Roman : Les héros sont éternels


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Roman : Les héros sont éternels
Par Angélique Tasiaux
Publié le - Modifié le
3 min

La Révolution socialiste congolaise, qui s'en souvient? C'est par la voix de Michel, un jeune adolescent, que l'écrivain congolais Alain Mabanckou rapporte des événements tragiques survenus à Brazzaville, en mars 1977.

Au départ d'un fait historique avéré, à savoir l'assassinat du président Marien Ngouabi, l'écrivain exilé aux USA revient sur trois journées sanglantes de couvre-feu dans un pays en proie au tumulte d'un coup d'Etat.

Dans les yeux d'un collégien

Sage et apparemment sans histoire, Michel vit à Pointe-Noire, entre son papa Roger, réceptionniste dans un grand hôtel, et sa maman Pauline, grossiste spécialisée dans la vente de bananes. Enfant unique, bon élève au collège des Trois-Glorieuses, promis au lycée Karl-Marx, rêveur, très rêveur, Michel épingle de menus gestes du quotidien. Observateur aguerri, c'est du haut de ses 13 ans qu'il dissèque, l'air de rien, le monde et la ville qui l'entourent dans des sentences parfois chargées d'émotion "pour bien apprécier la nourriture il faut qu'il n'y ait pas de boule qui serre le cœur". L'humour n'est pas absent de ses remarques, comme le rappelle la sempiternelle "autrement on va encore dire que moi Michel j'exagère toujours et que parfois je suis impoli sans le savoir…" Grâce à lui, le lecteur découvre une multitude d'anecdotes locales, quelquefois cocasses. Ainsi les hosties du père Weyler sont-elles sucrées, les chaussures à talon sont-elles appelées des "talons-dames", tandis que les cabanes de planches sont des "maisons en attendant", les filles légères des "évadées", les palabres des moments où l'on se prend à "patoiser", la Chine leur "a cadeauté les hôpitaux", etc. Plus largement, l'écrivain d'origine congolaise dresse un état des relations familiales en usage, avec la bigamie ou les préséances et obligations dans les fratries, entre frères et sœurs. Au-delà des particularités locales ou régionales, l'écrivain Mabanckou s'interroge sur la suspicion qui gangrène les relations, sur les obligations liées au pouvoir étatique, sur le colonialisme, ses prolongations et incidences nationales. Dans ces pages, l'éloge du communisme revêt un ton dithyrambique et excessif, alors que les membres du Parti Congolais du Travail sont devenus les nouveaux maîtres du pays. "Dès qu'on porte cet insigne, même sur une chemise d'occasion, les gens tremblent, ils vous craignent", rapporte Michel. Et à la suite de l'assassinat du camarade président Marien Ngouabi, les journées de deuil national imposent d'afficher publiquement son chagrin, faute de quoi la menace d'une séquestration arbitraire plane sur les citoyens.

Armé d'un transistor de marque Grundig, le père de Michel suit de très près l'actualité politique en écoutant la radio nationale, complétée par des incursions en terres étrangères avec la Voix de l'Amérique. Les observateurs y semblent mieux informés des vicissitudes éprouvées par la population, comme le soulignent des passages entiers consacrés à la Roumanie ou à Jacques Chirac alors même que le pays est la proie des émeutes. Information et désinformation se succèdent aux oreilles de l'adolescent qui se fabrique sa représentation du monde.

Angélique TASIAUX

Alain MABANCKOU, "Les cigognes sont immortelles". Paris, Seuil, août 2018, 304p.

 

Catégorie : Culture

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