L’accord de paix entre l’Erythrée et l’Ethiopie de cet été n’a pas pour autant amélioré les conditions de vie des Erythréens. Ceux-ci continuent donc à chercher sécurité et bonheur ailleurs. Au péril de leur vie le plus souvent, et dans l’indifférence de plusieurs pays européens qui ont normalisé leurs relations avec Isaias Afwerki.
Le 8 juillet dernier, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, s’est rendu en Erythrée pour y rencontrer l’homme fort de ce pays, Isaias Afwerki, et y mettre fin à une guerre entre les deux pays limitrophes qui avait sévi de mai 1998 à juin 2000 mais qui n’avait formellement jamais été terminée. Depuis cet accord de paix, plusieurs pays européens se précipitent dans une normalisation des relations avec l’Erythrée d’Afwerki et semblent oublier qu’il s’agit d’une dictature dénommée couramment comme « la Corée du Nord en Afrique ».
Il est certain que cet accord – comme tout accord de paix – a ses bénéfices. Des familles qui n’avaient plus été réunies depuis des décennies ont pu se revoir. Le commissaire européen pour la Coopération internationale et le Développement, le Croate Neven Mimica, en visite au début du mois à Asmara, la capitale érythréenne, a annoncé un projet de 20 millions d’euros pour relier la frontière éthiopienne avec les ports sur la côte érythréenne. Cela peut en effet booster l’économie régionale. Mais de quel modèle économique s’agit-t-il?
365 prisons
Le régime d’Afwerki n’a pas changé. Un exemple très particulier de son modèle économique est le « service national ». Tout Erythréen majeur « sert la nation » pendant une durée indéterminée, soit dans l’armée, soit dans l’industrie, le bâtiment ou un autre secteur économique. Il s’agit de pur esclavage, dont seules les femmes enceintes ou les mères peuvent être exemptes; cela explique d’ailleurs les mariages de mineures et la grande fertilité des femmes érythréennes. Qui peut garantir que les investissements financés par l’Union européenne ne seront pas utilisés dans des projets construits par de tels « bénévoles »?
Or, qui refuse le « service national » termine en prison… si il ou elle a de la chance. Les Erythréens ont développé un humour particulier. D’après un dicton populaire, il y a 365 prisons au pays, « une prison par jour ». Et dans celles-ci, tortures et viols sont systématiques. Ce n’est donc pas un hasard si une grande partie de la population érythréenne – estimée à 12% – a déjà quitté le pays et que d’autres citoyens continuent de fuir.
Rançons transférées via smartphone
Mais là encore, ce pays de la corne de l’Afrique se distingue de beaucoup d’autres. Fuir l’Erythrée, c’est payer, payer et encore payer. Plusieurs observateurs internationaux, dont le Conseil de Sécurité des Nations Unies, ont déjà démontré le lien entre le régime totalitaire d’Afwerki et le trafic humain entre l’Erythrée et les camps en Lybie. L’outil préféré des trafiquants est le téléphone mobile – dont un observateur non-avisé peut s’étonner que tout réfugié en possède: ces smartphones et le réseau lui sont souvent mis gratuitement à disposition. Car avec un téléphone mobile, on peut transférer des rançons et faire « chanter » la famille d’un réfugié, que cette dernière soit restée en Erythrée ou qu’elle soit déjà en Europe. Il y a de nombreux exemples avérés d’Erythréens torturés dans les camps libyens et que leurs proches entendaient et voyaient crier… via le même smartphone par lequel ils étaient invités à transférer de larges montants pour arrêter la torture.
Le régime d’Asmara a aussi inventé un « impôt » original: une taxe pour non-résidents estimée à 2% des revenus et exigée, si nécessaire, à la famille restée au pays natal.
Retour « volontaire »
C’est pour toutes ces raisons que la diaspora érythréenne qui, depuis l’accord de paix avec l’Ethiopie, essaie de se réunir et de se mobiliser, dénonce la normalisation des relations entre l’Occident et leur pays. Cette normalisation ne sert qu’à une exploitation accrue des ressources naturelles de l’Erythrée. L’entreprise minière canadienne Nevsun par exemple, vient d’être citée devant la Cour Suprême à Ottawa par un groupe de travailleurs qui l’accuse d’être bel et bien au courant du fait que ces mineurs en Erythrée sont des esclaves.
Pour les Erythréens, la paix avec l’Ethiopie porte en elle plus de risques que de bénéfices. Matteo Salvini, vice-premier ministre italien, du parti xénophobe Lega, a déclaré que l’Erythrée était désormais un « pays sûr » et qu’il n’y avait donc plus aucune raison d’accepter des réfugiés érythréens. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) s’efforce de renvoyer, sur une base « volontaire », des Erythréens de Libye dans leur pays natal. La paix avec son ancien ennemi, l’Ethiopie, semble en effet lentement dédouaner Isaias Afwerki, un des pires dictateurs de la planète.
Benoit LANNOO