
© DR – Paulin et la plus jeune des neufs enfants de la famille d’accueil, la petite Amal – ce qui signifie espoir en arabe – née au Liban.
Oser s’absenter de l’école durant quelques semaines pour vivre une aventure humaine enrichissante dans un camp de réfugiés syriens, c’est ce qu’a fait Paulin avec la complicité, et surtout, en compagnie de sa maman. Une autre façon d’apprendre.
A l’heure où certains parents et enfants pensent déjà à l’année scolaire qui arrive et aux différentes options et activités extrascolaires qui la rempliront, d’autres ont encore la tête pleine de souvenirs de celle qui vient de se terminer. C’est le cas de Paulin Eliat-Eliat, 15 ans, qui a eu la chance d’enrichir son année avec un voyage unique: vivre durant six semaines dans un camp de réfugiés syriens au nord du Liban. « Ma maman avait envie de faire un voyage avec moi, vu que j’avais des bons points à l’école. Je me suis dit que c’était une bonne idée. C’est moi qui ai décidé de partir au Liban. J’avais envie de retrouver l’ambiance du Proche-Orient » explique Paulin. Il faut dire que ses parents lui ont transmis le goût du voyage depuis sa plus tendre enfance. La famille a en effet vécu durant un an dans un petit village de Syrie. Endroit qu’elle retrouvait tous les deux ans, jusqu’à ce qu’il y ait la guerre. Il y a quelques années, elle a même accueilli des réfugiés syriens chez elle, en Belgique. C’est donc tout naturellement que sa maman, Isabelle Eliat-Serck, auteure du livre De mosquées en église; en marche vers Assise, a contacté l’un des membres d’une association qui s’occupe des réfugiés syriens au Liban. En mars dernier, l’aventure a commencé.
La vie à même le sol
« On n’avait pas beaucoup préparé notre voyage. Des amis libanais nous ont emmenés au camp. Ses habitants sont directement venus vers nous. Ils ont été très accueillants. Ensuite le chef nous a offert l’hospitalité dans sa tente. On a dormi avec sa famille durant tout le séjour. »
Commence alors l’adaptation à la vie dans un camp. Les réfugiés vivent dans des tentes construites à l’aide de bâches et de bâtons, le tout fixé dans le sol bétonné. Elles comportent en général deux espaces: un pour le salon, qui fait aussi office de chambre, l’autre pour la partie cuisine composée d’une table posée à même le sol. Les toilettes se trouvent à l’extérieur, et il n’y a pas de douches. Malgré tout, le camp bénéficie d’eau chaude grâce à une association qui a offert des panneaux solaires.
« Je me suis vite adapté, plus vite que ma maman. Mais c’est quand même dur parce que vivre sous une tente, ça n’est vraiment pas très confortable… On dormait à deux mais parfois, quelques réfugiés nous rejoignaient. Il était difficile de trouver le sommeil. Quand il y a du vent, on voit et on sent la tente bouger. Et puis quand il pleut, on est trempé quand on va à la toilette. »
Mais ce qui a encore plus marqué Paulin, c’est le contact avec les gens sur place, malgré le fait qu’il n’avait aucune notion d’arabe. Heureusement, grâce à sa maman qui parle cette langue, il a réussi à communiquer avec ses voisins de tente. « Les gens disaient que c’était dur, qu’ils rêvaient de rentrer en Syrie. Ils parlaient de leurs belles maisons ou de leurs métiers, qui leur manquent. Comme cet homme hyper manuel qui était triste de se retrouver là en n’ayant rien à faire. Certains jeunes essayent quand même de travailler, même si ça n’est pas légal. » Cependant, malgré leur situation délicate, Paulin a été touché par la chaleur de ces Syriens qui, pour occuper leurs journées,
passent de longs moments ensemble, en allant régulièrement les uns chez les autres.
