A bientôt 69 ans, ce fils de maçon à l’éternelle silhouette de jeune homme peut se targuer d’avoir construit une citadelle imprenable, celle qui met à l’abri du besoin et des intempéries des milliers de nécessiteux à Madagascar, sa terre d’adoption.
La voix décidée, un brin rocailleuse, le geste sec, seule une barbe fournie adoucit la silhouette grande et émaciée. Malgré la fatigue du voyage et des témoignages répétés, il ne se lasse pas de récolter des fonds pour ses protégés, tous ces enfants malgaches auxquels il a promis des matériaux de construction, du riz, mais aussi des médicaments. "A Madagascar, la majorité des gens ne sont pas attachés à la richesse de cette vie. Comme ils vivent avec seulement quelques centimes par jour, ils se sont attachés à ce qui est vraiment important: l’amitié, la joie de vivre, le partage avec le peu qu’ils ont."
L’indifférence gagne du terrain
Le souci des plus pauvres devrait occuper le premier rôle des citoyens, et en particulier des décideurs politiques. "On ne veut pas voir la réalité et s’engager. Alors, on fuit… On cherche souvent une reconnaissance. Or, en aidant les autres, on s’aide d’abord soi-même. C’est un devoir humain d’aider ceux qui n’ont rien. Si on a du cœur, on commence d’abord à côté de chez soi. Il faut faire le bien là où on vit. La pauvreté est un mal qu’il faut combattre. Il ne faut pas l’idéaliser non plus." Pragmatique, le lazariste dédouane ses interlocuteurs: "Vous pouvez vivre sans être attachés aux privilèges, capable de partager et de mettre à la disposition de toute la communauté. Il ne s’agit pas de tout donner, mais de participer. Quand nous partirons de cette vie, nous n’emmènerons rien. Il n’y a que la bonté, l’esprit de partage et d’amitié, l’amour partagé qui auront un sens à la fin de cette vie. En Europe, on court derrière le bonheur qui est dans l’avoir et non pas dans l’être. Le dernier gadget ne peut toutefois pas donner la joie de vivre, contrairement à un frère, un ami, un parent, un voisin… Il faut être heureux ensemble et nous entraider, de la manière la plus spontanée mais aussi la plus discrète possible. Le goût du profit gagne du terrain… au lieu de la fraternité, du partage, de l’amitié, de la tolérance entre les peuples et les nations." Pourtant, l’optimisme l’habite, avec l’espérance "que la peur de l’autre ne l’emportera jamais". A ceux qui ont "la chance d’étudier, dans un pays qui a des lois sociales", il rappelle de ne pas oublier les pauvres du continent africain.
Une exhortation à l’insurrection
"Insurgez-vous!", son dernier ouvrage écrit en collaboration avec Pierre Lunel, est un appel lancé aux Européens. "S’indigner, c’est la première étape. Ensuite, il faut s’insurger, c’est-à-dire passer à l’acte. La justice est au-dessus des lois, parce qu’il y a des lois qui ont été faites contre les pauvres, afin de préserver la richesse des nantis. On s’est très peu souciés de faire des lois pour que chaque être humain ait le minimum vital. Pourtant, la loi devrait servir le bien commun et public, et non être au service d’une partie des hommes." La défense de la femme relève également de ses préoccupations. "En Afrique et à Madagascar, la femme n’a pas encore sa vraie place. Courageuse, elle travaille beaucoup et est le socle de la société. Pourtant, elle n’est pas suffisamment respectée et n’a pas assez de responsabilités dans la société publique. Il faudrait lui donner davantage de reconnaissance dans le domaine public, politique et social, parce qu’elle a des capacités et des talents qui peuvent servir l’ensemble de la communauté. A chaque guerre, les soldats commencent par violer les femmes, ce qui est un crime contre l’humanité."
Un adepte du pape
Avec François, Pedro partage de nombreux points communs, dont celui d’être né de parents immigrés en Argentine ou, encore, d’être un amateur de football. "Personne ne s’attendait à voir le cardinal Bergoglio devenir pape. C’est lui qui doit représenter Jésus pour unir le peuple chrétien, tous les hommes de bonne volonté. Tout de suite, il a mis les points sur les i. Il a séduit et parlé, même aux non croyants. C’est une belle ouverture de notre Eglise envers le monde que nous devons sauver ensemble, croyants et non croyants." Au fil de ses rencontres en Europe, le père Pedro estime que nombre de ses interlocuteurs aspirent à la réalisation d’"un monde plus fraternel, plus juste, plus solidaire. Les gens ont besoin de faire vivre les fibres de la solidarité et de la fraternité spirituelle". Parmi tous ses souvenirs, celui des enfants qui partagent le pain reçu pour plus nécessiteux qu’eux est assurément le plus bouleversant. "Les enfants sauveront le monde, parce qu’ils en sont l’avenir. Tout adulte qui n’a pas de compassion a raté sa vie." La persévérance l’habite au quotidien. "Dieu n’est pas seulement dans les sacrements, Il est présent dans chaque personne qui souffre. Tout est possible pour celui qui aime. Nous sommes tous invités à donner le meilleur de nous-mêmes. Une étincelle divine a été donnée à chacun, sans exception." Fort logiquement, l’indifférence et l’égoïsme contemporains le déçoivent profondément. "On ne doit jamais profiter d’un autre humain", martèle le père Pedro. C’est en voyant des enfants occupés à trouver leur pitance sur une décharge qu’il a eu un électrochoc, il y a près de 30 ans. Mais ce lieu où l’on abandonne les pauvres à leur survie n’est pas unique. "Il y a d’autres lieux où les gens souffrent: la rue, le marché, la prostitution, mais aussi les gens drogués, ceux qui s’adonnent à l’alcool, les ménages qui se bagarrent et se séparent… Partout, il y a souffrance et il faut amener une parole d’espérance, de courage, de force." Un manque de confiance criant habite l’Occident et au-delà du continent, parce que "cette maladie est contagieuse. On vit des apparences, dans l’hypocrisie et l’arrogance". Fort de ces années passées à construire un monde plus juste, les mains dans la pierraille, il s’évertue à lancer un rappel à l’ordre pour un monde
plus fraternel…
Angélique TASIAUX