En cette période pré-électorale, les réfugiés occupent le devant de la scène médiatique. Les artistes se sont également emparés de cette thématique de l’exil et de l’abandon. Ils l’explorent de manière personnelle, dans un face-à-face plein de sens, quelquefois même bouleversant. Focus sur deux initiatives.
C’est la rencontre d’élèves aux vêtements colorés dans la cour d’école de ses propres enfants qui va servir de déclencheur à l’activité créatrice de Jean-Dominique Burton. Nous sommes alors en 2005. Onze ans plus tard, il reprend la série photographique avec des portraits, cette fois en noir et blanc.
Un appareil photo pour relier les cœurs
La collection de portraits rassemblés dans un livre au titre explicite, « Sans Papiers Photographiques » n’est ni un reportage ni un documentaire. Elle conte l’histoire en couleurs de 22 hommes et de 23 femmes en transit, un objet symbolique entre les mains. Il y va d’une forme de talisman ou de doudou. Pour les présenter, juste un prénom et leur lieu d’origine sur la page en vis-à-vis de leur visage. Souvenirs ultimes du passé, ils revêtent la forme d’un trésor: une boucle d’oreille pour Teeba, un bracelet de perles en pierre pour Eva, une croix pour Davit, une croix aussi pour Nino avec un GSM affichant la photo de celui qu’on imagine comme un fils, tandis que pour quelques femmes, ce sera l’enfant blotti dans leurs bras. « Aujourd’hui, les gens rêvent de destinations lointaines et de parcourir le monde à la recherche d’autres cultures, mais nous avons la chance de découvrir le monde et sa diversité culturelle, sans même nous déplacer », écrit le Hutois de souche installé dans le Brabant wallon. Celui-ci prédit : « la roue tourne, les puissants et les riches d’aujourd’hui peuvent devenir les faibles et les pauvres de demain ». En guise de troisième partie, il a choisi de collecter les messages bienveillants de spectateurs de tous âges. De toutes les couleurs et de toutes les écritures, ces traces disent le souci de l’autre. Grâce à la démarche de Jean-Dominique Burton, ces sans papiers ont désormais un visage.
« Avancer sans oublier »
Le pouvoir des mots est intense. Ils emmènent ailleurs, embellissent, émerveillent, quand ils ne dénoncent pas. Ils portent aussi l’indignation, la colère et le désarroi de ces vies déchues de leur identité. Dans le recueil « Des traversées et des mots », les textes sont courts, inversement proportionnels à la gravité de leur contenu. Pour les façonner, des hommes et des femmes d’ici et d’ailleurs. Publié à l’occasion de la Foire du Livre de Bruxelles, le bénéfice de ses ventes ira à l’ONG Médecins du Monde.
« Si la mer était un cimetière, elle serait pleine de croix, de souvenirs de familles, d’individus rudement traînés pendant des milliers de kilomètres, là en bas, sur le fond. Si la mer avait une voix, son cri de douleur serait insupportable », écrit Víctor del Árbol dans sa préface, tandis que Xavier Deutsch énonce: « le migrant est un gars pudique ». De celui qui a traversé les Enfers, l’Européen attend un témoignage forcément, nécessairement grandiose, lui qui a souvent perdu le sens de l’essentiel à force d’être noyé dans le superflu. Le rêve d’être délivrés de leurs propres « cauchemars » habite désormais les voyageurs contraints. Tous ont en commun « le regard épuisé, le visage scarifié par les jours sans repos », souligne Françoise Lalande, eux qui sont porteurs d’une différence qu’ils ignoraient. Leur parcours est indicible et inaudible pour les nantis sans guerre, avertit un exilé syrien, avant d’ajouter: « la première chose que j’ai vue en arrivant, c’est la gare de Bruxelles-Nord ». Des propos complétés par la sentence de Slimane Benaissa : « dans ce genre de voyage, on compte le temps, pas les distances ». Là-bas, la terreur prend la place du dépaysement cher aux Occidentaux et l’invisibilité l’emporte pour les survivants traqués.
Une dénonciation explicite
« La migration n’est pas un crime », rappelle Serge Bagamboula, qui pointe l’amnésie feinte des citoyens face au sort des « laissés au bord de la route ». Décrite aussi dans ces pages, la violence extrême des geôles immondes où sévissent des viols, outrages ultimes et destructeurs de l’intégrité humaine. Les corps mutilés sont la trace abandonnée de la barbarie. Et les souvenirs laissent un goût amer quand le sang les envahit. Un recueil à lire pour partager un peu d’humanité. Dans un monde où les préjugés et les craintes sont légion, le travail des artistes s’avère crucial parce qu’il lève un coin du voile et rend toute sa place à l’humain relégué à un regard croisé au détour du chemin.
Angélique TASIAUX
Jean-Dominique Burton, « Sans Papiers Photographiques ». Prisme Editions, 2019, 152 pages
« Des traversées et des mots. Ecritures migrantes ». Editions Mardaga, 2019, 96 pages