Noël est un temps de célébration. La fête résonne aussi comme une invitation. A nous ouvrir aux plus petits. Et si nous essayions de poser sur eux un regard neuf? C’est le défi que relève En Question, la revue du Centre Avec, dans son numéro de décembre. Présentation.
Les rues sont illuminées, les guirlandes se déploient partout. Les centres-villes sont en fête en cette fin d’année. Du moins à première vue… Car vous pouvez aussi décider de changer votre regard. De préférer l’ombre à la lumière. Se dévoile alors une autre réalité. Sous les porches, dans des abris de fortune, enroulés dans des couvertures ou s’échappant de caisses en carton, fuyant votre regard ou suppliant votre amitié, des dizaines de personnes sont là. Silencieuses. Mais leur regard parle pour elles. Y brillent une détresse, une soif, une révolte. Mais aussi, parfois, une espérance, une fraternité. Une foi.
Victimes et coupables
Tout le monde en a déjà fait l’expérience: vivre une épreuve bouleverse les repères de l’existence. Pensez seulement à l’arrivée de la maladie, au décès d’un proche, à la perte d’un emploi… Lorsque l’épreuve est grande et durable, le doute se creuse. Parfois, c’est carrément le sens de la vie qui commence à se poser. Se lever le matin, à quoi bon? Il faut dire que la société n’aide pas toujours à trouver du sens: les pauvres ne sont-ils pas régulièrement jugés responsables de leur situation? En un sens, ne l’ont-ils pas un peu cherché? Pire: ne sont-ils pas des profiteurs du système? Une double peine leur est infligée: en plus de la pauvreté, les fragilisés portent aussi le poids de la stigmatisation.
Donner du sens? Pas toujours! Il existe des situations absurdes. Scandaleuses. Qu’il ne convient pas de justifier. Qu’il importe de dénoncer. En 2018, la croissance mondiale des inégalités doit d’abord nous révolter. Mais le sens peut aussi être une ressource. Une quête. Car les « pauvres » ne sont pas que des pauvres. Bien souvent, ils sont aussi habités d’une foi, d’une espérance. Qui peut soutenir leur quotidien.
Un profond désir de gratuité
Les personnes fragilisées ont faim de nourriture et ont besoin de se vêtir; elles aspirent aussi à être reconnues. « Etre considéré, c’est plus important que d’être aidé. Ou plutôt, ça doit aller en même temps », entendait-on récemment dans la rue. Pour ceux qui y vivent, sans doute n’y a-t-il rien de pire que d’être ignorés. « Le minimum, c’est de regarder les gens de la rue, témoigne Etienne de Ghellinck, jésuite habitant Liège, proche des gens de la rue. Même quand je suis pressé, j’essaie de les saluer. Beaucoup disent se sentir transparents; ça leur fait mal. Ce qu’ils désirent d’abord, c’est de ne pas être jugés ou méprisés. Qu’on ne leur marche pas sur les pieds. Après, si la rencontre est régulière, un apprivoisement peut se faire. Dans ce cas, on ne sait jamais ce sur quoi cela peut déboucher… »
Les précarisés sont souvent en contact avec des professionnels – assistants sociaux, éducateurs de rue, gardiens de l’ordre, médecins ou psychologues… Imbriqués dans des relations d’aide et des liens de dépendance, ils ont pourtant aussi un profond désir de gratuité. Souvent attachés aux liens familiaux, ils ont aussi soit d’amitié, de fraternité, d’authenticité… Logique: sans gratuité, il peut être difficile de sentir que l’on a encore de la valeur. Dans le témoignage des gens qui ont pu quitter la rue, souvent revient le nom d’une personne, le souvenir d’une rencontre fraternelle. Au départ desquelles l’individu a pu se relever. Retrouver le sens de la vie. Et le goût de la marche.
D’abord vers les malades
Dieu? Il peut prendre la forme d’un doute ou d’une question. Parfois aussi celle d’une certitude. Chez certains, la spiritualité est ancrée dans le quotidien, et le lien à Dieu est fort. A nouveau, rien de surprenant: n’est-ce pas dans l’adversité que l’on cherche le plus souvent un réconfort? Combien de fois n’avons-nous pas prié avant un examen, après un échec ou pendant une épreuve? Quant à Jésus, n’est-ce pas d’abord vers les malades, les prostituées et les pécheurs qu’il s’est tourné. Avant de chuter lui-même, rejoignant ainsi les personnes en détresse au cœur de leur souffrance.
Et nous? Les chrétiens peuvent être parfois tentés par une vision binaire: certains seraient invités à évangéliser par les mots, et d’autres par les actes. Il n’y a pourtant pas à choisir. Car agir, c’est dire. Et poser un acte de solidarité revient à rendre l’Autre présent. En donnant, le chrétien fait le pari que Dieu se donne aussi.
Vincent DELCORPS
En Question est la revue du Centre Avec (www.centreavec.be). Dernier numéro: «La quête de sens aux marges de la société» (5€). Avec des contributions de Gwennola Rimbaut, Gabriel Ringlet, Jean-Guilhem Xerri… Contact: secretariat@centreavec.be – 02.738.08.28