“Dieu, les extraterrestres et nous”


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“Dieu, les extraterrestres et nous”
Par Christophe Herinckx
Publié le - Modifié le
6 min

Et si les extraterrestres existaient? Quelles en seraient les implications pour les religions, en particulier la foi chrétienne? C’est à cette question que tente de répondre Jacques Arnould, historien des sciences et théologien. L’occasion de revisiter les fondements de notre tradition, en particulier les questions de la création et du salut.

A première vue, la question de l’existence des extraterrestres peut sembler très éloignée des préoccupations habituelles d’un théologien. Entre les apparitions d’OVNI et les témoignages d’enlèvement par des êtres venus d’ailleurs, une telle interrogation semble davantage relever de l’imaginaire, de la fiction, voire… du pathologique ou de l’hystérie collective.

Cependant, à la lecture du livre de Jacques Arnould – "Turbulences dans l’univers - Dieu, les extraterrestres et nous" –, on se rend compte que l’éventuelle existence d’une pluralité des mondes et de leurs habitants occupe les réflexions des philosophes, mais également des théologiens, depuis des siècles.

Epicure versus Aristote

Déjà au IVe siècle avant Jésus-Christ, deux hypothèses s’affrontent à ce sujet. D’une part, Epicure, qui pense que l’univers résulte de la (re)combinaison permanente et fortuite d’atomes, considère qu’il doit exister une multitude d’autres mondes que le nôtre. D’autre part, Aristote, qui comprend le monde comme un cosmos, c’est-à-dire comme un tout harmonieux, où chaque chose est à sa place selon un ordre bien établi, estime que ce monde ne peut donc être qu’unique.

Historiquement, ce sont les idées d’Aristote qui ont prévalu en Occident jusqu’au XVIIe siècle. Ainsi, au XIIIe siècle, saint Thomas d’Aquin reprend sa vision, pour l’intégrer à la foi chrétienne, lorsqu’il se demande: Dieu, en vertu de sa toute-puissance, a-t-il dû créer une pluralité de mondes, ou un seul? Il tranchera en expliquant que Dieu, dans son intention de créer un univers qui tend à la perfection, a voulu tous les êtres existants dans leur diversité, mais aussi dans une unité de complémentarité. Il est donc plus logique de penser qu’il n’y a qu’un seul monde, qu’un seul ordre cosmique…

Cette vision du monde prévaudra jusqu’à la révolution copernicienne et "l’affaire Galilée": à ce moment, on se rendra compte que la terre n’est pas le centre du monde, mais le soleil. Trois siècles plus tard, la découverte des dimensions réelles de l’univers, contenant des milliards de galaxies relativisera encore davantage l’idée d’une place centrale, unique, de l’homme au sein de cet univers aux dimensions dépassant l’imagination.

Les religions bouleversées?

A partir de là, la question de la pluralité des mondes et celle de l’existence d’autres êtres vivants dans l’univers vont retrouver de la vigueur. Avec, à la clé, une autre question lancinante, pour les croyants: s’il devait être établi que d’autres mondes sont habités par des êtres vivants, les religions en seraient-elles bouleversées? Au point d’éventuellement disparaître? Ou cela les amènerait-il plutôt à revisiter leurs dogmes fondamentaux, débouchant sur une compréhension plus profonde de leur contenu essentiel?

Telle est, précisément, la question que Jacques Arnould aborde dans son livre. Pour lui, la simple hypothèse de l’existence d’êtres extraterrestres est un extraordinaire stimulant pour la théologie qui, pour ce qui concerne la tradition chrétienne, est alors poussée à reconsidérer certains "fondamentaux" de la foi, tels les notions essentielles de création et de rédemption.

Comment l’auteur envisage-t-il ces deux notions, qui sont au coeur de la révélation biblique, en partant de l’hypothèse de l’existence des extraterrestres?

Avant Galilée, la théologie chrétienne considérait que le monde avait été créé pour l’homme, qui était au centre de tout. Or, avec l’avènement de l’héliocentrisme – le soleil est au centre, et non la terre –, Jacques Arnould estime qu’il faut reconsidérer la place de l’espèce humaine dans l’univers. "Il ne s’agit pas de nier les êtres singuliers, originaux que nous sommes", dit-il, "mais de ne plus prétendre à l’unicité". L’homme n’est pas forcément le seul être spirituel dans l’univers… mais cela n’enlève rien à la perspective de l’Alliance que Dieu a scellée avec l’humanité.

