Afin de sensibiliser les chrétiens de Belgique aux menaces qui existent sur la liberté de culte, la Fondation Aide à l’Eglise en Détresse a organisé une série de rencontres. Comme à Tournai où Mgr Joseph Coutts, évêque de Karachi, est venu témoigner.
Fondée en 1947 à Louvain par le Père Werenfried van Straaten, l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED) est, depuis 2001, une Fondation de droit pontifical. Elle est venue récemment présenter ses activités dans les locaux du séminaire de Tournai. Anacleth Hitayezu y a rappelé les trois piliers sur lesquels est fondée AED: informer, prier à la fois pour l’église persécutée et ses bienfaiteurs et enfin, mener des actions les plus diverses au bénéfice de ces églises souvent très fragilisées.
Le dernier bilan disponible (2015-2016) acte des dons pour un montant total de 124 millions d’euros en provenance de 21 pays différents. Ces moyens ont été globalement redistribués vers les églises d’Afrique (34%), du Moyen-Orient (26%), d’Asie (17%), d’Europe de l’Est (14%) et le solde pour le continent latino-américain.
Les interventions d’AED peuvent prendre les formes les plus diverses. Il y a bien sûr l’aide à la formation des prêtres, des religieux ou des laïcs mais aussi l’aide directe pour permettre à des communautés religieuses en difficulté dans des milieux hostiles, de vivre tout simplement. AED s’occupe également de permettre aux enfants d’avoir accès à la Bible et, en général, de financer des outils de communication entre les Eglises et les fidèles. Enfin, elle aide à la construction ou à la rénovation de bâtiments pastoraux, à l’acquisition de moyens de transport et intervient en cas de catastrophes naturelles, comme en Haïti.
Mais AED est aussi très connue pour son rapport sur la liberté religieuse, publié tous les deux ans. Son 13e rapport a ainsi examiné la situation de la liberté religieuse dans 196 pays. Sur la base de cette analyse, les experts considèrent que les persécutions religieuses concernent directement 23 pays tandis que des cas de discrimination religieuse ont été identifiés dans 15 autres états.
Pakistan: la peur domine
Pour témoigner de ces libertés de culte menacées, AED avait invité à Tournai Mgr Joseph Coutts, l’évêque de Karachi. Le Pakistan, dont deux frontières sont communes avec l’Inde et l’Afghanistan, est un pays de près de 200 millions d’habitants qui sont à 96% de confession musulmane. L’hindouisme n’y représente que 2% de la population et la communauté chrétienne environ 1,6%.
A entendre l’évêque pakistanais, c’est la peur qui domine pour les chrétiens de cette république où la Constitution a inscrit l’Islam comme religion d’Etat. « Avec la loi anti-blasphème, appliquée parfois de façon très douteuse, le moindre propos portant atteinte au Prophète est puni de la peine de mort. Et des déclarations critiques sur le Coran peuvent conduire à la prison à vie« , affirme Mgr Coutts.
AED a relevé dans son rapport le cas d’une mère de cinq enfants qui a été pendue, sur dénonciation, pour avoir émis un avis critique sur le Coran. Par ailleurs, les lois islamiques en vigueur au Pakistan après 1988 condamnent encore la femme adultère à la lapidation.
Dans un tel climat d’oppression, la vie de la communauté chrétienne, est particulièrement difficile. Depuis 2001, précise l’évêque de Karachi, « des églises catholiques ont été attaquées à cinq reprises et aujourd’hui, pour nos célébrations dominicales, le gouvernement, qui se dit officiellement respectueux de tous les cultes, assure la protection des fidèles et des officiants. »
Très active « mais aussi très visible« , assure Mgr. Coutts, l’Eglise catholique pakistanaise est très investie dans la vie civile « auprès des plus défavorisés » avec ses écoles et ses hôpitaux.
