
Luc Davin
Souffrant de séquelles neurologiques depuis sa naissance, Luc Davin possède néanmoins une mémoire des chiffres et des dates à en faire pâlir plus d’un. Sous des airs de fragilité apparente, il affronte chaque jour la vie avec enthousiasme et une certaine détermination, deux qualités bien nécessaires dans la vie comme au travail.
Luc Davin explique d’emblée pourquoi il a choisi de devenir assistant social: « J’avais reçu tellement d’amour, d’attention, de sollicitude que je voulais rendre ce que l’on m’avait donné. J’ai choisi ce métier pour me rendre utile, avec l’idée, dans un coin de ma tête, d’aider un jour les personnes handicapées. »
Depuis 30 ans, Luc travaille pour le service de protection judiciaire de l’aide à la jeunesse. Vis-à-vis de ses collègues, il se sent tout à fait intégré: « Je suis un délégué [de l’aide à la jeunesse] parmi les autres. »
Dans le cadre de son travail, il accompagne des jeunes délinquants, toxicomanes, pour la plupart en décrochage scolaire, dont les parents ont, bien souvent, malgré eux, jeté l’éponge.
Est-ce que le handicap de Luc est un (dés)avantage dans son métier? « Mon handicap, c’est mon allié! » Sur toute sa carrière, trois jeunes ont osé lui demander pourquoi il était handicapé. « Je me sers de mon handicap pour susciter la réflexion chez ces jeunes en difficulté, je leur tiens à peu près le discours suivant: j’ai un handicap mais toi aussi. » Cette phrase provoque la stupeur ou la colère chez son jeune interlocuteur. Luc poursuit alors: « Tu as 17 ans, tu as fréquenté six écoles en un an, tes parents n’ont plus confiance en toi, tous les policiers de la ville te connaissent, eh bien, moi, j’appelle ça un handicap… un handicap social. » Luc explique ensuite au jeune que, dans son cas, la porte de sortie existe. « Moi, mon handicap, je n’en guérirai jamais, je mourrai avec. Toi, ton handicap, si tu essaies de faire un petit effort, tu peux retrouver une place à l’école, la confiance de tes parents, effacer ton dossier de délinquant et ton handicap disparaîtra avec. » Souvent, le jeune demande à pouvoir reparler de ce qui a été échangé. Pari réussi.
Apprendre à vivre le handicap
Le handicap de Luc est consécutif à une naissance difficile pendant laquelle il a manqué d’oxygène. Malgré les soins prodigués rapidement et le diagnostic rassurant du corps médical, il a gardé des séquelles neurologiques de cet « accident ». Ses parents se sont rapidement aperçus du retard de leur fils; Luc ne tient ni assis ni à quatre pattes et ne commencera à marcher que vers l’âge de 4 ans. Inquiets, les parents de Luc consultent un pédiatre et un neurologue; ces deux médecins les accompagneront par la suite pour prendre les décisions importantes concernant la scolarité de Luc. « On a appris à vivre ensemble le handicap », confie Luc. Une petite sœur vient agrandir la famille tandis que Luc fête ses 3 ans. « Mes parents ont beaucoup réfléchi avant de faire un deuxième enfant. » Dans sa petite enfance, il a bénéficié de soins spécifiques: kinésithérapie, logopédie, psychomotricité. Eprouvant de grandes difficultés pour écrire à la main, on lui donne une machine à écrire. Aujourd’hui, l’ordinateur est son meilleur ami. Ayant fréquenté l’enseignement spécialisé jusqu’à la quatrième année primaire, Luc a pu réintégrer le cursus scolaire classique, obtenir son CEB, poursuivre ses études dans le secondaire et finalement décrocher son diplôme d’assistant social après trois ans d’études. Il a ensuite rapidement trouvé un emploi, lui qui appréhendait beaucoup cette étape.
« La toute-puissance de Dieu, c’est l’amour »
Adolescent, Luc sert la messe dans sa paroisse. A l’âge de vingt-trois ans, le curé lui demande de remplir d’autres tâches; animation de retraite, catéchisme, porter la communion à ceux qui ne peuvent se rendre à la célébration dominicale. Luc se demande alors si Dieu ne l’appelle pas à un autre type de service. Il s’en ouvre à son pasteur qui lui propose de devenir diacre. C’est la première fois que Luc entend ce mot mais il accepte d’entrer en formation et est ordonné diacre permanent en 2005.
Depuis le début des années 1990, il fait aussi partie de la commission vicariale des personnes handicapées (anciennement commission diocésaine des personnes handicapées, constituée en 1980). Cette commission a pour rôle principal de favoriser l’insertion des personnes handicapées dans les communautés paroissiales. Dans les premiers temps, la commission est surtout sollicitée pour l’accompagnement dans la préparation d’un enfant handicapé à recevoir un sacrement. Ensuite, les communautés paroissiales ont manifesté le besoin d’être secondées dans l’accueil des personnes handicapées lors des célébrations ordinaires. Ensemble, commission et paroisses cherchent des solutions pratiques, concrètes pour faciliter l’intégration des personnes porteuses de différents handicaps. Malheureusement, de l’aveu de Luc, le travail de la commission n’est pas assez connu. « Mais nous y travaillons! » Pour Luc, la commission a un rôle très important à jouer dans l’acceptation de « la différence qui fait encore peur aujourd’hui ». L’assistant social considère que le défi actuel de la commission est de « montrer comment les chrétiens du troisième millénaire regardent la différence et l’accueillent. Une personne handicapée est regardée par Dieu avec autant d’amour et le même projet que tout autre être humain. »
Comment Luc peut-il croire en Dieu, se demandent peut-être certains? « Dieu a toujours été là. Je l’ai engueulé; j’étais en colère à une certaine époque de ma vie. Je me disais: si Dieu est tout-puissant, pourquoi a-t-il permis cela? Mais Dieu a continué à travailler, à me regarder… Par des rencontres, Dieu m’a fait prendre conscience que sa toute-puissance, c’est l’amour. Un amour inconditionnel. De manière très discrète, à chaque moment de chaque jour, Dieu est au côté de chaque être humain. Si l’homme rit, Dieu rit. Si l’homme pleure, Dieu pleure avec lui. Puis il s’assied à côté de lui et lui tend la main pour le relever. Car Dieu a besoin de lui, de moi. »
Sophie DELHALLE