Grâce à l’heureuse et rigoureuse combinaison de plusieurs disciplines scientifiques, il est aujourd’hui possible de recomposer le visage d'un évêque mort au milieu du XIIIe siècle!
C’est à un spectaculaire résultat que vient d’aboutir le projet CROMIOSS (pour Etudes croisées en histoire et en sciences exactes sur les mitres et les ossements de l’évêque Jacques de Vitry), porté par la Société archéologique de Namur: la recomposition du visage de Jacques de Vitry, évêque mort à Rome en 1240.
Un projet qui a mobilisé les technologies les plus avancées pour d’abord tenter de lever le voile d’incertitude entourant les ossements supposés de Jacques de Vitry et des deux mitres du Trésor d’Oignies réputées lui avoir appartenu.
Les résultats de cette recherche transdisciplinaire, soutenue par le Fonds Jean-Jacques Comhaire et géré par la Fondation Roi Baudouin, viennent d’être présentés lors d’un colloque ‘Labs, Art and Relics’ organisé à Bruxelles.
Pluridisciplinaire
Lancée en 2015 à l’initiative de la Société archéologique de Namur, l’ambitieuse recherche CROMIOSS fait appel à l’archéologie, l’anthropologie, la biologie, la chimie, mais également la physique nucléaire dans le but de vérifier si l’évêque inhumé au Prieuré d’Oignies en 1241 serait aussi le propriétaire des mitres liées au Trésor d’Oignies.
Cette recherche scientifique est 100% belge avec mobilisation des compétences de laboratoires de l’U-Namur et de la KUL, mais également du Musée de la Mode (Anvers), de l’Institut Royal des Sciences Naturelles (Bruxelles), de l’IRPA (Bruxelles), sans oublier la Société Archéologique de Namur.
Le projet a bénéficié du soutien du Fonds Jean-Jacques Comhaire qui vise justement à favoriser l’usage des méthodes d’investigation utilisant les sciences exactes comme les sciences auxiliaires de l’histoire et de l’histoire de l’art.
A noter que les universités et institutions scientifiques mobilisées ont intégré, pour limiter au maximum les coûts d’investigation, le projet COMIOSS dans leur programme annuel de recherche.
Une seule et même personne?
Trois ans après l’exhumation, quelque peu solennelle, des ossements du reliquaire de Jacques de Vitry, dignitaire religieux et mécène mort à Rome en 1240, cette recherche a donné d’excellents résultats.
Le croisement des études en histoire et en sciences exactes, notamment des analyses ADN, ont permis de lever, partiellement en tout cas, le voile d’incertitude.
S’il n’est pas permis d’affirmer que Jacques de Vitry est bien la personne qui a effectivement porté les fameuses mitres, les scientifiques ont maintenant la certitude qu’aucun élément ne corrobore la thèse inverse.
"Si l’identification ne peut être affirmée davantage", précise Fiona Delbecque, coordinatrice du programme Cromioss, "c’est parce que nous ne pouvons comparer l’ADN relevé sur les ossements avec celui d’une personne contemporaine de la lignée de Jacques de Vitry."
Sculpture numérique
Les technologies les plus récentes ont en outre été utilisées pour réaliser une exceptionnelle recomposition faciale de l’évêque, âgé d’environ 60 ans au moment de son décès.
Cette "sculpture numérique" du visage a été réalisée grâce à la combinaison de trois éléments: le crâne, une analyse anthropologique et enfin l’examen de l’ADN.
"La combinaison de ces trois éléments a permis de reconstruire le visage de Jacques de Vitry, sachant toutefois que divers éléments comme la couleur des yeux, des cheveux ou encore la coupe de ceux-ci sont volontairement "discrets" puisque les analyses effectuées, aussi poussées soient-elles, ne nous permettent pas d’avancer avec certitude", souligne Fiona Delbecque.
Les rares images disponibles de l’évêque, qui datent au plus tôt du XVIIIe, sont elles-mêmes tirées de sources du XVIe, n’offrant aucune certitude sur la réelle physionomie de l’évêque.
Trésor rarissime
Les mitres appartenant à l’évêque ont par ailleurs fait l’objet d’une étude approfondie selon plusieurs méthodes scientifiques comme une analyse par spectre de masse et un examen macroscopique pour étudier les fils d’or et d’argent visant à les dater, à identifier leur provenance et à les recontextualiser au sein du Trésor d’Oignies.
Composé d’une cinquantaine de pièces d’orfèvrerie, principalement religieuse, ce trésor rarissime du XIIIe siècle a été transmis en 2010 par les Sœurs de Notre-Dame de Namur à la Fondation Roi Baudouin, en charge de sa sauvegarde.
L’extrême raffinement des objets d’art, la maîtrise technique, les matériaux rares et précieux, le très bon état de conservation et l’historique particulier de ces pièces en font un ensemble de réputation internationale.
En 1978, le trésor constituait l’une des ‘Sept Merveilles de Belgique’ et, en 2010, trente-deux pièces ont été classées par la Fédération Wallonie-Bruxelles comme patrimoine culturel mobilier exceptionnel.
Le trésor est mis en dépôt à la Société archéologique de Namur, qui en assure la gestion scientifique et contribue à l’étude et à la mise en valeur de ce patrimoine inestimable. Il est exposé au Musée provincial des Arts anciens du Namurois (le TreM.a).
Hugo LEBLUD