La Résistance religieuse fut une réalité aussi durant la Première Guerre mondiale. En Belgique un grand homme d’Eglise, le cardinal Mercier en sera la figure de proue. Dans son sillage, de nombreux prêtres partiront au front, certains faisant preuve d’un courage, voire d’une bravoure, exemplaire.
La fameuse lettre pastorale « Patriotisme et endurance » du cardinal Mercier qui sera lue le 1er janvier 1915 dans toutes les églises du royaume n’est pas un acte spontané. Elle est le fruit d’une longue réflexion qui fit passer le Primat de Belgique d’un silence à une demande faite à son clergé d’obéir aux injonctions de l’occupant avant de comprendre que la défaite n’était pas inéluctable devant le coup d’arrêt donné aux troupes allemandes sur les rives de l’Yser. On a dit aussi que la lettre pastorale, qui ne fut pas contresignée par les autres évêques, aurait été inspirée par Lambert Beauduin, bénédictin de l’Abbaye de Mont-César. Il était temps en effet de rendre hommage à l’héroïsme des soldats belges ainsi qu’à leur commandant en chef, le Roi Albert Ier, peu enclin à suivre ses ministres à Sainte-Adresse à côté du Havre, pour lui préférer la cité balnéaire de La Panne à une dizaine de kilomètres du front. « Dieu sauvera la Belgique », conclut le cardinal Mercier dont l’adresse au peuple belge sera diffusée largement au-delà des frontières de ce petit pays martyr. D’autres grands prélats inspirés par son exemple feront de même dans leurs diocèses.
Cette résistance morale a suscité chez certains des initiatives plus actives. On se souvient bien entendu des figures de proie que furent Edith Cavell ou Gabrielle Petit. On sait moins que le Collège Saint-Michel à Bruxelles fut fermé sur ordre de l’occupant en 1917 parce que deux jésuites les Pères Delehaye et Deharveng collaboraient activement à La Libre Belgique clandestine. Le Père Eudore Devroye, recteur de l’institution, sera lui aussi régulièrement arrêté.
Prêtres au front
La Belgique en temps de paix disposait déjà d’un certain nombre d’aumôniers essentiellement catholiques dans les hôpitaux et à l’Ecole militaire. Dans un premier temps, il est prévu d’affecter une cinquantaine de prêtres aux troupes de campagne. Mais quinze jours après le début des hostilités, à la demande du cardinal Mercier, le Roi ordonne sur la base du volontariat que chaque bataillon dispose dorénavant d’un représentant ecclésiastique. Ils ont rang d’officier et doivent troquer dès l’été 1915 la soutane beaucoup trop voyante et ample contre l’uniforme militaire avec col romain et une croix à la place des étoiles et des barrettes définissant les grades. Au cœur du conflit, ils seront 350 aumôniers catholiques, onze protestants et six rabbins à exercer leur sacerdoce en première ligne. Dans son remarquable ouvrage intitulé Histoire religieuse de la Grande Guerre, Xavier Boniface précise que les deux tiers de ces représentants de Dieu « sont nés en Flandre, parce que le catholicisme y est plus implanté qu’en Wallonie, mais aussi parce que la seule partie de la Belgique non occupée, le Westhoek, est flamande. Néanmoins ils doivent être capables de prêcher dans les deux langues. Proches des officiers francophones, ils sont par ailleurs moins gagnés par l’agitation flamande que les prêtres brancardiers. Certains associent pourtant apostolat religieux et politique à l’instar de l’abbé Vandermeulen, un aumônier que les autorités militaires ont mis trois mois en indisponibilité pour avoir écrit: « Nous sommes d’abord Flamands, Belges ensuite ».
Pour éviter des dérapages de ce type, le ministre de la guerre fait appel à Mgr Jean Marinis qui sera chargé de l’inspection des aumôneries militaires et à ce titre de veiller surtout sur les prêtres brancardiers soumis à « des influences contradictoires ». Il n’aura jamais le pouvoir des nominations car l’aumônerie relève du service de santé de l’armée et c’est à lui que reviennent les décisions ultimes.
L’abbé Lens en Russie
Des aumôniers ont été victimes d’obus et de tirs et ne reverront jamais leurs paroisses d’origine même s’ils sont moins nombreux à être tombés que les soldats qui montaient à l’assaut des tranchées ennemies. Des portraits de ces ecclésiastiques qui ont traversé le siècle qui nous séparent de la fin de la Première Guerre mondiale, nous avons retenu deux figures emblématiques.
