Comment, concrètement, entrer dans la prière silencieuse, véritable porte d’entrée de notre communion avec Dieu? Pour sainte Thérèse d’Avila, il s’agit de plonger en nous-même, et de maintenir notre attention à la Présence du Christ en nous. Avec le temps, l’oraison entraîne notre transformation intérieure.
Pour sainte Thérèse d’Avila, l’oraison est la porte d’entrée qui nous permet d’accéder à notre « château intérieur », autrement dit notre âme, notre conscience, notre être le plus intime. C’est là que demeure Dieu, Lumière de notre être, Amour de notre vie. L’oraison, ou prière silencieuse, va nous permettre d’entrer en contact avec Dieu qui demeure en nous pour, peu à peu, demeurer en Lui à notre tour. Autrement dit: pour nous unir à Lui.
Comment, concrètement, entrer en oraison? Il s’agit tout d’abord de prendre la décision de prier, et de s’organiser en conséquence. Selon notre situation familiale ou professionnelle, nous sommes nombreux à avoir un emploi du temps surchargé… Pourtant, pour pouvoir pratiquer l’oraison, il est essentiel de libérer un temps pour ce faire, chaque jour. Par exemple tôt le matin, avant le début de la journée, ou le soir, lorsque les enfants sont couchés. Tout dépend de nos possibilités, et aussi de notre tempérament: suis-je du matin, ou plutôt du soir?…
Aspects pratiques
Au tout début, une dizaine de minutes peut suffire, mais en essayant, progressivement, d’arriver à trente minutes d’oraison quotidienne. Cela peut sembler exigeant. L’oraison a cependant besoin d’un minimum de temps pour se déployer. Aussi, une fois l’habitude adoptée, ce temps consacré à la prière devient comme naturel. Et lorsque l’oraison commence à produire certains « effets » dans notre conscience et notre vie, nous éprouvons, de plus en plus, un véritable besoin de « faire » oraison, équivalent spirituel de notre besoin de manger, de boire, de respirer.
D’autres aspects pratiques sont également importants. Il faut pouvoir s’isoler, dans un environnement silencieux. Si l’on prie chez soi – ce qui est recommandé, car l’oraison est appelée à faire partie de notre vie quotidienne –, on pourra choisir un lieu où on se sent tranquille, en le « marquant » éventuellement par un objet: une icône, une bougie… ce marquage permet d’incarner la prière dans l’espace.
Autre point important: choisir une attitude corporelle qui nous convienne. Au début, on peut « tester » plusieurs positions possibles: être assis, par terre ou sur une chaise, à genoux… Le but, ici, est que notre corps favorise notre recueillement, élément essentiel de la prière silencieuse. Au contraire, une position inconfortable peut perturber le recueillement. Tout comme une position trop confortable: être couché, par exemple, ne favorise pas l’attention, autre élément essentiel de l’oraison.
Recueillement
En passant, nous venons d’évoquer deux aspects essentiels de l’oraison: le recueillement et l’attention. Arrêtons-nous au premier de ces deux aspects, qui marque notre entrée dans la prière silencieuse.
Lorsque nous sommes installés pour la prière, dans le silence extérieur, nous sommes prêts à nous recueillir. De quoi s’agit-il? Le recueillement consiste à entrer en soi-même, à tourner nos sens, nos facultés vers l’intérieur. Cette action – car il s’agit véritablement d’une action – prend une forme très concrète: orienter notre regard vers l’intérieur de soi, de même que notre ouïe, notre imagination, notre intelligence. Il ne s’agit pas tant de faire taire ces facultés pour entrer dans le silence intérieur, ce qui constituerait plutôt une perte de temps et d’énergie, mais de les tourner vers notre intériorité pour les impliquer dans la quête de silence intérieur.
C’est à ce stade qu’intervient la dimension proprement chrétienne de cette forme de méditation. Nous n’allons pas plonger en nous-même pour nous trouver nous-même, ni pour faire le vide en nous-même, mais pour y rencontrer Dieu, pour y accueillir la Présence qui demeure en nous. Et pour ce faire, nous allons faire intervenir nos différentes facultés, en privilégiant l’une ou l’autre en fonction de notre sensibilité, de notre personnalité. Plus précisément, Thérèse d’Avila, encore elle, nous invite à fixer nos facultés mentales et sensibles sur la personne de Jésus. Car Jésus est Dieu fait homme, et la divinité nous est constamment accessible à travers son humanité.
