De nombreuses initiatives citoyennes constatent l’impasse dans laquelle conduit le « dogme » de la croissance. Elles attestent d’un intérêt pour des modes de vie plus soutenables. Dans ce contexte, le Centre d’Innovation et de Design (CID) propose de réfléchir au rôle et à la place du designer.
Plusieurs questions ont conduit le CID à proposer cette réflexion-exposition sur le thème de la décroissance. Peut-on, face à cette question, penser le design autrement? Peut-on mettre en œuvre des méthodes classiques de création/conception pour réduire le gaspillage? Quels types de projets sensibilisent, invitent à réduire la consommation de matières premières et d’énergie fossile? Peut-on concevoir un design sans profit?
« Aujourd’hui, constate Marie Pok, directrice du CID et commissaire de l’exposition ‘Halte à la croissance!’, les jeunes designers ne se sentent plus galvanisés par la production massive de biens de consommation. Ils se passionnent pour la recherche de processus, de méthodes et d’outils de travail plus respectueux de l’environnement et des ressources, favorisant de la sorte une plus juste répartition des bénéfices. »
Design plus soutenable
Retour alors à la question qui fonde cette exposition au CID: est-il possible de penser le design autrement? Pour répondre à cette vaste question, la commissaire explore six pistes qui sous-tendent l’expression d’un design plus soutenable: la simplicité volontaire, le recyclage, la production locale, la low tech (technologie issue de matériaux recyclés ou directement de la nature), la lutte contre l’obsolescence programmée, l’avènement de nouveaux modèles économiques.
Souhaitant présenter aussi une cohérence dans la démarche, au plus près de la thématique présentée, la scénographie de cette exposition, signée par Benoît Deneufbourg, a eu pour consigne stricte de réutiliser un maximum de matériaux ayant déjà servi lors d’expositions précédentes au CID.
Cette manière de faire se refuse toutefois de tomber dans le cliché de l’esthétique « récup » et c’est pour cela, pour prendre ce seul exemple, que les socles sur lesquels sont présentés les objets ou installations sont vivement colorés, chaque couleur correspondant à une des six thématiques de l’expo.
« La décroissance ne signifie ni retour en arrière, ni privation drastique », ponctue Marie Pok.
Même sobriété dans l’approche de l’identité visuelle, l’ensemble des supports (invitations, affiches…) utilisant des chutes de papier rejetées lors des tests d’imprimerie.
Le CID a également renoncé, toujours dans cette même philosophie, à publier un catalogue « papier », privilégiant le concept de « catalogue évolutif » disponible exclusivement et gratuitement en ligne.
Pénurie et pizzeria
Enfin, l’exposition est prétexte aussi à l’accueil, pendant une quinzaine de jours, de deux designers sur le site du Grand Hornu. Ainsi, la Française Mathilde Pellé a investi l’atrium du Grand Hornu avec son installation « Soustraire, une pénurie » où elle vit physiquement. Se considérant comme en état de pénurie, chaque jour, Mathilde Pellé s’est imposé de « rendre à la société » (à l’Etat) 9 kg de matériaux quelconques tirés de son environnement domestique!
Pour Marie Pok, ce projet expérimental à tout le moins original « est une fable contemporaine qui dessine un futur proche où les idées de confort et de consommation admises actuellement seraient complètement ébranlées par une baisse des moyens matériels ».
Quant à Laurent Tixador, les extérieurs du Grand-Hornu lui ont donné l’idée d’y aménager de toutes pièces, avec des matériaux de récupération, une… pizzeria livrant des pizzas en utilisant pour garniture des herbes sauvages poussant à proximité! « Un acte de piraterie qui revendique son droit à jouir d’une économie frugale », résume le designer nantais.
Jusqu’au 21 octobre – www.cid-grand-hornu.be
Le pape François plaide pour une « certaine décroissance »
En écho aux propos, aux thématiques et aux objets ou installations déployés par la petite vingtaine de designers dans les salles du CID au Grand-Hornu, comment ne pas se souvenir de quelques propos tenus par le pape François à l’occasion de la publication, voici un peu plus de trois ans, de l’encyclique Laudato si’(Loué sois-tu).
D’emblée, il faut noter que ce texte en forme de plaidoyer d’un peu moins de 200 pages n’a pas été écrit seulement pour les catholiques. Avec ce texte, François s’adresse directement à « chaque homme de cette planète ».
Cette encyclique est un véritable appel à prendre chacun, quel que soit le poste ou les fonctions que nous occupons, nos responsabilités « pour bâtir une nouvelle solidarité universelle ».
Le pape argentin met en avant la proposition d’une « écologie intégrale » avec une véritable remise en cause des modèles productivistes et ultralibéraux pour d’autres modèles de production mais aussi de consommation et de style de vie teintés de plus de sobriété.
Marquer une pause
Parmi les chapitres égrenés tout au long de l’encyclique Laudato si’, un de ceux-ci entre en résonance directe avec l’exposition « Halte à la croissance! » « Face à l’accroissement vorace et irresponsable produit durant de nombreuses décennies, il faudra penser à marquer une pause, en mettant certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière avant qu’il ne soit trop tard », prévient le pape.
Pas d’interprétation hâtive toutefois sur le concept de « société de décroissance ». Sur cette question, Laudato si’ est tout en nuances, François expliquant que « l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties ». Un rééquilibrage en quelque sorte.
Conversion écologique
« La crise écologique est un appel à une profonde conversion écologique et intérieure », soutient encore François qui entend mobiliser croyants et non-croyants à la conversion écologique.
S’appuyant sur le texte de la Genèse et la mission confiée par Dieu de « dominer » la terre et les autres créatures, cette « domination », souligne avec force le pape argentin, n’est pas synonyme d’exploitation sauvage de la planète mais au contraire, un appel à « cultiver et garder la terre ».
Le comportement de ceux qui consomment et « détruisent » toujours davantage n’est plus soutenable, alors que d’autres ne peuvent pas vivre dignement.
Dans Laudato si’, il y a une évidente relation de réciprocité entre l’être humain et la nature qui implique des changements radicaux de nos modes et styles de vie.
Simplicité de vie
C’est dans cette perspective que François introduit la notion de « sobriété heureuse » chère à l’écrivain et militant écologiste français Pierre Rabhi.
Dans la foulée, l’encyclique s’appuie sur saint François d’Assise et le retour à une certaine simplicité de vie « qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons, ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple accumulation de plaisir ».
Des propos qui cadrent parfaitement avec l’exposition présentée au Grand-Hornu.
Hugo LEBLUD