Certains parents découvrent une autre perception du bonheur lorsque la fragilité envahit l’existence de leur descendance, quitte à bousculer leurs projets. L’autisme est au nombre de ces imprévus qui bouleversent la vie, plus ou moins fort, selon les individus.
Un colosse devient douceur face à son fils autiste de 17 ans. Pour le voir sourire, ce garagiste ne compte plus les heures passées, l’hiver durant, à retaper une ancienne automobile, se réjouissant des balades à venir. Dans un sourire, il avoue espérer que son fils aimera la couleur de la carrosserie. Des étoiles dans les yeux, le papa ému raconte des souvenirs de l’enfance et de l’adolescence heureuses de celui-ci. Autre rencontre avec une trentenaire décidée qui confie, la gorge nouée, le choix posé il y a quelques jours: désormais, son fils ira dans l’enseignement spécialisé. Reste encore à annoncer au petit de sept ans le départ de sa classe de première primaire… Tous ces parents brillent par l’obligeance qui les anime. Compréhensifs, ils ne s’évertuent pas à réinventer le monde, mais à l’habiter avec bienveillance, selon des impératifs qui régissent autrement leur quotidien. Ce ne sont pas des exemples isolés, mais des témoins comme tout entourage en comporte souvent. Discrets, ils font preuve d’une force d’amour incommensurable à l’égard de leur progéniture.
Une multiplicité de variantes
Différents « degrés » compartimentent les personnes atteintes d’autisme. De manière générale, la population masculine est plus largement touchée que celle des filles. Il semble toutefois difficile d’épingler avec précision un nombre significatif de personnes répondant à la définition usuelle, tant le diagnostic se révèle encore peu aisé. Certains parents pressentent quelquefois un dysfonctionnement, alors que les examens ne le confirment pas avec certitude. Plutôt que de présenter la maladie de manière « monobloc », on évoque désormais les troubles du spectre de l’autisme. La définition psychiatrique du Petit Robert souligne un « détachement de la réalité extérieure, la vie mentale du sujet étant occupée tout entière par son monde intérieur ». Par extension, en littérature, on y voit une « forte tendance à l’introversion et à l’égocentrisme ». Certains autistes suivent une scolarité dans l’enseignement général, tandis que d’autres enfants ont un accès limité au langage, voire aucun. Dans le livre « Robinson », Laurent Demoulin distingue carrément les oui-autistes des non-autistes. Le monde serait ainsi séparé entre ceux qui en sont et tous les autres qui sont épargnés d’une manière différente de discerner. Père d’un enfant autiste, l’universitaire décrypte les processus mis en place: « contrairement au sens courant du terme, qui veut que l’autisme désigne une forme de coupure d’avec le monde, de total repli sur soi, je tiens pour vrai qu’il s’agit d’une forme de contamination du sujet par le monde extérieur (…) Qu’est-ce qui nous tient à distance de l’autre, sinon le langage? Sans langage, l’autre est partout, en nous, autour de nous, à travers nous. » Même constat de capacité différenciée du côté de Cécile Pivot dans son récit intitulé « Comme d’habitude », où elle souligne l’incapacité d’Antoine à distinguer l’essentiel de l’anodin.
