Dans la spiritualité chrétienne, l'oraison, ou prière silencieuse, a pour finalité de réaliser notre union intime avec Dieu. Pour les "maîtres" de cette forme de méditation, Dieu, Transcendance indicible, demeure au coeur de notre intimité la plus profonde. C'est là que nous pouvons Le rencontrer. C'est là qu'Il se donne à nous.
En Occident, la recherche de sens, l’aspiration à une vie intérieure ont amené de plus en plus de personnes, ces dernières années, à s’engager dans différentes formes de méditation. Si certaines techniques proposées s’apparentent parfois à des recettes bon marché, qui n’honorent pas les spiritualités dont elles se réclament, on ne peut nier, ni mépriser le fait que des "méditants" de plus en plus nombreux vivent une réelle expérience spirituelle, fruit d’une pratique régulière et rigoureuse.
Lorsque, par contre, on parle de prière, surtout en contexte chrétien, peu nombreux sont ceux qui y voient l’expression d’une quête ou d’une expérience spirituelles. Encore moins quelque chose qui se rapporte à la méditation, au sens où on l’entend couramment aujourd’hui. On comprend plutôt la prière comme l’expression orale de nos demandes à Dieu, ce qui, sans être nullement méprisable, ne représente qu’un aspect de la prière, et sans doute pas le plus important.
L’oraison, version chrétienne de la méditation
Pourtant, l’équivalent chrétien de la méditation existe. Et cette version chrétienne de la méditation n’est pas le produit d’une récupération du courant spirituel actuel. L’oraison, la prière silencieuse manifeste bien plutôt ce qu’est le cœur spirituel du christianisme, dévoilé dès le Nouveau Testament. Si elle a pu adopter différentes expressions au gré des époques et des contextes, elle demeure cependant toujours essentiellement la même.
Qu’est-ce que la prière silencieuse, et quel est son but, sa finalité? Pour l’évoquer un tant soit peu, reprenons ce que disent les maîtres du Carmel – Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, ou encore Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus – au sujet de l’oraison, dont c’est en quelque sorte la "spécialité". Le but de l’oraison c’est, tout simplement, si l’on peut dire, s’unir à Dieu, entrer en communion avec Dieu, et demeurer dans cette communion. Et si l’on pose la question inversement: comment entrer en communion avec Dieu?, la réponse sera: par l’oraison…
La communion avec Dieu
Quelle est cette communion avec Dieu, à laquelle nous sommes tous destinés? Car pour tous les chrétiens spirituels, voire les mystiques, tel est bien le but ultime de la vie chrétienne: vivre en communion avec Dieu – et avec les autres. Cette communion est évoquée par l’évangile de Jean, dans le dialogue de Jésus avec les apôtres, après le dernier repas (Jean 13,31 – 16,33).
En annonçant le don de l’Esprit, que nous célébrons le dimanche de Pentecôte, Jésus dit: "C’est lui l’Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d’accueillir parce qu’il ne le voit pas et parce qu’il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il sera en vous" (Jean 14, 17). Il précise un peu plus loin: "En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous" (Jean 14, 20). "Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole, et mon Père l’aimera; nous viendrons à lui et établirons chez lui notre demeure" (Jean 14, 23). Et Jésus ajoute encore: "Demeurez en moi comme je demeure en vous" (Jean 15, 4).
L’oraison, porte d’entrée de notre vie intérieure
Que veulent dire ces paroles un peu étranges, voire obscures? Dans ces quelques versets, on trouve le fondement de ce qui deviendra l’oraison, la méditation chrétienne: Dieu est présent en chacun de nous, il demeure en nous, et nous sommes, à notre tour, appelés à être présent à cette Présence, à demeurer en Lui. Dans son œuvre majeure, Le château intérieur (aussi appelé le Livre des Demeures), consacré à l’union à Dieu et aux moyens d’y parvenir, sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) utilise une image pour nous aider à comprendre de quoi il s’agit. Notre âme, dit-elle, est comme un magnifique cristal, un château intérieur qui contient de nombreuses demeures. Et au centre de ce cristal se trouve Dieu qui, tel un soleil, éclaire tout le château depuis son centre. Pour entrer en communion avec Dieu, il nous faut dès lors entrer en nous-même, nous retirer en nous-même pour y rejoindre Dieu qui est présent, et qui rayonne de son Amour indicible. Et le moyen pour entrer effectivement en nous-même, la porte du château intérieur, c’est l’oraison.
Certes, l’image a quelque peu vieilli, mais il est facile de la transposer dans un langage plus actuel. Si l’on doute aujourd’hui de l’existence de l’âme, comme d’une entité séparée de notre corps, parlons plutôt d’esprit, de notre vie intérieure, ou même de notre conscience, qui est notre réalité la plus intime, plus profonde encore que notre intelligence, nos sens, nos émotions. En langage biblique, on dira: notre cœur.
Celles et ceux qui pratiquent une forme de méditation sont familiers de cette notion: plonger en soi-même, quitter le moi superficiel pour rejoindre un autre "niveau", et finalement son véritable "moi". Nous aurons à revenir sur les points communs, et les différences, entre l’oraison, la prière intérieure chrétienne d’une part, et d’autres formes de méditation, d’autre part. Insistons pour le moment sur le fait que, dans l’oraison chrétienne, il ne s’agit pas avant tout de faire le vide en soi, de se trouver soi-même, d’atteindre la paix intérieure – bien que, on le verra, ces aspects ne sont pas absents – mais bien de chercher Dieu, qui est présent en nous, de le trouver sans cesser de le chercher, d’entrer en communion avec Lui.
Demeurer en Dieu
Mais quel est, qui est ce Dieu qui est présent en nous? Il n’est pas inutile de le préciser, vu que, aujourd’hui, le mot "Dieu" recouvre des réalités différentes, ou peut renvoyer spontanément à des images caricaturales. Dieu, c’est la Transcendance, l’Absolu, la Réalité ultime, indicible, qui dépasse infiniment tout ce qu’on peut imaginer de Lui. Il est l’Etre qui est à l’origine de toutes choses; Il est l’Etre dont nous tenons notre être, notre existence.
Or, cette Réalité ultime, en soi inconnaissable, s’est fait connaître de l’homme, elle s’est manifestée à lui comme Amour absolu. Dieu inaccessible s’est rendu accessible à l’homme, bien plus Il s’est donné Lui-même à l’homme pour être sa Destinée, son Amour, sa Vie la plus intime. Comme un époux aime son épouse et se donne à elle, selon l’image très forte utilisée dans certains textes bibliques.
Ce don de Dieu s’est, pour les chrétiens, révélé et concrétisé en Jésus, incarnation de Dieu. Aussi, pour pouvoir accueillir Dieu, il nous faut accueillir Jésus, en qui "habite corporellement toute la plénitude de la divinité" (Colossiens 2, 9). Et ce Jésus, mort et ressuscité, habite en nous, dans l’Esprit qui est présent à notre esprit, notre vie intérieure intime, notre conscience. C’est ce qu’expriment les versets cités plus hauts: Jésus est en nous, et nous sommes appelés à être en lui à notre tour, comme lui-même est dans le Père.
Tel est donc le but de la prière silencieuse, de la méditation chrétienne: apprendre à demeurer en Jésus, qui demeure en nous par son Esprit. Et par Jésus, avec lui et en lui, nous apprenons à demeurer dans le Père, à nous unir amoureusement à Lui, comme Il est uni à nous. C’est cela qu’on appelle, en contexte chrétien, la communion avec Dieu, qui est communion intime d’amour avec la Réalité ultime de toute chose.
Christophe HERINCKX
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