Sur les bancs de l’école
Durant son voyage, le jeune Belge a quand même fréquenté une école. Un lieu qui dénotait fort avec le camp où il séjournait puisqu’il s’agissait d’une école libanaise orthodoxe. Chaque matin, le directeur de l’établissement venait chercher Paulin « chez lui » et le reconduisait en fin de journée. Les cours étaient donnés en français et en arabe. Et contrairement au camp, ce lieu était considéré comme étant une
école « de riches ». L’adolescent a découvert beaucoup de points communs avec nos établissements scolaires, et même entre les élèves belges et libanais. Même s’il admet que c’est une façon différente de donner cours. Il y a par exemple beaucoup d’apprentissage par coeur.
Là aussi, il a été accueilli à bras ouverts: « L’école n’a pas accepté qu’on paie. J’ai tout de suite été intégré dans une classe. Mes voisins de bancs étaient très sympas. Ils m’ont donné des bics, des cahiers, mais ils se demandaient parfois ce que je faisais là. Parce qu’ils n’ont pas l’habitude de voir des étrangers dans leur école. Ils me posaient des questions sur la Belgique. Une grosse différence avec nous, les Belges, qui partons chaque année en vacances, c’est qu’eux ne voyagent quasi pas. Ils sortent très peu de leur pays ». Grâce aux réseaux sociaux, Paulin est toujours en contact avec les jeunes libanais qu’il a rencontrés là-bas.
Ouverture au monde
Au bout de ces six semaines riches en rencontres et en expériences, le regard de Paulin sur les réfugiés, mais également sur la vie qu’on mène en Belgique, a beaucoup évolué. « J’ai rencontré beaucoup de gens, qui ne savaient pas quoi faire de leur vie, qui ne pouvaient pas travailler. Tandis que moi, en tant que Belge, je peux choisir et faire ce que je veux. Eux ne peuvent pas venir en Europe et leurs enfants aussi sont bloqués. »
La tête sur les épaules, il avoue ne pas rester insensible à l’accueil qu’on réserve aux réfugiés sur le sol belge. « Notre pays accueille dix mille réfugiés et on trouve déjà que c’est trop. Alors qu’au Liban, il y en a plus d’un million. Les Libanais n’en peuvent plus. Mais on ne fait rien pour les soulager. On préfère envoyer de l’argent là-bas comme ça, on ne doit pas les accueillir ici. »
Evidemment, Paulin est bien conscient que ce qui pourrait arriver de mieux au peuple syrien serait que la guerre se termine. En attendant, il prévoit de s’investir encore plus pour aider ces réfugiés. D’une part en Belgique, avec ceux qui sont arrivés chez nous, en allant les voir, leur dire bonjour et en essayant de les intégrer. Ce qui est d’ailleurs à la portée de chacun d’entre nous. D’autre part, en retournant les aider sur place, au Liban. Il insiste sur le fait qu’il faudrait d’abord forcer les Libanais et les réfugiés à se côtoyer et à s’accepter. Parce que, comme il a pu le constater en fréquentant quelques volontaires italiens qui avaient pour but de créer des liens entre les deux peuples, c’est un véritable problème aujourd’hui. « Envoyer de l’argent, ça n’est pas le plus important. Selon moi, il faut aller à la rencontre des réfugiés, être avec eux. Quand j’étais là-bas, on voyait d’un côté ceux qui travaillaient dans des grandes associations, qui venaient dans le camp et qui regardaient ses habitants, prenaient des notes, puis partaient. Les réfugiés se sentaient mal, on les traitait comme s’ils étaient des animaux. Alors que quand des européens viennent s’immerger dans leurs vies, ils sont beaucoup plus touchés. Durant ce voyage, j’ai découvert beaucoup de choses que je ne soupçonnais pas. »
S’il n’est pas à la portée de tous d’effectuer de tels périples, certains gestes peuvent malgré tout déjà être posés en Belgique. Comme le fait le jeune voyageur: « Maintenant, quand je croise des réfugiés chez nous, je commence par leur sourire ».
Enfin, lorsqu’on lui demande ce qu’il dirait aux jeunes et moins jeunes qui veulent se lancer dans ce type d’aventures mais qui n’osent pas, il répond spontanément: « Pourquoi n’oseraient- ils pas ? Il n’y a pas de danger! Que du positif! » Alors oui, on peut le dire, les voyages forment la jeunesse.
Natacha COCQ