La perception des autres
De regard, il est largement question, dans tous les témoignages des parents. Car comment ne pas se sentir blessé ou encouragé par les remarques de son entourage, tantôt compatissant, tantôt excédé par des attitudes qu’il juge incompréhensibles. Et, dans le même temps, comme le souligne, avec émerveillement, Laurent Demoulin, « je me sens traversé par son regard, transpercé, transporté par lui en mon vrai lieu, dans un contact primordial ». Il y va d’une forme d’attachement puissante, loin des habitudes conventionnelles. A mille lieues du qu’en-dira-t-on, l’autiste suit le chemin des jours sans prêter attention à la rumeur. « On ne guérit pas de l’autisme, il faut apprendre à vivre avec », rappelle Cécile Pivot, en soulignant les rêves manqués auxquels les parents démunis doivent s’habituer. Ainsi en est-il de son amour de la lecture, impossible à transmettre. « Tu vivrais ainsi par procuration et peut-être même qu’un jour, toutes les histoires dont tu aurais été le témoin, tous les personnages en compagnie desquels tu aurais parcouru les époques, partagé leurs émotions, traversé des paysages et des aventures te donneraient le goût des autres et les clés pour venir à notre rencontre. » Il lui faudra pourtant s’y résoudre, Antoine, aujourd’hui âgé de 22 ans, n’est jamais devenu un lecteur assidu… L’éducation se complexifie dans des situations où la sensibilité est à fleur de peau. La maman d’Antoine dépeint « la difficulté qu’il y a à trouver le bon équilibre entre ce qu’il est possible de te dire et qui t’aidera et ce que je dois taire pour ne pas te bloquer ». Nul n’est égal, pas même en Belgique où l’autisme a été reconnu comme handicap spécifique en 1994 dans la Communauté flamande, mais seulement dix ans plus tard en Communauté française. Depuis, le manque de places dans les structures d’accueil est régulièrement dénoncé par des parents inquiets.
Un effet de « mode »
Depuis quelques années, l’autisme jouit d’une forme de reconnaissance médiatique, grâce notamment à certains de ses représentants qui passent régulièrement dans les médias (radiophoniques, télévisuels ou sur le web). Parmi ceux-ci figure l’emblématique Joseph Schovanec, qui assure une chronique hebdomadaire sur les ondes de La Première, dans l’émission « Entrez sans frapper ». « Beaucoup de gens autistes ont une très mauvaise image d’eux-mêmes, observe Joseph Schovanec, ils ont tendance à subir les choses. » L’hypocrisie des codes sociaux ne les atteint pas, puisqu’ils sont hermétiques aux usages conventionnels. Cela n’empêche toutefois pas cet esprit brillant d’accumuler les diplômes, le rendant par là-même désirable. Car, dans notre société hyper formée et friande de performances, la réussite passe par l’obtention des diplômes, sésames absolus ou nouveaux graals. Ainsi, certains autistes se révèlent-ils reconnus pour leurs capacités hors-normes en programmation informatique, par exemple. Alexandra Reynaud a, quant à elle, choisi de décrire son syndrome sur le blog « Les tribulations d’une Aspergirl ». Elle y livre les états d’âme d’une jeune femme, mariée et mère de famille, présentant le syndrome d’Asperger. Trois ans se sont écoulés entre le début de ses démarches et la confirmation du diagnostic par une équipe de médecins. « Le Syndrome d’Asperger est un trouble du spectre autistique. Les symptômes sont plus discrets que pour l’autisme classique, à tel point qu’on parle d’un handicap invisible: les personnes atteintes du syndrome d’Asperger (surnommées les Aspies) éprouvent principalement des difficultés majeures dans leurs interactions sociales (déficit des codes sociaux, difficulté à identifier les sentiments et les émotions chez les autres). Beaucoup d’adultes Aspies s’ignorent donc encore ou peinent à obtenir un diagnostic officiel. » Ce travail de sensibilisation mené par des personnes à la notoriété grandissante agit à l’échelle de l’ensemble de la société, plus encline à accueillir la diversité des parcours personnels. Face à la différence du handicap, le tabou tend à s’estomper. Autrefois placés dans des institutions, les personnes handicapées sont davantage accueillies dans la sphère familiale. Il n’empêche qu’entre la théorie bienveillante et la pratique tolérante, une marge demeure. Les derniers mots reviennent à Cécile Pivot: « Jusqu’au dernier jour, je te dirai que la vie a été injuste avec toi mais que tu ne dois pas la fuir. Jusqu’au dernier jour, je te dirai que la vie est courte et qu’elle t’attend. »
Angélique TASIAUX
Cécile Pivot, « Comme d’habitude ». Calmann Lévy, février 2017, 193 p.
Laurent Demoulin, « Robinson ». Gallimard, octobre 2016, 237 p.