Il y a plusieurs façons de nous tourner vers Jésus. Si nous avons une facilité à nous représenter les choses intérieurement, nous pouvons par exemple nous représenter Jésus qui est là, présent, et qui nous regarde. Nous pouvons aussi lui parler intérieurement. Le fait de fixer notre regard intérieur sur lui nous permet alors de nous recueillir, d’entrer concrètement en sa présence, bien réelle. Si nous sommes plutôt intellectuels de nature, nous pouvons, méditer une parole de Jésus qui nous parle, non pas dans le but d’étudier et de comprendre tel passage des évangiles, mais pour laisser cette parole résonner en nous, nous laisser pénétrer, imprégner par elle, et établir ainsi notre esprit en sa présence. Pour d’autres encore, une prière vocale peut également aider. A nous de découvrir ce qui nous convient, et qui peut varier en fonction de notre disposition du jour.
Attention
Le but est toujours le même: entrer et demeurer en présence de Jésus, être recueillis en lui. Lorsque nous commençons à pratiquer cette méthode – on peut même, sans complexe, parler de technique –, nous pourrons éprouver, assez vite, une sorte de silence intérieur qui surgit, une forme de repos, de tranquillité. Ce que nous avons alors à faire, c’est de maintenir notre attention à la Présence que nous savons être là. C’est donc ici qu’intervient le deuxième aspect de l’oraison que nous évoquions plus haut.
A ce moment de la prière, nous ne faisons peut-être pas l’expérience de cette Présence, mais nous sommes simplement dans une forme d’attention à celle-ci. A cette étape de la prière silencieuse, il n’est pas rare, mais plutôt fréquent, que des distractions, des pensées, des images, des soucis de toutes sortes surgissent en nous. Que faut-il faire alors? Tout simplement, à chaque fois que nous prenons conscience que nous ne sommes plus « là », revenir à la présence de Jésus, de Dieu en nous. En nous recueillant à nouveau, en reprenant un verset, en tournant à nouveau notre regard vers Jésus, en lui parlant.
C’est dans ces deux actions de recueillement et d’attention, qui s’apparentent à un vrai travail intérieur, qui consiste une grande partie de la pratique d’oraison. Au fil du temps et de la régularité, ce travail devient plus facile. Un peu comme ce qui se passe pour la pratique d’un sport: au début, c’est dur, mais avec le temps, on progresse.
L’expérience
Un point essentiel doit cependant être souligné ici, pour éviter tout malentendu. Le but de l’oraison n’est pas de renforcer nos capacités mentales, même si, comme on le verra, la prière silencieuse a réellement des effets positifs en nous, de nature psychique et spirituelle. Le but de l’oraison est de nous disposer à l’action de Dieu en nous, de Lui préparer le terrain, pour qu’il nous transforme par sa Présence, son Amour, sa Lumière – Amour et Lumière qu’Il est en Lui-même.
Cette transformation, nous ne l’éprouvons pas toujours directement, car elle dépasse essentiellement nos capacités, notre conscience. Par contre, nous en éprouvons les fruits, indirectement. Mais parfois, nous pouvons effectivement éprouver, faire l’expérience consciente de la Présence et de l’Amour agissant en nous. Cette expérience peut surgir à n’importe quel moment de l’oraison, de manière imprévisible. Nous éprouvons alors que ce n’est plus nous qui prions, qui nous recueillons, qui méditons, mais que cela se passe en nous, et que nous y participons, d’une certaine manière de façon passive.
Dans ces moments privilégiés, nous pressentons, ou même éprouvons que le centre de notre être, notre cœur est en Dieu, d’une manière presque sensuelle, difficile à exprimer par des mots. Ces moments sont l’occasion d’une grande joie et d’une grande paix.
A d’autres moments, cependant, nous n’éprouvons plus rien, ce qui, par contraste, peut s’avérer être une expérience douloureuse. Cependant, cela ne veut pas dire que Dieu n’est plus là, qu’il n’agit plus. Il s’agit plutôt d’une sorte d’invitation à chercher Dieu plus avant. Que faut-il faire dans ces expériences de sécheresse? Une seule chose: persévérer dans l’oraison régulière, quotidienne.
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