Etudiant en philologie romane, Vincent Zabus racontait dans l’auditoire qu’il écrirait des BD. Depuis 15 ans, son rêve est devenu réalité. Il a même été honoré du prix du jury œcuménique de la bande dessinée à Angoulême. Rencontre avec un Namurois rêveur et enthousiaste.
Sans prétention, le ton posé, Vincent observe le monde à l’abri de ses lunettes. Distrait comme un personnage à la Pierre Richard, celui qui fut blond, sans chaussure noire, a abordé la quarantaine avec son habituelle bonhomie. Sous son allure débonnaire, il parvient néanmoins à vivre de son activité artistique, qui le conduit à jongler avec des casquettes différentes. Parfois les sujets l’habitent; d’autres fois ce sont "les idées qui s’invitent", comme celui de l’immigration italienne déployée dans l’album "Macaroni!", qui s’est vu distingué par le prix oecuménique. Pour lui, la réalité du monde environnant nourrit l’activité créatrice. "Au début, les scénarios que j’écrivais étaient empreints d’imaginaire et partaient de mon univers intérieur. Au fil du temps, j’ai essayé d’élargir le spectre des sujets et j’ai été à la rencontre des gens, je me suis laissé confronter à l’actualité, pour sortir d’un cercle qui me semblait trop restreint."
Un équilibriste inventif
La passion des BD remonte à l’enfance, lorsque Vincent en est devenu un lecteur assidu. "Comme il est apparu assez vite que je n’étais pas un très bon dessinateur, j’ai commencé à rêver, dès l’adolescence, des histoires que je pourrais raconter." Tel est le fil conducteur de son travail: raconter des histoires, quels que soient le lieu et le public. Professeur de français à la fin de ses études, il se lance dans une formation théâtrale "pour servir" ses cours et mettre en scène ses élèves. De fil en aiguille, il joue sous le statut de comédien amateur, puis professionnel, une fois le succès venu. Faute de répertoire qu’il estime suffisamment étoffé en théâtre jeune public, il décide alors d’écrire lui-même des pièces. Et le voilà directeur artistique de la compagnie des Bonimenteurs (spécialisée en théâtre de rue) et responsable artistique du Théâtre des Zygomars (une compagnie jeune public). Depuis 15 ans, il alterne les deux registres, entre théâtre et scénarios de bandes dessinées, tour à tour plongé dans le bouillon de la vie ou une immersion solitaire. Dans les deux cas, il distingue un impératif commun: celui de "raconter une histoire, avec des personnages attachants, la défense d’un certain propos… Le jeu m’a aidé à trouver une justesse dans l’écriture." En bande dessinée, Vincent distingue d’ailleurs le rôle du dessinateur, qui est davantage dans un rapport concret, de sa démarche plus cérébrale de scénariste. Certains albums sont composés dans une proximité immédiate avec le dessinateur, d’autres à distance, selon les impératifs géographiques. Mais, quel que soit le lieu de résidence, "c’est un vrai travail de collaboration. Je choisis les sujets et le rythme du récit en fonction du dessinateur. Les bandes dessinées sont bien meilleures quand c’est un véritable duo qui les fait".
Des racines sans les ailes
"Les scénaristes cherchent toujours des moments exceptionnels. Moi, j’essaye de trouver l’exceptionnel dans le quotidien. Ce que j’écris est en lien avec le souci du moment. Il y a des thèmes récurrents à travers tous les albums et les pièces, même si les tons varient." Se frotter à la réalité mène à certaines désillusions. "Adulte, on est plus dans le concret du travail et moins dans l’image que cela dégage." Conserver ses rêves serait une des clefs de la réussite artistique… "Les enfants par leur naïveté, leur vérité, qui est moins masquée, bousculent les codes", estime Vincent, qui a conservé leur émerveillement. Toutefois, reconnaissons-le, le succès permet de financer le développement de nouvelles créations. "Prendre le temps de s’arrêter, d’écouter quelqu’un qui ne va pas bien… Ces choses simples donnent du relief. Parfois, ça a l’air d’être l’à côté, le moment où l’on perd du temps alors que c’est l’essentiel. Quand je revois mes élèves, ils me parlent du moment où je ne donnais pas cours." Ces rencontres grandissent l’humain, lui donnent de la matière pour ses créations, nourrissent ses créations et façonnent son imaginaire. "Je cherche des sujets qui touchent à toutes les dimensions de l’être humain. Mon souci premier, c’est d’avoir une vision de l’homme aujourd’hui. Il y a une idéologie derrière le récit; j’essaye de développer un propos, sans être didactique. La spiritualité n’est pas mon souci premier; elle est véhiculée par l’intérêt des personnages entre eux." Elevé dans une famille catholique et enseignant lui-même dans une école du réseau libre durant sept ans, il n’est plus pratiquant aujourd’hui. "Je sens que je viens de là. Ça transparaît, même si ce n’est pas conscient, dans les récits que j’écris. Je suis en suspens, entre deux rives. Je vois d’où je viens, mais je ne sais plus forcément comment me situer concrètement par rapport à cela. ‘Hypocondriaque’ hors compétitio", il reconnaît à l’écriture un rapport particulier avec la mort, puisque "c’est une façon de laisser une trace, même si c’est illusoire". Père d’un petit garçon, Vincent entend lui transmettre des valeurs comme "le respect des autres et de la planète". Dans l’éducation, comme dans bien des domaines, tout est affaire de cohérence. "C’est par l’exemple et la façon dont on fonctionne soi-même qu’on peut donner envie d’être imité."
Un engagement social
Susciter le débat et des conversations en famille ou en classe, libérer la parole, c’est, pour lui, une manière de "participer au débat public" en suggérant un point de vue. "Le propos est parfois premier. D’autres fois, c’est par des fables imaginaires. Dans tous les cas, la littérature accompagne la vie des gens." Il y va pour l’auteur d’une certaine responsabilité morale. "Comme tout être humain, on existe avec les autres." Chaque album est une aventure. "Dans le récit, c’est plutôt bon quand les valeurs ou la vision du monde arrivent dans un deuxième temps, parce qu’alors c’est moins explicatif." L’imaginaire prime et la justification se trouve ainsi évitée. "Le lecteur n’a pas envie qu’on lui dise ce qu’il a à penser. Il faut que la bande dessinée nous touche par l’émotion, le rire, la fable, le récit qu’elle raconte, et nous amène, dans un second temps, à réfléchir. Ce qu’il y a à penser doit être ouvert pour que le lecteur puisse prendre sa part." A chacun d’apprivoiser ses lectures pour grandir avec elles…
Angélique TASIAUX