A l’occasion de la fête de Toussaint, le cardinal Jozef De Kesel, archevêque de Malines- Bruxelles et président de la Conférence des évêques de Belgique, a accordé un entretien à « Dimanche ». Il parle du sens de cette fête, mais également de la vision chrétienne de l’au-delà.
Monsieur le Cardinal, que fête-t-on exactement le jour de la Toussaint?
La fête de la Toussaint est comme le point d’orgue de toute l’année liturgique. Celle-ci commence avec l’Avent, l’attente du messie. Vient ensuite la Nativité, et puis Pâques. Dieu est venu dans notre monde en Jésus, pour nous sauver; c’est la fête de la résurrection. Il nous a donné l’Esprit-Saint, c’est la Pentecôte Et puis, au mois d’août, on célèbre l’Assomption de la Vierge Marie. Le Christ n’est pas ressuscité pour lui seul, et voilà que déjà sa mère aussi participe à cette vie nouvelle qu’il nous a donnée.
A la fin de l’année, on célèbre la Toussaint. Dans le texte de l’Apocalypse, on parle des 144.000 de toutes les tribus d’Israël. Et puis, le visionnaire de Patmos évoque une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, issue de tous les peuples, de toutes les races, de toutes les tribus, qui se trouve en présence de Dieu.
Cela veut dire qu’Il est venu pour tous. C’est la résurrection de la création elle-même. Ce que Dieu a commencé en créant ce monde, il l’accomplit. Et donc, la Toussaint, c’est la fête de l’espérance, de l’accomplissement, de Dieu qui, finalement, dira que tout ce qu’il a fait est bien.
On confond parfois la fête de la Toussaint avec le 2 novembre, qui est le jour des morts, mais ce n’est pas tout à fait la même chose.
Ce n’est pas du tout la même chose. Pourtant, petit à petit, on ne fait plus la distinction entre les deux. Les deux fêtes – mais le jour des morts n’est pas une fête proprement dite – ont une toute autre origine. Le jour des morts, dont l’appelation exacte est « commémoration des fidèles défunts », vient de la tradition monastique. Depuis les VIe–VIIe siècles existe cette tradition, dans les monastères, qui consiste à commémorer, un jour, tous les moines défunts.
C’est l’abbaye de Cluny qui est à l’origine de cette célébration dans l’Eglise en Occident. A partir du XIVe siècle, cela s’est répandu dans toute l’Eglise. La fête de la Toussaint a une toute autre origine. Elle ne vient pas de la tradition monastique, mais elle est ancrée dans la foi pascale, et elle clotûre un peu l’année lirturgique.
Qu’est-ce que la communion des saints, que nous célébrons à la Toussaint?
La communion des saints, « communio sanctorum », est la définition même de l’Eglise. L’Eglise est communion des saints. Quand nous parlons de l’Eglise, beaucoup de nos contemporains pensent surtout à l’institution. On pense à Rome, à la curie romaine, etc. Il est évident que l’Eglise a aussi une dimension institutionnelle, mais le concile Vatican II nous a dit que, avant de parler de l’Eglise comme institution, il faut parler de l’Eglise comme communion, comme Peuple de Dieu, comme Corps du Christ, comme Temple de l’Esprit.
Mais ce qu’on oublie, je pense, c’est qu’il ne s’agit pas simplement de ceux qui sont sur cette terre. Il y a la communion des chrétiens, la communion autour de Jésus. Dans le Nouveau Testament, les saints, ce sont les chrétiens, ceux qui sont appelés, qui appartiennent à Dieu. Mais l’Eglise, dans son mystère complet, ce n’est pas seulement l’Eglise sur cette terre, mais aussi – et c’est cela la définition de la communion des saints – tous ceux et celles qui nous ont précédés.
Pendant la célébration de l’eucharistie, le président, le prêtre, prononce la grande prière eucharistique au nom du Peuple de Dieu, donc en communion avec tout le peuple. Cette prière s’ouvre par la préface, et tout de suite après cette première partie, le peuple s’associe, et dit: « Saint, Saint, Saint est le Seigneur. » C’est un signe qu’on se met en communion, non seulement avec ceux qui sont là, avec l’Eglise tout entière qui est sur cette terre – on cite le nom du pape, de l’évêque –, mais aussi en communion avec la Vierge Marie, avec ceux qui nous ont précédés, tous les saints, avec les anges, avec tous ceux qui sont autour de Dieu. Donc, la communion, la communio sanctorum, c’est cette foule immense que nul ne peut dénombrer, sur la terre et dans le Ciel, et qui, dans une seule communion, proclame la louange de Dieu.
