Pour son film Cold war, le réalisateur polonais Pawel Pawlikowski s’est inspiré de la vie de ses parents. Une histoire d’amour impossible, digne d’une tragédie de Shakespeare.
La froide campagne polonaise, 1949. Des professeurs de musique font passer des auditions. Ils cherchent des jeunes filles pour interpréter des chants lors d’un spectacle propagandiste mandaté par le Parti. Les candidates s’enchaînent, faisant entendre des voix cristallines, jusqu’à ce que le regard de Viktor, chef d’orchestre, croise celui de Zula, une paysanne à l’air déterminé. C’est le coup de foudre. La jeune femme est engagée et entame une relation passionnée avec le musicien. Le spectacle est un succès, ils commencent donc à voyager. En Pologne d’abord, puis dans les pays voisins. Hélas, malgré leur envie profonde de vivre ensemble, leur relation semble condamnée à échouer. Alors que Viktor rêve de l’Occident, Zula reste attachée à son pays, fût-il soumis à un régime totalitaire. Le musicien s’enfuit donc pour Paris, où il sera rejoint, des années plus tard, par son amante. Laquelle repartira vers la Pologne où Viktor est désormais perçu comme un traître. Les années passent, chacun mène sa vie, se retrouvant dans des étreintes passionnées au gré du destin ou de la situation politique.
Dans un splendide noir et blanc rappelant les photos du studio Harcourt, Pawel Pawlikowski retrace le récit le plus simple du monde. L’histoire d’amour impossible entre deux êtres que le destin s’obstine à séparer. Ces amants maudits s’aiment pour mieux se quitter, dans des chassés-croisés, d’un pays à l’autre. Mais cette simplicité n’est qu’apparente. Elle sert un récit sensible empreint de romantisme et de tragédie. De réalisme aussi, le réalisateur s’étant inspiré de l’histoire de ses parents qui ont joué au "je t’aime moi non plus" pendant des années.
Fresque intime
Les actes manqués de ce couple servent aussi de prétexte à une réflexion sur la vie d’artiste sous un régime totalitaire, celui de Staline dans leur cas. Zula devient ainsi espionne chargée de rapporter les faits et gestes de son amant, sans ressentir de culpabilité. Leur relation n’est donc pas idyllique de bout en bout. Ils subissent les accrocs de l’extérieur, comme ceux de leurs personnalités. Ils se quittent, se retrouvent, se marient avec d’autres, se retrouvent encore, formant un cercle dont ils sont prisonniers. L’histoire semble se répéter, mais jamais on ne se lasse, grâce à une mise en scène délicate.
Malgré l’absence de couleurs, ce drame intimiste nous enveloppe de chaleur. Comme un tableau, Cold War, nous plonge dans des ambiances visuelles, de la Pologne grise et froide des années cinquante au Paris festif et bohême. Gardant la musique comme point de repère, Pawel Pawlikowski réunit ses personnages dans des cabarets, des bistrots enfumés, des ruelles pavées ou des salles de concert aux sièges de velours. C’est dans une de ces salles parisiennes qu’on assiste à une séquence résumant à elle seule le drame des deux artistes. Sur scène, Zula chante et se trouble en reconnaissant son amoureux dans le public. Il en sera ainsi jusqu’au final, digne d’une tragédie shakespearienne.
Elise LENAERTS