Au-delà des affaires, le divorce entre le cdH et le PS cache aussi une profonde divergence idéologique, qui s’est accrue au fil des derniers dossiers sensibles.
Coup de poker, trahison, opération « sauve-qui-peut »… tous les termes ont été prononcés pour qualifier la décision du Centre Démocrate Humaniste (cdH) de quitter son allié socialiste à tous les niveaux de pouvoirs en Belgique francophone. Certes, il est probable que le parti de Benoît Lutgen ait tenté de jouer son « va-tout », au moment où les sondages prédisent une chute de ses résultats électoraux tant à Bruxelles qu’en Wallonie. Mais au-delà de cette stratégie politique, au-delà des affaires qui risquaient d’impacter indirectement le parti centriste, il y a aussi une autre réalité. Qu’on ne s’y trompe pas: l’appel à entamer une négociation pour de nouvelles majorités dans les exécutifs de la partie francophone du pays n’est pas seulement motivé par les affaires ou les seuls calculs électoraux. Derrière se cache aussi un désaccord idéologique.
Bras de fer confessionnels
Tous les observateurs politiques le clament: cela fait des mois que les relations entre les centristes et les socialistes sont tendues. Certains dossiers sensibles ont nettement fait apparaître un bras de fer confessionnel entre les deux partenaires. Déjà en 2016, les critiques des centristes étaient montées d’un cran au moment où l’on discutait de l’introduction du cours de citoyenneté dans l’enseignement officiel fondamental. Le projet de décret de la ministre de l’Enseignement de l’époque, Joëlle Milquet, avait été descendu en flamme par le PS. Et le ministre Flahaut n’avait pas hésité à exprimer clairement la possibilité de supprimer les cours de religion et de morale dans le réseau officiel et de les remplacer par deux heures de cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté (EPC). Le cdH n’a pas apprécié non plus que le PS appuie l’appel du Centre d’Action laïque (CAL) et de la Fédération des Associations de parents de l’Enseignement officiel (Fapeo) incitant les parents à opter pour deux heures de cours d’EPC. Rappelons qu’en octobre dernier, les chefs de culte religieux avaient publié une déclaration commune dans laquelle ils demandaient le respect du choix des parents, rappelant au passage que plus de 90% des parents souhaitent l’organisation d’un cours de religion ou de morale non-confessionnelle. Dans ce dossier, il y a clairement eu un affrontement idéologique entre laïcs et croyants.
Autre dossier de friction: le financement des cultes en Wallonie. Dans son projet de décret initial, le ministre des Pouvoirs locaux, Pierre-Yves Dermagne (PS) proposait que tous les ministres des cultes – y compris les prêtres – prêtent serment devant le bourgmestre de la commune où ils sont installés. Un serment qui aurait porté sur le respect de la Constitution, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’ensemble des législations existantes. Sous la pression du député régional centriste Josy Arens et d’autres élus du même parti – pourtant membres de la majorité régionale -, le ministre a amendé son projet, remplaçant la prestation de serment par une déclaration écrite sur l’honneur, ce qui répondait à la demande exprimée à la fois par les juifs, les protestants et les catholiques. La mise en conformité des établissements de cultes reconnus aux obligations prescrites par le décret a aussi été amendée par le cdH.
Relents de guerre scolaire
Dernier « couac » en date: le projet de fusion entre l’Université Saint-Louis de Bruxelles et l’UCL. Là aussi, un désaccord notable est apparu entre les deux formations politiques de la majorité. Si le PS prône une logique territoriale, d’ailleurs définie dans le décret de réorganisation de l’enseignement supérieur, le cdH soutient la liberté d’association. La demande de Saint-Louis et de l’UCL de pouvoir fusionner est toujours en attente, mais elle a clairement des relents de guerre entre piliers catholiques et laïques.
Enfin, les discussions sur le nouveau contrat de gestion de la RTBF et sur le plan de fréquences des radios et de la mise en place du numérique au niveau communautaire, s’ajoutent encore à la liste des désaccords entre humanistes et socialistes. Clairement, le cdH n’a jamais digéré les attaques socialistes et laïques, qui souhaitent confiner le religieux à la sphère privée. Ce que le parti de la rue des Deux Eglises n’entend pas laisser faire!
Ceci étant, les affaires dans lesquelles des membres du PS sont impliqués ont été aussi le déclencheur de cette séparation, inédite dans le paysage politique des entités fédérées. Pour Lutgen, « on a atteint un sommet en matière de manque d’éthique ». Sans doute le scandale du Samusocial à Bruxelles a-t-il été la goutte de trop.
Plus facile avec le MR?
Les discordances entre laïcs et croyants seraient-elles moins fortes en cas d’alliance avec le Mouvement réformateur? Ce n’est pas impossible. Certes, il existe un courant laïque important au sein des libéraux, mais moins proche du CAL que ne l’est le PS. En octobre 2016, le député fédéral Denis Ducarme, qui incarne cette branche laïque, avait déposé vingt-quatre propositions pour lancer le débat sur une séparation « claire » entre l’Eglise et l’Etat. Mais le chef de groupe MR à la Chambre avait déclaré que, pour lui, il n’était pas question de toucher au pacte scolaire et au financement des cultes. De même, l’an dernier, constatant que les rapports entre les Pouvoirs publics wallons et les établissements cultuels locaux laissaient de plus en plus de place aux frustrations, mécontentements et à l’incompréhension, le député régional et chef de groupe MR au Parlement wallon, Pierre-Yves Jeholet, avait pris l’initiative de dresser un état des lieux de la situation et de proposer des pistes d’amélioration de la législation en vigueur. « On pourrait se poser la question de savoir si les Pouvoirs publics doivent continuer à financer les cultes? Pour moi, la réponse est évidemment affirmative. Ma priorité est de travailler main dans la main avec les autorités religieuses », déclarait-il à Dimanche (voir n° 33 du 25 septembre 2016).
L’avenir dira ce qu’il en est, si une coalition orange-bleue voit le jour en Wallonie.
J.J.D.