Avec Werk Ohne Autor, le spectateur suit l’évolution d’un artiste allemand soumis aux bouleversements de son pays. Un film-fleuve de trois heures mais qui déborde de vie.
En 2006, Florian Henckel von Donnersmarck éblouissait l’académie des Oscars avec La vie des autres. Ce drame percutant suivait un agent de la Stasi obligé d’espionner la vie d’un auteur de théâtre soupçonné de collaborer avec l’ennemi. Véritable succès international, ce film a permis à son réalisateur de tenter sa chance aux Etats-Unis. Sans succès, malheureusement, puisque le suivant, The Tourist, film à gros budget avec Angelina Jolie et Johnny Depp n’a pas rencontré son public. Depuis, on avait plus ou moins perdu de vue le réalisateur allemand, jusqu’à ce qu’il réapparaisse, cette année, avec un nouveau film plus proche des ambitions de ses débuts.
Ce petit nouveau, Werk Ohne Autor, se déroule lui aussi en Allemagne, mais commence, cette fois, pendant la Deuxième Guerre mondiale. En préambule, nous découvrons Kurt, un enfant de six-sept ans, ébahi devant les toiles du musée qu’il visite avec sa cousine chérie. Cette relation sera cruciale pour le reste de l’existence du jeune allemand. Car l’insouciant Kurt doit dire adieu à la jeune fille, emportée par le régime nazi pour une histoire d’hystérie.
L’art sous la répression
Ce film-fleuve de plus de trois heures, nous fait ensuite passer par les différents régimes qu’a connu l’Allemagne. Kurt grandit, devient un jeune artiste qui doit s’adapter au contexte économique, politique et social de son pays. Ses aspirations évoluent en adéquation. De peintre pour le régime communiste, il parvient à se libérer en fuyant vers l’Ouest avec Ellie, l’amour de sa vie. On suivra alors les joies et les déboires du couple.
Cette fresque mêle donc l’intime à la grande histoire, en gardant toujours un équilibre parfait. La vie de l’artiste, lointainement inspirée par celle du peintre Gerhard Richter, est tout à fait passionnante. Les détails personnels suscitent l’émotion, alors que le fil rouge développe en parallèle le destin de l’Allemagne. Le film nous happe, malgré une longueur qui a de quoi effrayer.
En suivant ce destin particulier, le réalisateur questionne, de surcroît, la façon dont les artistes sont influencés par leur époque. On voit comment un système répressif, qu’il soit d’extrême droite ou d’extrême gauche tente de mettre l’art au service de sa cause. On comprend comment les règles étouffent les ambitions créatrices d’un jeune artiste, mais aussi comment ses expériences personnelles impactent son travail. Plus réjouissant encore, toutes ces indispensables réflexions sont amenées sans lourdeur. Werk Ohne Autor n’est pas un film à thèse ou un exercice d’auteur, c’est un parcours débordant de vie, destiné à une large audience. On y rentre avec une facilité déconcertante, pour ne plus en sortir qu’une fois les lumières de la salle rallumées. Nul doute qu’il est bien parti pour suivre le chemin de son prédécesseur. Et pour preuve: il fait partie des prétendants à l’Oscar du meilleur film étranger.
Elise LENAERTS