fondamental de la Russie (l’URSS à l’époque) et de Mikhail Gorbatchev dans la fin de la Guerre froide, prolongement naturel de la guerre 40-45. « Il faut redonner la mémoire aux jeunes par l’éducation, dit-elle volontiers. Manquent-ils de mémoire? Alors, ce n’est pas de leur faute. Ils sont curieux. On ne leur donne pas les moyens de connaître le passé. » Le Land of Memory a tout pour combler ce vide.
Michel PETIT
Légende:
Le mémorial du Mardasson à Bastogne
© Michel Petit
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« Guerre et Paix en Ardennes »
Après dix années de fermeture, le département des Ardennes a exhumé (en 2018) son musée Guerre et Paix, à Novion-Porcien, au sud de Sedan. L’établissement commémore, non deux, mais trois guerres selon une logique historique et géographique. Car cette région, Sedan en particulier, outre celui des conflits mondiaux, fut le théâtre des affrontements de 1870, entre les Etats allemands, conduits par le royaume de Prusse, et la France impériale.
Une guerre fondamentale: elle marque, d’une part, l’étape finale de l’unification de l’Allemagne et sert, d’autre part, de prétexte à l’établissement de la République après l’abdication de Napoléon III, baptisé d’ailleurs « l’homme de Sedan ». Ce qui, militairement, n’était pas très glorieux. Le département des Ardennes ne célébra sa libération que deux ans après la fin des hostilités, en 1873, lorsque la France s’acquitta de ses indemnités de guerre.
Trébuchon, le dernier à tomber
1914 fut le temps de la déroute, des tranchées mortifères, de la présence de l’empereur Guillaume II à Charleville. Le 11 novembre 1918, quelques minutes avant le cessez-le-feu, à Vrigne-Meuse, tombe le dernier Poilu, Augustin Trébuchon. A Saint-Morel repose le pilote qui, le premier, traversa la Méditerranée, en 1913. Celui-ci mit au point le tir à travers l’axe de l’hélice, créant ainsi le premier avion de chasse. Ce jeune officier prisonnier puis évadé, fut abattu aux commandes de son Spad XIII. Un siècle plus tard, il est sans doute mieux connu dans les sphères sportives puisque le héros s’appelle Roland Garros. C’est un autre Ardennais, Roger Sommer, de Mouzon, qui créa l’avion biplan acheté par l’armée française en 1910.
Quant à 1940, c’était la percée de Sedan -encore Sedan-, l’exode, la confiscation de 100.000 hectares de champs, la déportation avant la libération en août 1944.
« Guerre et Paix en Ardennes » se consacre à ce département frontalier « grande terre d’histoire » et profondément marqué par les conflits. Une terre où « chaque génération successive a vécu la réalité de la guerre et la proximité de la mort ».
La scénographie retient les prémices des offensives, de la fête impériale aux années folles en passant par la Belle-Epoque. Puis l’expérience combattante, ponctuée par des décors et des reconstitutions, comme la débâcle de Sedan en 1870. A ne pas manquer, les audiovisuels, les objets militaires et civils, le matériel lourd français, américain et allemand de la Seconde guerre, les belles collections d’armes, d’uniformes et les quelque 400 coiffes, dont les fameux casques à pointe et ceux des uhlans, ces cavaliers mercenaires des armées de Prusse, d’Allemagne et de Pologne.
Là-bas, on parle d’une « terre de mémoire ». Mieux, d’inscrire la mémoire au patrimoine mondial de l’Unesco.
M.P.