L’Abbé Lens né à Lierre le 28 avril 1881 fut l’aumônier du fameux corps expéditionnaire belge des autos-canons-mitrailleuses belges censé partir combattre avec l’armée du tsar Nicolas II sur le front russe. Mais évidemment pas question de la rejoindre par l’Est, le chemin étant barré par les lignes allemandes. C’est donc par bateau via les Etats-Unis et la Sibérie qu’au bout d’une bonne année, les blindés belges entrèrent en action stoppés ensuite dans leur élan par la Révolution d’octobre 1917 qui mit fin au régime impérial. Volontaire de guerre dès le déclenchement des hostilités, Lens se retrouve au 2e bataillon de carabiniers cyclistes pour être ensuite versé dans le corps expéditionnaire des autos-canons-mitrailleuses destiné à se battre en Russie dont il reviendra vivant pour intégrer le centre d’instruction de sous-lieutenants auxiliaires d’infanterie et rejoindre une paroisse fin 1919. Fait remarquable, notre aumônier sera cité plusieurs fois à l’ordre du jour de l’armée russe. Une première fois le 25 août 1916 « pour le courage et le dévouement inlassable qu’il déploya dans l’exercice de son ministère; ne négligea aucune occasion de se porter aux postes les plus dangereux. » Il fut à nouveau mis à l’honneur le 28 juillet 1917 pour avoir fait preuve d’esprit de sacrifice en se portant au mépris du danger au secours des soldats servant une batterie déjà éprouvée par des lourdes pertes. Il ramena à l’arrière sous une pluie d’obus les derniers survivants ainsi que les corps de deux soldats tombés au champ d’honneur. L’abbé Lens fut encore honoré de bien d’autres distinctions russes ainsi que de la croix de guerre belge pour « au cours de sa longue présence sur le front s’être particulièrement signalé par sa belle conduite au feu et son dévouement continu ».
Aumônier Trompe-la-Mort
Lisons la justification annexée à l’octroi de la Croix de Guerre au père Georges dont Jacques-Robert Leconte, autrefois conservateur du Musée de l’Armée a retrouvé la trace: « Au front depuis 45 mois. Est un modèle de courage et de bravoure. Fait preuve dans l’exercice de son sacerdoce de la plus haute conception du devoir. Fut blessé par un éclat d’obus au début de l’attaque du 14 octobre 18 à Luikhoek. Quoique sa blessure présentât une certaine gravité au point de vue des complications possibles, il refusa de se laisser évacuer; pendant toute l’action, il se dépensa au-dessus de ses forces en transportant des blessés, animant le courage des combattants par sa présence continuelle en première ligne et organisant le service de santé du bataillon pendant l’absence des deux docteurs blessés. Se distingua tout particulièrement le 22 octobre 18 au combat sur le canal de dérivation de la Lys à Overbroeken en allant chercher sous le feu des mitrailleuses ennemies, les corps de deux officiers tombés sur la berge ouest du canal. » Le père Georges avait bien mérité son surnom d’aumônier trompe-la-mort comme l’évoque si bien le père Lallemant qui fut Padre au 18e de ligne et qui fit toute la guerre à ses côtés. Georges avait le physique d’un tronc de chêne de son Ardenne natale. Il dominait la fatigue à la perfection. Pendant l’été 1917, il fut pris sous une salve d’obus qui finit par l’enterrer vivant. Quand Lallemant apprit la nouvelle, il se porta à son secours en imaginant le pire car en langage codé, le téléphone lui avait signifié: « Major, bouteille fêlée, aumônier aussi » ce qui signifiait blessure grave. Et quelle ne fut pas la surprise de voir arriver notre homme d’Eglise sortir indemne de la boue en faisant mine de clopiner sous le poids de la terre qui recouvrait tout son uniforme. A peine lavé, il reprit aussitôt son service aux avant-postes. Une autre fois, parti à la recherche d’un soldat, un obus tomba sur la place qu’il venait de quitter tuant trois hommes et en en blessant trois autres. Après bien d’autres péripéties qui lui firent frôler la mort, le père Georges faillit ne jamais voir la fin de la guerre. « A deux jours de l’armistice, sur l’Escaut, nouvelle algarade, confie Lallemant, on signale un blessé dans une maison à cent mètres du poste de secours. L’abbé part aussitôt; à mi-chemin, un sifflement brusque… Il n’a pas le temps de faire le plongeon. Il n’est qu’à genoux. L’obus tombe à deux mètres sur la gauche, heureusement toute la projection se fait en avant. Encore une fois sauvé! »
Tel fut le lot de bien de gens d’Eglise qui se dévouèrent corps et âme pour le salut des leurs ouailles au mépris de tout danger.
Hervé GÉRARD
Xavier Boniface, Histoire religieuse de la Grande Guerre. Ed. Fayard, 2014, 504 pages