Il y a un an, une enquête sur le « bonheur des prêtres » a été lancée dans le diocèse de Liège. L’initiative revient à trois prêtres: Jean Dewandre, Albert Brodel et Guy Balaes. Les premiers retours ont été récemment présentés au conseil presbytéral du diocèse. Une tendance émerge: il est nécessaire de rechercher de nouvelles manières de « faire Eglise ».
Au cours de ces dix dernières années, plusieurs prêtres du diocèse de Liège ont été victimes d’un burn-out ou d’une dépression. Certains ont repris le dessus. D’autres ont quitté leur sacerdoce. L’un s’est suicidé. Face à ce constat inquiétant, l’abbé Jean Dewandre décide alors de passer à l’action: « Il n’était plus tolérable de laisser autant de confrères sur le bord de la route sans réagir; tous ces cas individuels témoignent d’un problème de fond qu’il est grand temps de prendre à bras le corps. Ne pas bouger, c’était de la non-assistance à personne en danger. » Après avoir interpellé une première fois le conseil presbytéral, il s’en ouvre à deux autres prêtres et, ensemble, ils décident d’envoyer une lettre-questionnaire aux 119 prêtres actifs du diocèse (vicaires, curés, prêtres auxiliaires). Après avoir informé l’évêque de leur démarche, le père Dewandre et ses deux amis envoient, le 22 octobre 2015, des questions simples et ouvertes à ceux-ci: « Suis-je épanoui dans ma mission? », « Est-ce que je vais bien? », « Est-ce que je me sens seul? »… Les ecclésiastiques pouvaient conserver l’anonymat s’ils le souhaitaient.
Analyse des données
Un an plus tard, l’abbé Dewandre est positivement surpris par le nombre de réponses reçues.
Selon lui, « l’enquête a le mérite de sortir du cas particulier » pour faire émerger une tendance grâce à une grille scientifique et une analyse rigoureuse. Cette dernière a été confiée à trois experts: le père et psychologue André Simonart, le théologien Arnaud Join-Lambert, professeur à l’UCL, et Jean-Luc Joly, ancien directeur des ressources humaines (DRH) d’entreprise, mais surtout animateur de Progressio (voir encadré). L’abbé Dewandre souligne que ce travail a permis « d’objectiver des données subjectives, parfois considérées comme non fiables« .
Le 27 septembre 2016, à l’invitation de Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège, Jean-Luc Joly expose les premières conclusions devant le conseil presbytéral. Pour l’expert, l’échantillon de réponses est suffisant et représentatif; il estime également que les citations sont fiables car franches et révélatrices. Jean-Luc Joly a choisi de répartir les réponses en quatre thèmes: le personnel et le relationnel, le ministère, le prêtre dans sa responsabilité actuelle et l’institution, subdivisés en chapitres. L’expert en ressources humaines a opté pour un système de pondération, basé sur une échelle allant de +3 à -3, permettant d’évaluer le degré de bien-être et de mal-être engendré par les différents aspects de la vie d’un prêtre.
Un premier bilan
Les principaux éléments cités comme sources de bonheur concernent la vie spirituelle et personnelle du prêtre (ressourcement spirituel, vie affective, sentiment d’utilité, temps disponible pour soi, évangélisation, épanouissement personnel dans l’accomplissement du ministère…). L’enquête met également en lumière le fait que le mal-être est plutôt lié aux difficultés rencontrées dans la relation avec les confrères, la hiérarchie et l’organisation paroissiale. Les prêtres témoignent également d’un sentiment d’incertitude et d’inconfort à évoquer les perspectives d’avenir, ce dernier élément étant le plus mal coté (-2,9), crainte également partagée par l’abbé Guy Balaes, co-promoteur de l’enquête. Pour les auteurs de l’enquête, il est évident que la situation actuelle nécessite de rechercher de nouvelles manières de « faire Eglise ».
Pour l’abbé Dewandre, l’étude soulève aussi la question de savoir si tous les prêtres doivent être curés de paroisse. « Pourquoi n’y aurait-il plus qu’un seul créneau pour celui qui souhaite devenir prêtre? », interroge-t-il, en précisant qu’il faudrait peut-être se pencher d’abord et avant tout sur le profil des candidats à la prêtrise, c’est-à-dire sur la personne plutôt que de réfléchir en fonction de la réalité du terrain (où manque-t-il un prêtre pour gérer telle ou telle paroisse?)
L’intérêt des médias
Le projet d’enquête a rapidement connu un début de médiatisation, ne reflétant pas nécessairement la réalité puisque l’enquête n’en était qu’à ses débuts. Mais, les trois abbés initiateurs du projet, espèrent que cette attention aura un effet bénéfique en rendant l’enquête visible et qu’elle encouragera l’exploitation en profondeur des résultats présents et à venir. Le père Dewandre envisage même un effet « tache d’huile » vers les autres diocèses du pays, afin de mener une réflexion encore plus large et représentative du vécu des prêtres en Belgique.
De toute évidence, ce projet a eu pour principale vertu de libérer la parole des prêtres et de briser le silence autour d’une situation dramatique mais bien réelle. Les trois ecclésiastiques à la base de l’initiative estiment qu’il faut remettre la personne du prêtre au centre et parallèlement replacer la relation au centre de la mission sacerdotale, comme le confirment les résultats de l’enquête.
Et aujourd’hui?
La relecture des réponses a été confiée au conseil presbytéral qui a réparti la matière en quatre groupes de travail en fonction des quatre thèmes dégagés par Jean-Luc Joly. Les prêtres sont également invités à discuter des 247 citations anonymes au sein d’un même doyenné. Lors du dernier conseil presbytéral du 6 décembre, « les débats en groupe de travail ont été prometteurs« , comme le confie le modérateur du Bureau du conseil, l’abbé Gierkens. D’ici la prochaine rencontre du Conseil, prévue en mars, le Bureau synthétisera l’ensemble des propositions qui lui seront parvenues car « la réflexion à partir de l’enquête proposée dans les réunions décanales n’a pas encore pu aboutir partout ou n’a pas encore pu, pour différentes raisons, être menée« , explique encore l’abbé. Le dossier suit donc son cours.
Sophie DELHALLE