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Outre la question du suivi des détenus en congé pénitentiaire, le drame survenu à Liège nécessite de revenir sur celle de la radicalisation qui s’exerce sur les détenus les plus faibles. Comment l’éviter et quels sont les moyens à mettre en œuvre? Pour y répondre, nous avons recueilli l’avis de Claude Moniquet, consultant en contre-terrorisme.
Le problème ne date pas d’hier, mais la mort brutale de deux policières et d’un jeune étudiant, tombés tous les trois sous les assauts de Benjamin Herman, un forcené radicalisé, rappelle qu’il reste plus que d’actualité. Un problème qui porte un nom: radicalisation. Celle qui s’effectue au sein des prisons belges. Un phénomène très inquiétant qui a pris de l’ampleur au fil des ans, au point de voir aujourd’hui des gardiens complètement débordés, voire impuissants. Outre le fait de devoir travailler dans des univers surpeuplés, ils doivent faire face également au problème de la langue, l’arabe, systématiquement utilisée par les détenus radicalisés pour éviter tout contrôle.
Si des mesures d’accompagnement ont été prises pour tenter d’éradiquer cette mainmise islamiste sur les détenus plus fragiles, tout cela reste bien insuffisant pour éviter que de petits délinquants « de souche » comme Benjamin Herman tombent dans le filet tendu par les nouveaux caïds des centrales: les islamistes. Pour cerner davantage le sujet, Claude Moniquet, expert en terrorisme, livre des pistes à suivre pour tenter de freiner, dans toute la mesure du possible, ce fléau. Pour le consultant et co-fondateur du centre ESISC* (avec la journaliste Genovefa Etienne), tant que durera la menace islamiste, on la trouvera également dans nos prisons. Rien n’est prévisible quant à l’avenir.
Pourquoi de jeunes Belges qui n’ont pas grandi avec l’islam se convertissent-ils en prison et fréquentent des gens a priori fort éloignés d’eux?
La conversion en prison est devenue, en Belgique mais aussi en France et dans d’autres pays européens, un phénomène assez fréquent, mais difficile à quantifier exactement en l’absence de statistiques religieuses. Le détenu pour faits de droit commun est en situation de « double échec »: d’abord, au fond de lui-même, il sait très bien, même s’il est un délinquant, que sa manière de vivre le coupe de la société; ensuite, il n’est même pas un « bon professionnel » puisqu’il a été arrêté. Autant de faiblesses qui viennent s’ajouter à la privation de liberté et à la prison, ce milieu très dur, très violent, où il faut être fort pour survivre. La conversion peut dès lors offrir un réconfort et lui permettre d’appartenir à un groupe soudé et « protecteur »: celui des détenus musulmans. Le problème est que la plupart des prédicateurs auto-proclamés qui sévissent en prison connaissent la religion et sont souvent sous influence salafiste. La version de l’islam à laquelle ils vont se convertir est donc, d’emblée, marginale et extrémiste.
Peut-on dire, comme entendu de la bouche de djihadistes, que les convertis de fraîche date sont les éléments les plus dangereux?
Ce que je peux en dire est qu’ils connaissent mal, ou même pas du tout, leur nouvelle religion, qu’ils sont influençables (sinon ils ne se seraient pas convertis…) et que beaucoup des détenus qui se convertissent ont une intelligence moyenne, dans le meilleur des cas. Il est donc possible de les manipuler et de leur faire faire n’importe quoi. Si on ajoute que beaucoup ont un passé très violent et présentent des traits de psychopathie, on se trouve en effet en face d’un cocktail dangereux: attrait pour la violence, intelligence faible, méconnaissance de la religion et désir de plaire à leurs nouveaux « frères »…
Peut-on estimer le nombre de prisonniers à risque pour la société dans les prisons? Et à partir de quand peut-on les qualifier de « personnes à risque »?
Il est absolument impossible de dégager un chiffre assez précis sur des bases « scientifiques ». Je pense que même les services spécialisés n’ont qu’une vision partielle de la chose. Mais on peut estimer à environ 500 détenus pour faits de terrorisme, déjà jugés ou en attente de l’être, et de 1.000 à 1.500 détenus de droit commun radicalisés. Le tout sur un total d’environ 70.000 prisonniers.
Quelle formation devrait-on donner aux gardiens de prison pour mieux encadrer et repérer les éléments néfastes? Faut-il créer des centres fermés à part pour les djihadistes?
De manière générale, les membres du personnel pénitentiaire devraient être mieux formés et plus nombreux, de manière à pouvoir mieux individualiser le traitement de tous les détenus de droit commun et permettre une rééducation. Cela en vue de les réadapter à la vie sociale au terme de leur peine et de limiter les risques de récidive. Pour ce qui est des détenus pour faits de terrorisme, on voit bien que la « déradicalisation », en prison comme à l’extérieur de celle-ci, ne fonctionne pas. Dehors, toutes les expériences sont au point mort et à l’intérieur elles se poursuivent sans résultat, ainsi que le montrent les divers incidents de ces dernières années. Dans l’immédiat et dans l’avenir prévisible, je pense qu’il faut isoler les islamistes des autres détenus de manière à éviter ou limiter la contagion et, donc, les concentrer dans des ailes spéciales ou des établissements dédiés. C’est d’ailleurs la voie choisie, en France comme en Belgique. Mais en les concentrant ainsi, on crée, évidemment d’autres risques…
Sans virer dans le scénario de mauvais roman, est-il judicieux de penser qu’une sorte de guérilla se prépare dans les prisons et que certains détenus vont sortir dans un seul but, créer le chaos?
Ils ne sortiront pas dans le but de créer le chaos, mais un certain nombre de radicalisés qui sortiront dans les années à venir, rejoindront la mouvance djihadiste et tenteront de commettre des attentats avec d’autant plus d’ardeur qu’ils estimeront avoir des comptes à régler, c’est évident. Le procureur français François Molins a, d’ailleurs, attiré l’attention sur ce problème il y a peu en déclarant que, dans les deux années à venir, en France, une quarantaine de condamnés pour faits de terrorisme allaient retrouver la liberté…
Faut-il donc revenir aux QHS (quartiers de haute sécurité)? La mise à l’écart totale des éléments les plus dangereux est-elle la solution?
Les QHS ont été supprimés et désormais remplacés par des « quartiers d’isolement » au régime un peu moins dur. Certains « détenus particulièrement signalés » (DPS) font, de plus, l’objet de mesures encore plus strictes: surveillance constante, sortie limitée à une heure par jour et toujours seuls, etc. Je pense que c’est suffisant.
En guise de conclusion provisoire, quelles devraient être les réponses les plus appropriées de l’Etat pour rompre ce cercle vicieux de la production de futurs djihadistes en prison?
Je crains qu’il soit, à l’heure actuelle, impossible de répondre à cette question. Même si elle isole les détenus, la prison n’est pas une île et subit donc l’influence extérieure. La menace djihadiste durera encore des années et tant qu’elle durera, on la trouvera également en prison…
Propos recueillis par Philippe DEGOUY
* European Strategic Intelligence and Security Center – www.esisc.org