Méconnu du grand public et de la communauté protestante, le patrimoine protestant wallon possède désormais sa « Bible ». Un ouvrage d’exception sur l’histoire du protestantisme en Belgique et les lieux de culte protestant, un patrimoine en danger selon Laurence Druez, co-auteure de l’ouvrage.
L’agenda choisi pour publier cet ouvrage n’est pas innocent au terme d’une année 2017 marquée par les cinq cents ans de la Réforme. En Belgique, les protestants constituent la deuxième minorité religieuse. Le protestantisme belge se définit aujourd’hui par une double complexité structurelle et théologique; il résulte d’une superposition de courants qui se complètent et participent à cette grande complexité. D’après Laurence Druez, historienne et maître de conférence (ULiège), qui a co-écrit le livre, le grand public mais les protestants eux-mêmes méconnaissent cette histoire, surtout pour l’époque la plus récente. « Pour ce qui concerne les protestants, on connaît mieux le XVIe siècle que le XXe« , affirme la spécialiste du siècle de Luther.
Des réveils successifs
Laurence Druez présente l’histoire du protestantisme belge comme une succession de réveils. « Entre le XVIe et le XXe siècles, chaque réveil s’est produit dans un contexte de retour aux sources, à la simplicité mais amène aussi l’introduction d’innovations comme par exemple le fait que le message du Christ puisse sortir de l’Eglise. » Le premier réveil en Belgique se produit au sein d’un mouvement spontané européen, surtout d’influence anglo-saxonne, qui se manifeste au XIXe siècle par la multiplication des œuvres missionnaires. Dans ce courant complexe qu’est le protestantisme évangélique, la foi est un choix personnel. A cette même époque, le protestantisme offre aussi pour certains – principalement dans le milieu académique universitaire – la possibilité de concilier religion, liberté et modernité. « Ce protestantisme libéral, intellectualisant, défend une lecture de la Bible plus contextualisée et symbolique », précise l’auteure. Le deuxième réveil survient pendant l’entre-deux-guerres avec l’arrivée de missions américaines (méthodistes, pentecôtistes). Après la Seconde Guerre mondiale, Laurence Druez distingue un troisième réveil à la faveur du mouvement migratoire: l’arrivée de communautés méditerranéennes et plus récemment encore africaines avec comme préoccupation d’évangéliser la Belgique.
Le souci de l’instruction et de l’ouvrier
« La majorité des communautés protestantes se sont développées dans les zones industrialisées, c’est-à-dire principalement dans les provinces de Hainaut et de Liège, où la population ouvrière se sentait abandonnée par l’Eglise catholique », poursuit Laurence Druez qui mentionne le cas atypique d’un pasteur protestant devenu président de la section locale du Parti Socialiste Belge de la Louvière, alors ouvertement anticlérical! Aux XIXe et XXe siècles, les protestants nourrissent une double préoccupation pour l’enseignement et la lutte contre les problèmes sociaux, notamment l’alcoolisme, qui touchent la classe ouvrière dont s’occupe tout particulièrement les missionnaires protestants. Pour les Réformés du XVIe comme du XXe siècle, il est primordial d’éduquer le peuple pour lui permettre de lire la Bible. D’où la création d’écoles du dimanche dont l’importance ne cessera de croître de sorte que certains enfants y auront appris à lire. Elles existent d’ailleurs toujours et constituent l’un des piliers vivants de chaque communauté. Ce qui caractérise aussi le protestantisme belge, c’est une culture locale très forte. Les communautés protestantes vivent une forme d’individualisme ecclésial; même si elles se revendiquent d’une filiation ou d’un réseau, chaque Eglise est autonome. Une autre spécificité réside dans cette dynamique communautaire reposant sur la rencontre entre le pasteur et ses fidèles, celui-là étant choisi par ces derniers.
Là où deux ou trois sont assemblés
Après une introduction historique fouillée et nécessaire, l’ouvrage – richement illustré – nous fait découvrir les lieux de culte protestant, leur histoire et leurs caractéristiques. Tout d’abord, aucun élément de sacralité n’est présent dans ces édifices; le rassemblement des fidèles donne sa sacralité au lieu. Cette conception théologique propre aux protestants repose sur la phrase d’évangile: « Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. » (Mt 18,20) Les bâtiments, le mobilier et la vaisselle liturgiques témoignent des apports et spécificités du culte protestant; absence de jubés, installation de bancs pour écouter les lectures (alors que la messe est un culte ambulatoire), une table de communion où se fait le partage du pain et du vin (repas communautaire) en lieu et place d’un autel. Tout est conçu pour centrer l’attention sur le texte, la parole, d’où l’absence presque totale de décorum. Par contre, les protestants accordent une importance toute particulière au chant communautaire.
Des archives inédites
Laurence Druez a silloné la Wallonie à la recherche des plus beaux lieux de culte protestant, parfois exceptionnels, dont le plus ancien encore utilisé est celui de Dour (1827). Dès le départ, « il nous a semblé évident, explique l’historienne, de lier l’histoire et l’architecture mais aussi de comprendre le bâtiment avec les archives qui lui sont liées ». Ce patrimoine est, semblerait-il, menacé. Ces « temples » – appelation erronée qui a finalement été adoptée par les protestants eux-mêmes – ne sont pas consacrés comme des églises. Laurence Druez nourrit une double inquiétude concernant la sauvegarde d’un patrimoine architectural d’exception mais aussi documentaire dont les propriétaires ignorent totalement la valeur. C’est pourquoi l’ouvrage comporte un nombre impressionnant de photographies de lieux, de personnes, de bâtiments, d’objets et de documents, témoins oubliés de la vie d’une minorité. Comme l’explique encore Laurence Druez, rien n’avait été écrit sur l’histoire récente et le patrimoine protestant parce que les sources étaient jusqu’alors confidentielles, dispersées. « Il faut empêcher la disparition de la mémoire d’un culte minoritaire dont la situation est bien différente de celle vécue en France où les protestants partagent des lieux de mémoire, une élite (politico-éc
onomique) et des figures de proue », conclut l’auteure. Certaines communautés ont déjà déposé leurs archives auprès du service des Archives de l’Etat et Laurence Druez espère que le mouvement va s’amplifier suite à la publication de l’ouvrage.
Sophie DELHALLE
Laurence DRUEZ & Julien MAQUET, « Le patrimoine protestant de Wallonie. La mémoire d’une minorité ». Edité par l’Institut du Patrimoine Wallon, 2017, 416pages, 30€