C’est la dernière chance pour la paix. Intervenant majeur dans la crise, la Conférence épiscopale nationale congo- laise (CENCO) déploie tout son savoir-faire pour parvenir à un accord inclusif, entre la majorité présidentielle et l’opposition réunie cette fois dans toutes ses composantes, le Rassemblement d’Etienne Tshisekedi inclus.
La mission des évêques est soutenue par le pape François, soulignant que: « les exigences rigides qui, quelquefois ont caractérisé les positions des uns et des autres, devront céder à la conces- sion et au compromis; ces concessions et compromis ne devant jamais être inter- prétés comme des aveux de faiblesse, mais plutôt comme des signes de gran- deur et de dépassement pour favoriser l’intérêt supérieur de la Nation ». Mais, un compromis acceptable par toutes les parties est-il encore possible avant le 19 décembre à minuit, date à laquelle devrait se terminer aux termes de la Constitution, le dernier mandat pos- sible du Président? Les signaux envoyés jusqu’ici font craindre que le clan de Joseph Kabila ne s’accroche au pouvoir, de report en report, de « glissement » en glissement, en dépassant le terme de deux mandats, voire en faisant réviser la Constitution comme au Rwanda. EurAc, réseau européen d’ONG pour l’Afrique centrale, a donné la parole le 7 décembre à une brochette d’experts pour ré échir aux actions possibles. Cathobel.be s’est fait l’écho de l’inter- vention du porte-parole de la CENCO.
La Belgique, partenaire vigilant et constructif
Pour Renier Nijskens, envoyé spécial de la Belgique pour la région des Grands Lacs, « la crise actuelle n’était ni inat- tendue, ni inéluctable. La Belgique a vu l’espace d’expression et des libertés se rétrécir, la politique d’intimidation de toute voix dissidente jusqu’à de lâches assassinats comme celui du défen- seur des droits de l’homme, Floribert Chebeya. Nous n’étions pas restés silen- cieux non plus », enchaîne le diplomate chevronné, « lors de la nouvelle répres- sion des manifestations les 19 et 20 septembre derniers dont l’ampleur et la brutalité nous ont amenés à adopter une
attitude plus ferme, au point d’envisager des sanctions. Alors que la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs avait demandé au président Kabila de travailler à une plus grande inclu- sivité dans ce qui a été appelé le « dia- logue national » et d’initier des mesures de con ance, les autorités n’ont toujours pas posé les gestes demandés pour lever les restrictions aux droits et libertés, bien au contraire. L’impression prévaut d’une justice fortement instrumentalisée. » Les élections présidentielles couplées aux élections législatives seraient tech- niquement possibles pour la n 2017. Encore faut-il que tous les acteurs congolais veuillent aller de l’avant. L’expert des Grands Lacs pointe aussi la lourde responsabilité de la CENI (Commission électorale nationale indé- pendante), priée de gagner en neutra- lité, en transparence et en abilité avec, notamment, un calendrier précis et des décaissements crédibles. Si un accord n’intervient pas rapidement, le Congo basculera dans une crise majeure, « ag- gravée par le muselage de toute mani- festation paci que comme des médias non complaisants aux yeux du régime ». Consciente de l’enjeu, la diplomatie belge consulte tous azimuts et multiplie les démarches tant sur la scène congo- laise qu’auprès des organisations régio- nales ou internationales concernées. La Belgique appuie la médiation épiscopale et salue les gestes « substantiels » faits par le Rassemblement d’Etienne Tshisekedi en vue d’un compromis. « Des gestes pas suf samment reconnus et encouragés par la majorité présidentielle », regrette le diplomate. Parmi les points majeurs de discussion, gure le choix du pré- sident ad interim pendant la transition. Une question qui ne devrait pourtant pas se poser puisque la Constitution pré- voit que ce soit le président du Sénat. Le Rassemblement de l’opposition serait-il prêt à lâcher cet autre acquis constitu-
tionnel pour éviter l’incendie, comme le disent certains? « Aucun camp ne peut plus se payer le luxe de refuser, sous quelque prétexte que ce soit, de ne pas tout mettre en œuvre pour éviter un bain de sang », insiste Renier Nijskens. Après la diplomatie, place à la fermeté: à la suite des Etats-Unis et en réponse à l’appel de nombreuses ONG, l’Union européenne (UE) vient de décider de sanctions ciblées – interdiction d’accès à l’espace Schengen – à l’encontre de sept responsables sécuritaires identi- és comme ayant été impliqués dans la répression violente des manifestations à Kinshasa. « C’est aussi un signal, envoyé à ceux qui seraient tentés de bloquer le processus politique. La liste des per- sonnes visées pourrait s’élargir », pré- vient l’ambassadeur belge.
Fred Bauma, la force de la non-violence
Cinquante jours passés dans les si- nistres cachots de l’ANR (Agence Nationale de Renseignement), sans même la visite d’un avocat, suivis de quinze mois de détention, n’ont rien changé à la détermination lucide de ce jeune de 26 ans, diplômé en gestion nancière.
Pas plus que la lettre martiale envoyée n novembre par le ministre congolais de l’Intérieur aux Gouverneurs des provinces, les priant de mettre n aux activités, même paci ques, d’organi- sations citoyennes comme la LUCHA (Lutte pour le changement). « Avec pour résultat, de nouvelles incarcé- rations, qui nous font craindre pour la sécurité et la vie de nos militants », explique sereinement Fred Bauma. Il tire la sonnette d’alarme, pointant la situation sécuritaire, avec les tueries récentes au Grand Kasaï et plus encore au Nord Kivu, avec en face un gouver- nement sans réaction. Fred Bauma appelle à recréer la con ance à travers le dialogue plutôt que la répression et invite l’UE à un soutien conditionnel, en augmentant la pression avant le 19 décembre.
« Notre combat, nous con e l’activiste, est pour l’alternance démocratique et le respect de la Constitution, à travers des actions non-violentes. Que Kabila s’engage à ne plus se représenter et que la population soit consciente de sa responsabilité comme de son pouvoir à travers le vote. Les jeunes doivent être les garde-fous du système démo- cratique, à travers des actions non-vio- lentes », insiste le « Gandhi congolais ».
« 82% de la population congolaise vit avec moins d’un dollar US par jour. La combinaison dépression socio-écono- mique et répression des libertés poli- tiques constitue un cocktail explosif. Le nombre de violations des droits de l’homme, qui affectent l’espace démo- cratique, a été multiplié par trois en 2016, passant de 260 à près de 900, et il va croissant. Plus de 2.152 personnes ont été arrêtées pour avoir exercé les libertés fondamentales prévues dans la Constitution. Huit grandes villes sont aujourd’hui interdites de manifesta- tions, ce que les rapporteurs spéciaux de l’ONU ont jugé disproportionné et injus- ti é. Nos quinze recommandations pour favoriser l’espace démocratique n’ont pas été suivies d’effet, que du contraire! Les détentions arbitraires s’accumulent faisant de leurs victimes des otages politiques », déplore le directeur du bu- reau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme à Kinshasa, José Maria Aranaz, avant d’inviter, lui aussi, l’Europe à la vigilance.
Si les autorités de Kinshasa n’entendent pas, le désespoir risque de mener à une tragédie. Le compte à rebours a com- mencé.
✐ Béatrice PETIT