« Des hôpitaux, tenus par des sœurs catholiques mais où parfois, tous les médecins sont musulmans et qui accueillent toutes les populations sans la moindre discrimination« , sourit Joseph Coutts qui veut voir là, malgré tout, un message d’espoir et de possible apaisement.
Une relation manquée entre les musulmans et la Belgique ?
En prélude à la conférence d’AED, l’évêque de Tournai était invité à s’exprimer sur les relations entre l’Etat belge, mais aussi la communauté catholique, et le monde musulman établi dans le pays à partir des années soixante. Mgr Harpigny, réputé pour sa connaissance de l’Islam, a lumineusement éclairé, par ses pertinentes balises historiques, les raisons de l’impasse, de l’incompréhension où la Belgique se retrouve aujourd’hui face à ces jeunes musulmans, souvent belgo-turcs ou belgo-marocains, de la seconde génération.
Tout part en fait, selon lui, de la totale méconnaissance de l’Islam et de ses pratiques cultuelles par ceux qui doivent élaborer un prescrit légal.
L’Islam, officiellement reconnu comme culte par l’Etat belge en 1974, était-il soluble dans le dispositif légal belge de la « reconnaissance des cultes » et de son fonctionnement (en gros le financement des pensions et des traitements des ministres du culte, des cours de religion et des bâtiments)? Au même titre que le sont la religion catholique, les cultes protestant, juif ou orthodoxe, sans oublier, par assimilation, la reconnaissance plus tardive de la laïcité avec le (généreux) financement de ses conseillers?
Sans accabler personne, l’évêque de Tournai s’étonne encore aujourd’hui de l’attitude du Roi Baudouin qui, fin des années 60 et partant sans doute d’un très bon sentiment, a remis les clés d’un bâtiment du Cinquantenaire à… l’Arabie Saoudite pour qu’elle y érige une mosquée!
Sécurité et déradicalisation
Comment imaginer que les communautés immigrées musulmanes, d’origine turque ou marocaine, allaient pouvoir s’accommoder d’un lieu de culte inspiré par le wahhabisme, voire le salafisme? Et les difficultés n’ont fait qu’empirer par la suite. Notamment avec l’impérieuse nécessité, dans le dispositif légal belge, d’identifier un chef pour la religion islamique. Mais aussi la mise en place, quelque peu forcée, d’un Exécutif musulman, l’épineuse question du financement des cours de religion musulmane, la qualité et la reconnaissance des imams qui assurent ces formations, etc.
C’est dans ce contexte qu’on connaît alors une crispation progressive, à partir des années 90, avec la montée de l’intégrisme, l’ »incompréhensible conversion » de jeunes Belges à l’Islam, l’attaque des tours à New York en 2001, la traque pour éliminer
Al Quaïda, les actes de terrorisme en Europe pour arriver au Califat et à l’Etat Islamique.
Face à ce « climat de guerre » consécutif encore aux massacres de Charlie Hebdo et du Bataclan (2015) et au double attentat terroriste du 22 mars 2016 chez nous, Mgr Harpigny constate que l’Etat riposte par « plus de sécurité, ce qui est normal dans un Etat de droit », mais remarque que « l’Etat cherche toujours les outils les plus appropriés pour mener les politiques de déradicalisation« .
Faire ensemble
Côté catholique, des initiatives ont bien été prises (El Kalima, commissions interdiocésaines,…) « mais seulement pour résoudre des questions techniques« , semble regretter Guy Harpigny. « Au lieu de défendre devant l’Etat nos intérêts, souvent financiers, il vaudrait mieux pouvoir porter ensemble un vrai projet pour la société« , estime l’évêque de Tournai. Une approche qui, si elle devait s’affirmer, inquiète déjà certains milieux laïques influents « qui feraient tout alors pour contenir la religion dans la sphère exclusivement privée avec, pour y arriver, la menace, à peine voilée, de supprimer le financement des cultes par l’Etat« , conclut Mgr Harpigny.
Hugo LEBLUD