Comment peut-on vivre cette communion avec nos proches qui ont disparu. Peut-on communiquer avec les morts? Que dit la foi chrétienne à ce propos?
Si par « communiquer », on entend que je dis quelque chose et que je reçois une réponse, je dirais non. En ce sens-là, l’Eglise n’a jamais reconnu des « revenants ». Mais il y a contact, dans le sens où on peut prier. On peut prier pour eux, et on peut demander aussi qu’ils intercèdent pour nous. C’est là une façon d’être présents, et c’est une très belle tradition dans l’Eglise.
Il y a cette tradition que l’Eglise a toujours maintenue: autour de l’autel du Seigneur, quand on célèbre l’eucharistie, ne jamais oublier ceux qui nous ont précédés. C’est le signe de notre communio, de cette communion des saints. Quand on meurt, on est vite oublié… Mais il y a Un Seul qui n’oublie jamais… Et c’est cela que l’Eglise demande pour les défunts: « Memento », « Ne les oubliez pas ».
Quand on parle de l’après-mort, on pense à la notion de paradis, de « Ciel ». Comment comprendre cette réalité? Est-ce un lieu, ou un état dans lequel on se trouve…?
Ce n’est pas un lieu. Est-ce un état? Oui, peut-être… Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas ce que nous avons connu ici. Il n’y aura pas de souffrance, de douleur, de mort, tout aura été vaincu. Mais cela dépasse tellement notre intelligence, nous ne savons pas… Dans l’Ecriture, encore une fois dans le livre de l’Apocalypse, voici ce qui nous est promis: « Je serai votre Dieu, et vous, vous serez mon peuple ». C’est ce que Dieu a voulu en créant ce monde, en s’engageant pour ce monde, pour cette Alliance entre Lui et nous, qui est source de bonheur. Parce que la vie éternelle, ce n’est pas simplement une vie sans fin. Imaginez-vous, ça ne se termine jamais… Pour certaines personnes aujourd’hui, ce serait une horreur… Mais ce n’est pas cela. La vie éternelle, c’est la vie bienheureuse, c’est l’amour. C’est l’objet de l’espérance la plus profonde de l’homme.
Si on pense au paradis, on pense aussi à l’enfer… L’enfer existe-t-il vraiment? Et est-on sûr qu’il n’y a personne en enfer? Et qu’en est-il du purgatoire?
Oui, je pense qu’il est inévitable de parler de l’enfer. A savoir s’il y a quelqu’un en enfer, c’est une autre question. Mais cette possibilité existe. La question est cependant: c’est quoi l’enfer? La première lettre de saint Jean dit: « Celui qui ne connaît pas l’amour, ne connaît pas Dieu. » L’enfer, c’est le « lieu » où il n’y a pas d’amour. Il n’y a que la haine, l’égoïsme, l’homme qui ne s’occupe que de lui-même, où il n’y a plus rien qui est digne d’être aimé. Est-ce qu’un tel homme existe? Je pense à une figure comme Adolf Hitler… Nous sommes là à la limite de notre pensée. Je n’ose dire oui ou non. Je ne sais pas.
Est-ce que le contraire existe? Un homme où il n’y a que l’amour? Je pense qu’il y a toujours les deux en nous. Je pense que chaque être humain, quand il meurt, est entre les deux. Et c’est là l’origine du purgatoire. Personne n’est parfait. Et donc, il y a encore ce moment de purification. Le purgatoire n’est pas l’enfer. L’enfer veut dire que tout est fini, détruit, que tout est absurdité, qu’il n’y a plus rien qui puisse donner sens à notre vie. C’est le néant, la faillite totale. Ce n’est pas le cas du purgatoire, même si c’est évidemment une façon de parler. Mais ce concept veut dire qu’on est accueilli par Dieu, qu’on est aimé par Lui. Quand nous mourons et que nous apparaissons devant Dieu, nous ne sommes pas parfaits.
Pour moi, le purgatoire, c’est le regard du Christ, quand il me verra, nu, tel que je suis. Tant que je suis sur cette terre, je peux me cacher, ou faire semblant. Mais là, ce n’est plus possible. Il n’y a plus que la vérité, dans toute sa nudité. Et pour la première fois, je me verrai moi-même comme Lui il me voit. Et je pense que cela me fera beaucoup de peine. Mais c’est ce regard qui va me purifier, par son feu, mais qui est toujours, dans le purgatoire, le feu d’amour.
Propos recueillis par Christophe HERINCKX (Fondation Saint-Paul)