On les appelle frigos partagés, collectifs, solidaires. Leur but est identique: lutter contre le gaspillage alimentaire. Phénomène en expansion, ces frigos sont parfois victimes de leur succès…
Cette idée qui nous vient d’Allemagne est arrivée en Belgique en 2016. A Berlin, l’association anti-gaspi Lebensmittelrettenplusieurs a placé plusieurs dizaines de réfrigérateurs à travers la ville, régulièrement approvisionnés depuis leur installation en 2013.
Le concept est le suivant: installer un frigo dans l’espace public pour permettre aux citoyens de le remplir et de se servir. Le but poursuivi est la lutte contre le gaspillage alimentaire, véritable marque de fabrique de notre société industrielle. Le projet allemand s’adresse prioritairement aux personnes défavorisées. Les membres de l’association garnissent les frigos avec les denrées invendues des grandes surfaces et des restaurateurs. Les citoyens sont également invités à y déposer des aliments.
En Belgique
A Florenville
En 2010, Michel Gillet, vice-président de la Croix-Rouge de Florenville, chimiste de formation, assiste à un congrès à Karlsruhe, en Allemagne. Depuis la chambre de son hôtel, il observe le va-et-vient de passants autour d’un réfrigérateur installée dans la rue commerçante. Depuis lors, l’idée lui trottait dans la tête… pour devenir réalité en 2016.
Placé à côté du bâtiment de la Croix-Rouge par commodité, le frigo est accessible à tous, démunis ou pas. Comme nous l’explique Romain, secrétaire de l’antenne Florenville-Chiny : « Les bénévoles de la Croix-Rouge se chargent de vérifier la température du frigo, s’occupent de l’entretien et vérifient régulièrement les dates de péremption« . Le projet avait reçu le feu vert de l’Agence Fédérale pour la Sécurité Alimentaire (AFSCA). Une charte d’utilisation – interdisant le dépôt d’alcool ou de boissons entamées – a été dressée et des étiquettes sont mises à la disposition des utilisateurs pour marquer le contenu et la date de fabrication des plats préparés déposés dans le frigo.
Après un an de fonctionnement, le bilan est plus que satisfaisant. Le frigo est régulièrement alimenté par les citoyens, les surplus de magasins y trouvent également leur place, « un agriculteur de la région présent chaque semaine sur le marché local apporte ses invendus » nous raconte Romain. Des restaurateurs contribuent aussi au remplissage du frigo en y déposant les plats du jour non consommés. « Les gens sont très respectueux du frigo, nous ne déplorons aucune dégradation ou abus. Les habitants de Florenville sont vraiment des acteurs responsables de ce projet dont les échos sont très positifs. » conclut Romain.
A Waterloo
Depuis novembre 2016, à l’initiative de Pierre Chaudoir et de son épouse, un frigo solidaire se trouvait dans un endroit discret et sécurisé du parking du Tennis de Waterloo ; il était accessible 24h/24. Malheureusement, les abus dont il a été victime ont obligé les gérants du projet à déplacer le frigo et à en réguler l’accès.
Des petits commerçants et traiteurs waterlootois participent au projet en donnant des plats préparés et des denrées inutilisées qui auraient terminé leur course à la poubelle. La grande distribution collaborent également. Très récemment, le frigo a fait l’objet d’une inspection non annoncée de l’AFSCA dont le rapport s’est révélé très positif.
Très vite, certaines personnes se sont plaintes du manque d’aliments mis à disposition ; Pierre Chaudoir et son équipe de bénévoles ont alors décidé de sensibiliser les enfants dans les écoles. Les enfants très réceptifs au projet sollicitent leurs parents et le taux de remplissage du frigo s’en est directement ressenti ; depuis, le frigo est réapprovisionné trois fois par jour en moyenne!
A Ath
Delphine Naraïpratan, infirmière urgentiste à l’Hôpital d’Ath, avait entendu parler du frigo solidaire à Waterloo. Elle contacte les responsables du projet et propose à son tout jeune service-club de développer l’idée. C’est ainsi que le frigo solidaire baptisé « Ath Toi » a vu le jour en mars 2017 dans la cité des géants. « Nous avons lancé un appel via Facebook et un particulier nous a fait don d’un frigo. » nous confie Delphine. Installé près de l’entrée des services sociaux du CPAS, l’appareil est nettoyé et inspecté par une dizaine de bénévoles recrutés notamment sur les réseaux sociaux. Le CPAS a également installé une armoire destinée à accueillir des denrées non périssables. « Le rôle du CPAS était surtout de s’assurer la promotion du projet notamment par la distribution de folders, nous explique Christophe Degand, président du CPAS. Nous avons installé le frigo à proximité de l’entrée du CPAS à l’abri et, jusqu’ici, nous n’avons rencontré aucun problème de sécurité. » Le remplissage du frigo est assez irrégulier, nous avoue Ch. Degang : » Il y a un effet cyclique. Après le weekend, le frigo est souvent bien rempli puis, en fin de semaine, il est généralement vide. Notre but est de faire appel à la générosité et d’encourager les Athois à déposer des denrées avant un départ en vacances ou après une fête par exemple. » « Des restaurateurs et des commerçants de la région jouent le jeu, ajoute Delphine, et nous sommes agréablement surpris du respect autour du frigo sur lequel nous avons d’ailleurs affiché la charte de l’utilisateur. »
A Namur
Suite à une expérience positive en partenariat avec la ville de Namur, l’asbl « Une main tendue » – qui propose notamment des colis alimentaires et un service de restaurant social – va installer début septembre un frigo solidaire. Le projet a pu se concrétiser grâce au soutien de la Région Wallonne; un subside a été octroyé à l’association pour l’achat du frigo après introduction d’un dossier suite à un appel à projets lancé par le ministre Carlo Di Antonio. « Contrairement à ce qui se fait ailleurs, le frigo ne pourra être rempli que par des membres de l’association, comme nous l’explique Jean-Claude Mantez, coordinateur, il sera accessible de 9h à 21h. » 1100 familles bénéficient déjà de l’aide alimentaire fournie par « Une main tendue ». « Nous avons développé ce projet pour les personnes en difficulté qui ne franchissent pas la porte de l’association pour différentes raisons. Peut-être qu’après la porte du frigo, elles pousseront celles de notre association. » nous confie Jean-Claude Mantez.
En région bruxelloise, des frigos solidaires existent notamment à Schaerbeek grâce à l’asbl Corvia. En avril 2017, le collectif Open Free Go Uccle a installé un frigo ouvert à tous : familles précarisées, étudiants, sans abris ou retraités qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Il est géré par une quinzaine de bénévoles.
Le mouvement semble donc faire tâche d’huile… ce qui, dans le cas présent, est plutôt une bonne nouvelle!
Sophie Delhalle