Dans son numéro de décembre 2018-janvier 2019, la Revue des Deux Mondes a choisi de consacrer un dossier à la figure du pape François, avec en toile de fond tous les sujets brûlants d’actualité qui ont secoué l’Eglise depuis son avènement : homosexualité, pédophilie, migrants, réformes, …
Le dossier comporte en fait 8 articles rédigés par des personnalités variées. Citons Christiane Rancé, Boualem Sansal ou Jérome Cordelier. Chacun apporte son regard sur un aspect du pontificat en lien avec une affaire ou une actualité marquante.
Une Eglise pauvre pour les pauvres
Christiane Rancé, écrivaine, essayiste et journaliste, auteur de « François, un pape parmi les hommes », dresse un portrait très juste et nuancé du « paysage intérieur » de Jorge Mario Bergoglio. Elle revient sur ses origines, sur l’environnement particulier qui fut le sien jusqu’à son élection qui fait que « son politiquement correct n’est pas tout à fait le nôtre », heurtant parfois l’Occident. Qui nous permet aussi de comprendre cette fameuse affaire de la psychiatrie, suite aux déclarations du pape François lors d’une conférence de presse. En fait, en Argentine, le psychiatre est considéré comme un membre de la famille, écrit Christiane Rancé. « Après le football, la psychiatrie est la deuxième religion laïque des Argentins. » Elle nous explique aussi que la vision de l’Europe du pape est celle des émigrés qui ont quitté un continent marqué par deux conflits qui ont consommé la faillite de la civilisation. Mais de regretter alors sa « myopie sur la jeunesse européenne pourtant très sensible » aux thématiques qui lui sont chers comme l’écologie. Elle estime que François est à l’image de ces curés italiens du 20e siècle, « à la fois pieux et fortement engagé auprès des plus pauvres ». L’implication politique est indubitablement une des caractéristiques de son pontificat, et bien avant, de son épiscopat. Christiane Rancé explique aussi pourquoi l’ascension de Bergoglio a pu faire grincer des dents, lui qui ne rêve que d’une chose : une Eglise pauvre pour les pauvres.
Une triple crise
Jean-Marie Guénois, rédacteur en chef au Figaro, développe de manière très pertinente la triple crise traversée par l’Eglise qu’il qualifie de « perfect storm », tempête totale dont les causes ne sont ni récentes ni superficielles. Les racines du mal sont en effet bien antérieures au pontificat de François mais c’est à lui qu’il incombe d’y faire face. Pour Guénois, l’année 2018 restera dans les annales de l’histoire de l’Eglise. En effet, celle-ci traverse une forte zone de turbulence d’ordre structurel, intellectuel et moral. Tout d’abord, François s’en est pris ouvertement au fonctionnement de la Curie et à l’administration vaticane, chose que son prédécesseur n’avait pas osé faire, quoique conscient de la situation problématique. Ensuite, l’Eglise est arrivée à un stade où elle doit redéfinir sa mission et se (re)positionner par rapport au modernisme et à l’autorité du pape. Si, en 1963, lors du Concile Vatican II, l’Eglise s’est clairement exprimée en faveur de l’ouverture à la modernité, le réformisme accéléré de l’actuel pape en a crispé plus d’un. Et enfin, les prêtres pédophiles et la gestion épiscopale des affaires de pédophilie ont durablement entamé la crédibilité de l’autorité morale de l’Eglise, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de celle-ci. Trois lames de fond qui ont déstabilisé l’institution et provoqué un embrasement global dont Eglise et fidèles ne sortiront pas indemnes. Jean-Marie Guénois développe en détails les dossiers de pédophilie et revient aussi sur l’affaire Vigano définie comme le « procès public de l’incohérence de l’Eglise avec l’exigence morale qu’elle professe. » Mais de souligner tout de même un acte de gouvernement sans précédent avec le sommet de crise convoqué en février 2019 par le pape François.
Un pape global?
Dans un autre article, Christian Makarian, directeur délégué de la rédaction de L’Express, pense que l’Eglise et le pape ont un rôle à jouer, que leur influence demeure là où les Etats en ont de moins en moins à savoir dans les affaires mondiales, dans la diplomatie internationale. L’action planétaire de François montre une orientation toute particulière et très personnelle vers les zones délaissées – qu’il a lui-même nommées les périphéries – , les individus, les masses humaines et les peuples, victimes de la mondialisation. Pour Makarian, François chemine aujourd’hui avec une nouvelle conception de l’autorité, il semble avoir tournée la page purement doctrinaire et son élection marque un tournant majeur dans la géopolitique. Dans cette transformation de la mission de l’Eglise, François ne propose rien de moins que de s’engager dans une diplomatie de la miséricorde. Et l’enjeu, pour l’Eglise, n’est plus de défendre une civilisation mais d’aller vers toutes les formes de souffrance. L’attitude de François consiste alors à peser sur le monde en entrant là ou ne l’attend pas, comme il l’a fait d’entrée de jeu en réservant sa toute première sortie de Rome aux migrants échoués à Lampedusa en 2013. Markarian conclut: « il est le seul leader du monde à incarner encore le magnifique pari de l’utopie. »
Les autres articles du dossier méritent également une lecture attentive, entre autres celui de Boualem Sansal, très éclairant sur le dialogue présent et futur avec l’Islam et l’entretien de Jérôme Cordelier avec Andrea Riccardi pour qui le pape François est un « leader incontournable. »
Sophie Delhalle