L’auteur relit d’ailleurs le récit du déluge, dans le livre de la Genèse, comme un troisième récit de création (Gn. 6 – 9,17), après la création en sept jours et celle d’Adam et Eve (Genèse 1 – 3). Dans ce troisième récit, c’est précisément la dimension de l’Alliance qui est soulignée. Dieu fait alliance avec Noé. Et faire alliance, c’est reconnaître une relation particulière entre les deux parties, en l’occurrence Dieu et l’humanité. Si des extraterrestres vivaient ailleurs dans l’univers, on pourrait dès lors considérer que Dieu a également pu faire alliance avec eux, et qu’il les a également créé.

Doit-on cependant, dans cette hypothèse, parler de plusieurs créations, ou n’y a-t-il, fondamentalement, qu’une seule création? Autrement dit: l’humanité et d’autres êtres spirituels ne seraient-ils pas tous, au même titre, enfants de Dieu, et ce malgré leurs différences éventuelles? Pour Jacques Arnould, il suffit d’admettre que Dieu pourrait créer d’autres êtres que nous ou que ceux que nous connaissons. Cela implique, de fait, une relativisation de notre position.

La rédemption revisitée

Une autre dimension, essentielle pour la foi chrétienne, est celle de la rédemption, du salut. Et plus particulièrement encore, la question de l’incarnation et de la résurrection. Si on devait découvrir des extraterrestres, cela voudrait-il dire que le Christ les a sauvés eux aussi? Ont-ils été marqués, tout comme nous, par le péché originel? Le Fils de Dieu se serait-il alors incarné seulement sur terre, et le salut accompli pour l’humanité serait-il également "valable" dans tout l’univers? Ou faut-il, au contraire, envisager qu’il y ait eu plusieurs incarnations, et plusieurs résurrections? De telles questions ont été effectivement posées au cours de l’Histoire.

L’auteur, quant à lui, ne souhaite pas s’engager sur le terrain de la spéculation théologique. Parce que nous ne connaissons rien des extraterrestres. En revanche, lorsque nous parlons de l’espèce humaine, nous confessons, en tant que chrétiens, que Dieu a pris chair dans notre humanité. Non pas, une fois encore, pour revendiquer un statut particulier de notre humanité, mais pour dire que Dieu a posé un regard particulier sur nous.

On en revient alors, encore une fois, à la réalité de l’Alliance particulière entre Dieu et notre humanité, qui est un mystère profond: en un lieu de cette planète, à une période particulière de l’Histoire, nous chrétiens confessons que Dieu s’est fait homme. "Et ce mystère-là", dit Jacques Arnould, "il est incontournable, il n’est pas négociable, il constitue une sorte de brèche, par rapport à laquelle on se situe en disant ‘je crois’ ou ‘je ne crois pas’."

Quant à cet autre grand mystère, celui de la résurrection, il est étonnant de voir que les tout premiers chrétiens, pratiquement dès le lendemain de Pâques, se sont souciés de la dimension cosmique de cet événement. Les premiers théologiens ont considéré que la résurrection ne touche pas ce seul petit territoire de Palestine, cette seule petite communauté de Jérusalem, mais tout le monde connu, et au-delà, le cosmos, l’univers entier. "C’est un peu comme un big bang christologique", dit l’historien des sciences. Et il ajoute: "Peut-être qu’ailleurs, il y a d’autres choses qui se passent. Je n’en sais rien, et ce n’est pas à moi de l’affirmer. Mais quand, de mon point de vue de terrien chrétien, je confesse le mystère de la résurrection, je dois intégrer que ce n’est pas seulement pour moi humain, mais que c’est bien un mystère cosmique".

Christophe HERINCKX

Turbulences dans l’univers – Dieu, les extraterrestres et nous, Jacques Arnould, Albin Michel, 282p.

Retrouvez l’intégralité de l’interview de Jacques Arnould dans "Spirituellement vôtre" sur RCF-Bruxelles.

Catégorie : L'actu

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