Caricaturiste: le bouffon du roi?


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Caricaturiste: le bouffon du roi?
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Par Nancy Goethals
Publié le - Modifié le
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De tout temps, le rôle de bouffon ou fou du roi a permis d'offrir un regard décalé sur l'actualité. Le bouffon avait toute liberté d'expression et jouait un rôle salutaire pour relever les incohérences et les non dits du régime et des dignitaires. Qui joue ce rôle aujourd'hui ? Les caricaturistes! Mais ont-ils vraiment toute liberté de se moquer?

De la liberté de se moquer des religions

Débattre de la question n'est pas chose aisée. C'est pourtant l'aventure dans laquelle s'est lancée la Fondation Sedes Sapientiae, par le biais de deux conférences-débats à Louvain-la-Neuve. Ce lundi elle accueillait sur le plateau, Pierre Kroll, caricaturiste connu et reconnu, et Eric de Beukelaer, vicaire épiscopal de Liège et rôdé à la communication au sein de l'Eglise. Ils ont tenté d'apporter leurs éclairages sur la place de l'humour (par le biais de la caricature) dans les religions.

Un rôle salutaire!

Croquer un fait d'actualité en une seule image et quelques mots est un art qui permet à tout un chacun de prendre du recul. Le caricaturiste ne fait aucune exclusive: tout le monde en prend pour son grade, quel que soit le domaine. En ce compris la religion et les croyances.

Le rôle d'une caricature est donc d'interpeller, de remettre en place et en question. Eric de Beukelaer s'avoue parfois heurté par certains dessins – par exemple le Christ en croix – mais jamais ne lui viendrait l'idée d'interdire à Pierre Kroll ou à tout caricaturiste de dessiner sa vision d'un événement ou d'une question d'actualité catho.

D'ailleurs, le prêtre et croyant prêche avant tout l'importance de rire de soi-même. Il relève par ailleurs que le Christ ne semblait pas dénué d'humour. Par contre, le caricaturiste doute parfois du sens de l'humour de certains croyants...

Dès lors, sous prétexte que l'on ne peut plaire à tout le monde, faut-il museler le caricaturiste? La réponse des deux orateurs est négative.

Tabou?

En matière de caricatures et de religion (thème du débat), pas question pour la religion d'avoir un statut particulier. Il faut maintenir la liberté de se moquer. Le blasphème - qui sera abordé dans une autre conférence-débat le 18 mars - ne peut en aucun cas être légiféré. "Sinon on ne peut plus se moquer de rien ni de personne" insiste Eric de Beukelaer. Et de rappeler que "si quelqu'un se sent attaqué personnellement, il existe déjà des tribunaux".

Tout est question d'interprétation, renchérit Pierre Kroll. Ce qui est tabou ou sacré pour l'un ne l'est pas pour l'autre. Il rappelle ainsi que, pour certains, même un Iphone 5 est sacré. Le caricaturer relèverait dès lors aussi du crime de lèse-majesté. Jusqu'où peut-on donc aller?

Pour Erasme, penseur et humaniste du XVe siècle, le bouffon ou fou du roi jouait le rôle de révélateur. Or, ne dit-on pas qu'il n'y a que la vérité qui blesse? En tout cas, si quelqu'un réagit c'est qu'il est touché. Pierre Kroll est bien conscient que ses dessins vont d'une façon ou d'une autre toucher la sensibilité des lecteurs. Cependant, la caricature n'a pas pour but de critiquer purement et simplement. Elle permet de démonter des idées reçues et – qui sait? – de donner un nouvel élan. Cela demande une connaissance approfondie de l'actualité. Le caricaturiste est donc à l'écoute, s'informe, essaie de capter les émotions et les ressentis. En cultivant l'impertinence, il joue donc le rôle de bouffon du roi. Et, pour celui-ci, il n'y a pas de sujet tabou.

Rester humains

"L'impertinence remet les choses et les gens à leur juste place" dit Pierre Kroll.

Reflet libre et grotesque d'une réalité, la caricature exprime souvent ce que tout le monde pense tout bas, même les grands de ce monde. L'humour est donc salutaire: il faut pouvoir rire de tout car l'humour nous rappelle que nous sommes humains. Ainsi, en rendant leur humanité aux grands de ce monde, la caricature porte chacun et chacune à réfléchir aux conséquences de ses actes mais n'a nulle intention de juger. N'est-elle pas aussi créée par des humains?

Bénir les caricatures!

On peut donc être choqué ou séduit par une caricature de Dieu, de la religion, des croyants…

Et si le caricaturiste donne parfois des traits humains à Dieu, c'est peut-être pour nous inviter à user de notre liberté de réflexion. Ne lui prêtons donc pas trop vite de (mauvaises) intentions: en étant libre de s'exprimer sur tout sujet, il nous rend libres à notre tour d'en rire, ou non.

Humour, humanité et humilité

Ainsi donc, nous ne sommes que des humains et c'est ce que nous rappelle la caricature. Puisque qu'elle nous invite à descendre de notre piédestal, faisons preuve d'humilité et laissons donc toute liberté aux caricaturistes de remuer nos certitudes et nos convictions.

Nancy Goethals


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